Continuons cette saga de la croissance avec la notion de progrès.
Mais attention, le mot « progrès » est un mot-valise : il transmet une sensation presque naturelle d’effet positif. Pourtant il vaut mieux l’appréhender comme une forme d’évolution qui peut être bonne ou mauvaise. Ainsi, il apparaît que le progrès peut aussi apporter son lot de désagréments.
Le Progrès, au sens technique du terme, pourrait se définir comme tout
ce qui permet d’améliorer les méthodes de production et la productivité. Il
s’agit donc de rendre plus performant ce qui existe déjà : les machines,
l’organisation du travail, le management,…
Théoriquement parlant, il faudrait différencier le progrès technique de
l’innovation. Si le progrès technique se concentre sur l’existant, l’innovation
est l’application économique d’une découverte, pouvant se traduire par la
création de nouveaux secteurs d’activité. Je vous l’accorde, il est parfois
difficile de séparer les deux tant la frontière est mince.
Par exemple, devons-nous considérer un nouveau Smartphone comme une
innovation ou un progrès technique ? Probablement qu’il relève des deux ;
j’ai envie de dire que Progrès Technique et Innovation sont intimement
liés : sans innovation, recherche et découverte, y-a-aurait-il progrès
technique ? J’ai envie de dire que Progrès Technique et Innovation sont
intimement liés : sans innovation, recherche et découverte, y-a-aurait-il
progrès technique ? C’est pourquoi je traiterai des deux composantes
simultanément.
Un peu de théorie
Il me paraît impossible de parler de progrès et d’innovation sans
parler de Schumpeter. Au début du XXe siècle, il estimait que l’entrepreneur-innovateur
était le cœur même du capitalisme. Tout se joue sur son caractère
innovant : la création mais aussi la destruction des richesses – pour en
produire encore plus. C’est ce qu’on appelle la destruction-créatrice : le
capitalisme permet de créer sans cesse de nouvelles activités et de nouveaux
secteurs mais il détruit celles et ceux qui ne sont plus compétitifs.
Cette théorie s’appuie sur les travaux de Kondratieff qui fit remarquer
que l’économie alterne des périodes d’expansion économique (croissance) puis de
dépression tous les cinquante ans environ (les cycles Kondratieff). Pour
Schumpeter, cela s’explique par une innovation majeure ou une grappe
d’innovations déclenchant un nouveau cycle. Ce serait le cas de la machine à
vapeur, des métiers à tisser, de la voiture,…
Des années plus tard, Solow mis en évidence un paradoxe atténuant la
portée de cette théorie. En effet, les nouvelles technologies de l’information
(NTIC) sont censées représenter l’innovation majeure d’un cycle Kondratieff.
Malheureusement, l’averse attendue de gains de productivité n’est pas au
rendez-vous : les NTIC ont eu un effet positif mais bien inférieur aux
attentes. Les observateurs notent même que la démocratisation de la machine à
laver provoqua plus d’effets !
Oui, le progrès technique permet de générer de la croissance…
C’est un fait : le progrès technique est une des composantes
majeures de la croissance. On en retrouve ses bienfaits sur deux
composantes :
L’Offre
Le progrès technique permet de produire plus vite et/ou mieux : cela
génère des économies d’échelle et des gains de productivité, qui entraînent une
diminution des coûts de production. Le progrès joue également un rôle majeur
dans la diversification et l’intensification de la production, pouvant créer un
monopole temporaire : l’entrepreneur disposera alors d’une rente de
monopoleur.
La Demande
Cette diminution des coûts de production peut entraîner une baisse des
prix pouvant stimuler la demande et les exportations. En parallèle, les
entreprises réalisent alors des marges plus importantes ce qui permet de
distribuer les profits, d’investir, d’augmenter les salaires et/ou d’embaucher.
Kaldor pense même que c’est la croissance (de la demande) qui oblige à
toujours aller de l’avant et rechercher le progrès technique afin de satisfaire
cette demande.
Au-delà de l’aspect croissance, le progrès technique a révolutionné nos
modes de vie : médecine, hygiène, éducation, qualification, famille,…Et il
faut admettre que ces transformations sont aussi des facteurs supplémentaires de
croissance.
…mais, sans cadre, provoque différents problèmes
Pour Alfred Sauvy, la problématique du progrès technique doit être
abordée sur deux plans : le court terme et le long terme.
A court terme
En augmentant la productivité du travail, l’innovation et le progrès
technique permettent de produire plus ou de manière identique avec moins. Ce
processus destructeur d’emploi est donc synonyme de chômage et de diminution de
la demande…au moins à court terme. Si le chômage augmente et que le pouvoir
d’achat est affecté, la croissance risque de faiblir.
A long terme
Selon la théorie du déversement, l’effet négatif à court terme serait
plus que compensé à long terme. Le chômage serait un mal temporaire et
localisé, car les gains de productivité permettraient d’augmenter les salaires,
la consommation, l’investissement et les embauches ! Les emplois détruits
d’un coté, seraient récréés ailleurs, en nombre plus importants et réclamant
des qualifications supérieures.
Les limites du Progrès Technique et des théories
Il est important de rappeler que les théories de la destruction-créatrice
et du déversement ont été élaborées au XXe siècle. Or l’Économie n’est pas une
science figée : elle évolue avec le temps. Les bases historiques sur
lesquelles ont été construits ces modèles sont quelque peu obsolètes aujourd’hui ;
j’en évoquais déjà les limites dans mon précédent article sur « la fin du travail ».
On peut noter plusieurs limites au transfert d’emploi/activité,
conséquences directes du progrès technique :
- Il n’est pas immédiat. A. Sauvy l’a bien noté mais il en occulte les conséquences sociales et fiscales : Que faisons-nous du manque à gagner en termes de cotisations et prélèvements ? Que faisons-nous des familles sans emploi ?
- Il n’est ni systématique, ni égal. En effet, les effets du déversement sont difficilement mesurables. Cela dit, en toute logique, on imagine bien qu’une fermeture d’usine de 1000 personnes dans un point A, ne générera pas la création d’une autre usine de 1000 personnes dans un point B.
- Il ne tient pas suffisamment compte de l’aspect humain. En effet, ce modèle théorique évoque peu la situation des laissés-pour-compte, du temps de reconversion – voire de la possibilité même de se reconvertir – du vieillissement de la population et de la détresse humaine qu’une perte d’emploi peut entraîner.
- Le déversement…mais vers quoi ? Le principe du déversement pourrait se décortiquer en un déversement des emplois du secteur primaire (agricole) vers le secondaire (industrie) puis vers le tertiaire (services). Le problème est de savoir dans quoi se déversent les emplois perdus du tertiaire ? Or aujourd’hui, personne ne tombe d’accord sur ce nouveau secteur : pour certains c’est la finance et l’administration, pour d’autres c’est l’économie de la connaissance…Et la liste des candidats est longue : l’économie du bénévolat et de l’associatif, l’économie sociale et solidaire, un secteur aux produits et services encore inconnus aujourd’hui,…A croire que les extraterrestres vont débarquer ! Enfin bref, cette recherche du Graal du quaternaire me fait penser au besoin (parfois ridicule ?) de trouver une nouvelle forme d’économie comme je l’évoquais précédemment dans « Quelle couleur pour l’économie ? ».
En conclusion, on peut affirmer avec conviction que le progrès technique
est facteur de croissance. Il permet de générer des gains de productivité, d’améliorer
les conditions de vie, de créer plus de richesses,…Autant de valeurs positives
et de bienfaits pour l’humanité ! Sans progrès technique, nous n’en
serions pas ici.
Mais attention, le mot « progrès » est un mot-valise : il transmet une sensation presque naturelle d’effet positif. Pourtant il vaut mieux l’appréhender comme une forme d’évolution qui peut être bonne ou mauvaise. Ainsi, il apparaît que le progrès peut aussi apporter son lot de désagréments.
Schumpeter, dans « Capitalisme, Socialisme et Démocratie »
nuance la destruction-créatrice par le besoin de règles. Sans règles humaines,
on risquerait de sombrer dans la loi de la jungle, ce qui serait défavorable à
l’économie.
Le processus de création-destructrice tout comme la théorie du
déversement relève d’un autre temps. D’un point de vue plus général, l’économie
peut perdre de sa fibre sociale et en oublier le facteur humain (facteur H). L’économie
évolue sans cesse et, sans surprise, ces modèles ne prennent pas en compte
certains faits et certaines évolutions. Il faut donc les renouveler plutôt que
les prendre au pied de la lettre.
Enfin, le progrès soulève des questions d’éthiques et de soutenabilité.
Je ne l’ai pas évoqué car il était question de progrès technique et de
croissance mais on peut, à juste titre, se demander si au nom de la croissance
et de la productivité, tout progrès est bon à prendre ? Répondre à cette
question implique de se pencher sur l’imperfection de l’indicateur « Croissance »
qui appartient également à une autre époque.
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