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mercredi 20 août 2014

Les Défenseurs de l'Euro

Les chiffres sont tombés : au cours du deuxième trimestre, la France enregistre une croissance nulle (+0%) tandis que l’Allemagne passe en dessous de zéro. Quelques jours après que le président François Hollande ait demandé – en vain – à l’Allemagne de faire des efforts, les hostilités commencent avec l’Europe : « Seule une réponse européenne globale peut apporter réponse » déclare le ministre des Finances Michel Sapin le jeudi 14 août 2014 dans une tribune publiée par Le Monde. Et dans « Europe », il y a « Euro »…



Pourtant les articles d’économistes pro-Euro fusent encore sur la toile : « L’Euro favorisera le commerce », « l’Euro créera des emplois », « l’Euro nous protégera des crises », etc… On les connait bien ses formules à l’emporte-pièce.
Depuis quelques temps, les économistes favorables à l’Euro ont changé leur fusil d’épaule. En effet, quelques irréductibles confrères pointent – parfois depuis le début – les erreurs dans la construction de l’Euro (cf. mon précédent article ici). Le débat prenant de l’ampleur, les défenseurs de l’Euro ont fourni des efforts considérables pour étouffer le débat « rester ou sortir de l’Euro ». Mais trop tard, la boite de Pandore s’est entrouverte.

Pour éviter de parler des échecs de l’Euro, la stratégie a alors été de dénigrer les arguments allant à l’encontre de la monnaie unique. Et quelque chose m’a frappé dans ce contre-argumentaire : il s’agit de réflexions souvent idéologiques (sans fondement) et toujours sur le même credo (comme une poésie apprise par cœur).

Analysons donc les principales formules-choc des pro-Euro :  


1/ Si on sort de l’Euro, cela va favoriser la planche à billets, donc l’inflation galopante puis l’effondrement de notre économie

Cette histoire de la création monétaire inflationniste pour rembourser les dettes, on la sert à toutes les sauces. Vous ne trouverez jamais de chiffres ou de prévisions car ces économistes utilisent ce conte pour enfants pour effrayer le grand public : « vous allez perdre votre épargne », « cela ruinera les entrepreneurs », « on va se retrouver en situation d’hyperinflation comme les allemands après la guerre », etc…

La première faille dans ce discours, c’est de laisser croire qu’en cas de sortie de l’euro, les gouvernements créeront de la monnaie sans aucune limite à l'aide de leur banque centrale. Ces mêmes économistes, qui se prétendent être des experts, ne peuvent imaginer qu’un gouvernement soit raisonnable et utilise convenablement nos connaissances en économie monétaire.
En cas de rupture avec la monnaie unique, et en étant objectif, il paraît évident que la banque de France créera de la monnaie pour favoriser la croissance et/ou financer une partie de la dette publique. Mais pourquoi imaginer que les spécialistes de la Banque de France feraient n’importe quoi ? On retrouve ici un cas d’idéologie où il faut absolument dénigrer le rôle de l’État ; autrement dit, la plupart des économistes pro-Euro partent du principe que l’État c’est le mal et qu’il faut limiter son champ d’action par tous les moyens. Y compris en enlevant la question monétaire du contrôle démocratique.

La deuxième faille, c’est l’état de l’inflation actuelle. En effet, on nous promet une inflation exponentielle en cas de sortie de l’euro mais rien n’est dit sur le risque de déflation qui nous guette en ce moment même. Or, si l’inflation devient négative (= déflation), on rentre dans un cercle vicieux : les prix baissent puis les salaires suivent, ce qui pousse les prix à baisser et ainsi de suite. Le Japon est passé par là et on sait que la déflation génère une trappe à liquidité où il vaut mieux remettre les investissements à plus tard. Bref, on ne peut qu’être surpris par cette menace de l’hyperinflation alors que la misère déflationniste est à notre porte !

La dernière faille se retrouve dans l’observation de nos voisins directs : ces pays européens qui n’ont pas adhéré à la monnaie unique. Eux aussi subissent les effets de la crise économique mais est-ce que l’inflation s’envole chez ces pays hors zone-Euro ? Le graphique suivant répond à la question en mettant l’inflation française en parallèle avec celles des pays ayant conservé leurs propres monnaies.


La conclusion est sans appel : euro ou non, on ne descelle pas de trace d’inflation.
S’il y a bien un élément alarmant à noter, ce n’est pas l’inflation galopante mais le risque généralisée de déflation en Europe. Ces pays maître de leur monnaie pourraient pourtant faire tourner la planche à billets à plein régime mais visiblement les gouvernements voisins ne sont pas aussi bête qu'on voudrait nous le faire croire…

Sur le risque inflationniste, certains économistes très sérieux comme Eric Heyer (de l’OFCE) ont calculé qu’une dévaluation de notre monnaie à hauteur de 20% entraînerait moins de 2% d’inflation…ce qui n’est pas la mer à boire. Nous serions bien loin de l’hyperinflation.
Si l’on pousse le raisonnement plus loin dans le temps, on trouve de nombreux pays ayant dévalué par le passé sans qu’on puisse noter une augmentation massive de l’inflation (l’Italie en 1992 par exemple).



2/ Si on sort de l’Euro, notre monnaie va se faire attaquer par les marchés, les taux d’intérêt vont exploser et ce sera la fin de la France

Avant l’Euro, nous avions des monnaies nationales sans que cela ne surprenne qui que ce soit. Il y a bien sûr eu quelques crises où il a fallu intervenir contre la spéculation mais cela reste épisodique.Pourquoi est-ce que sortir de la monnaie unique devrait y changer quoi que ce soit ? Très franchement je ne sais pas.

Les marchés ne sont pas de grands méchants loups qui se jettent sur l'agneau sans raison. Certes ils ne sont pas parfaits et agissent parfois de manière irrationnelle (économiquement parlant). Pour autant, les marchés n’attaqueront une monnaie que si le taux de change est disproportionné et/ou que les réserves monétaires sont faibles.
Les économistes pro-euros aiment brandir l’exemple de la livre sterling attaquée en 1992 mais il y avait de quoi parier dessus. Il s’agit d’éléments quantifiables et calculables que les banques centrales nationales devront de nouveau maîtriser…mais rien d’effrayant en soit. Et pour la petite histoire, la livre sterling a survécu à l’attaque de 1992 ; le Royaume-Uni annonce même un taux de croissance de 3,4% pour 2014.
Mais pourquoi se pencher sur ces questions alors qu'on nous avait promis que l’Euro nous protégerait de la spéculation et des lubies des marchés ? La Grèce, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie et le Portugal auraient bien du mal à avaler ces salades aujourd'hui. Même en France, pas un jour ne passe sans qu'il ne soit question de la menace des marchés. Pourquoi s’obstiner à ne pas reconnaître que l’Euro n’est pas une barrière contre la spéculation et les "injonctions" des marchés financiers ?

Notez qu'il y a un peu de vrai dans l'affirmation numéro 2 : ce qui est possible, c’est la hausse des taux d’intérêts de la dette publique et privée. Mais dans quelles proportions ? 
En sortant ma boule de cristal d’économiste, on peut imaginer que la France continuera d’attirer des financements au détriment des voisins du sud de l’Europe et que les taux d’intérêts n’exploseront pas comme le prédisent certains. 
Pourquoi ? Tout simplement parce que 1/ il y a un excès mondial de liquidités à placer (entreprises et fonds de pension), que 2/ il n’y a pas tant de placements aussi sûrs et rentables qu’avant et enfin 3/ que nous sommes déjà en présence de profondes incertitudes sur l’avenir. Disons que financer la dette publique française c’est un choix par défaut pendant au moins plusieurs années et, cela, pour de nombreux investisseurs.



3/ Si on sort de l’Euro, nous allons avoir une escalade de mesures protectionnistes voire la fermeture des frontières

Compte tenu de notre appartenance à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), il est peu probable qu’une sortie de l’Euro provoque l'application de nouvelles mesures protectionnistes. Dans les pays développés, les mesures tarifaires (par exemple les droits de douane) sont à ras les pâquerettes. Les accords bilatéraux (entre deux pays) sont légion depuis quelques temps et représentent un nouveau frein au protectionnisme. Du coup, les pays développés recourent à des barrières non-tarifaires (exclusivité culturelle, normes strictes,…) qui n’ont plus rien à voir avec le protectionnisme des siècles précédents.

Dans l’Union Européenne, tout a été fait pour développer le commerce entre membres et la monnaie unique n’est qu’accessoire. En effet, depuis la Communauté Économique Européenne, les instances européennes se sont battues pour libéraliser les marchés et détruire les barrières au commerce. Avec ou sans monnaie unique, les pays membres de l’Union Européenne doivent s’y soumettre (avec quelques exceptions).
Il y a cependant une astuce : le dumping. En effet, si tout est fait pour libéraliser les marchés, rien n’est dit sur la dévaluation monétaire, la déflation salariale, la stratégie du passager clandestin ou le moins-disant fiscal/social. Ainsi, entre pays-membres de la zone Euro, aucun texte n’empêche la baisse des salaires, la suppression des normes de sécurité ou la baisse excessif les taux d’imposition pour attirer entreprises et particuliers. Cette course au moins-disant fiscal et social est à l’œuvre car nous n’avons plus le pouvoir de dévaluer notre monnaie ou de nous protéger.

La concurrence est déjà imparfaite et parfois déloyale entre pays membre de la zone Euro (bien que conforme à l’OMC et au droit européen) ; l’Euro n’a rien à voir là dedans. A moins d’avancer dans l’intégration et la coopération européenne, il ne peut y avoir d'amélioration notable, Euro ou pas. Il s’agit donc d’une question de volontarisme politique et non de monnaie unique. Prétendre qu’il faut conserver la monnaie unique pour le bien du commerce international est un non-sens.
On pourrait d’ailleurs voir le problème à l’envers : la crise économique européenne, dans laquelle nous sommes empêtrés, représente-t-elle un bienfait pour le commerce international ?

Si, aujourd’hui, on parle de semi-mondialisation (selon les termes de Jean-Hervé Lorenzi dans « un monde de violences » aux éditions Eyrolles) c’est que tous les indicateurs du commerce mondial souffrent de la crise. Une crise interminable car nous n’avons plus la maîtrise de tous les outils économiques et monétaires.

Pour clore le sujet, les pro-Euro inquiets de l'état du commerce international ne devraient-ils pas dénoncer les décisions des instances européennes sur les mesures de rétorsion entre l’Union Européenne et la Suisse ou la Russie? 
L’absence de démocratie à l’échelle européenne n’est-il pas un frein à la mondialisation et au commerce international ?



4/ Si on sort de l’euro, la production industrielle n’ira pas mieux et les nouveaux taux de change vont pénaliser nos activités bancaires, financières et commerciales (import/export)

Une phrase de l’économiste João Ferreira do Amaral [dans "Pourquoi devons-nous sortir de l’Euro" aux éditions Lua de Papel] permet de retourner le problème :
"En vérité, l'implémentation de la monnaie unique n'a aucune justification économique"
Les critères présents dans le traité de Maastricht n’ont aucun lien avec la compétitivité, la structure productive, la productivité, le type d'économie ou la production. Il est uniquement question de réduire les options nationales en matière de politique économique. En réalité, l’Euro a détruit les politiques industrielles (faute d’en établir une au niveau européen) et favoriser le dumping fiscal/social entre États-membres au nom de la libre concurrence.
Regardez l’état de la production dans la zone Euro depuis 1999 :


De l'autre coté, les économistes estiment qu’une surévaluation de 10% de l’euro est responsable d’une perte de croissance comprise entre un demi-point et un point (pour la France). De fait, avec un taux de change de 1 euro pour 1,33$ (comme aujourd’hui), cela correspond à un gâchis de 1 à 2% de croissance.



5/ Si on sort de l’euro, on ne pourra jamais former les États-Unis d’Europe et surtout on risque une troisième guerre mondiale

Comme je l’ai dit à maintes reprises, la crise de l’Euro n’a que de deux issues possibles : le fédéralisme ou la fin de la monnaie unique (cf. ici).

Les partisans de l’Euro promettent que le fédéralisme est à portée de main : un jour nous aurons 10% de notre fiscalité en commun, la France aura un droit de regard sur le budget allemand, les paradis fiscaux auront disparu, le chômage baissera, etc… En suivant ce chemin tracé par les prophètes, on laisserait derrière nous les guerres et les conflits.

Cette vision est complètement utopique. Je m’explique.

Le budget européen c’est moins de 1% du PIB européen. Une goutte d’eau. Pourtant ce budget, tous les États-membres essaient de le négocier à la baisse. Même lorsque nos voisins européens étaient en difficulté, il a fallu des mois de négociation et de souffrances pour que soit autorisé une entraide (très limitée et limitative). A qui va-t-on faire croire que demain nous mettrons jusqu’à 10% – ou même 20% – de notre PIB en commun ?

Les paradis fiscaux font partie intégrante de l’Union Européenne et chaque état-membre profite d’au moins l’un d’entre eux. Les élites politiques et financières, consanguines, jouent des pieds et des mains pour limiter toute régularisation dans ce domaine. Le coup du « les paradis fiscaux c’est terminé », on risque de l’entendre encore plusieurs fois sans véritable remise en question.

Je pourrais encore parler du droit de regard sur les budgets des voisins (imaginez François Hollande dire non au projet de loi de finances allemand…) mais à quoi bon ? Les États-membres se livrent une concurrence féroce, dans les règles des traités, et ne sont pas prêt à avancer. Les États-Unis d’Europe c’est la promesse des lendemains qui chantent, c'est-à-dire la Saint Glinglin. Or, tant que la zone monétaire européenne sera imparfaite, les crises vont s’enchaîner, au détriment des populations et de l’Économie.

Enfin, aucune raison ne laisse penser que la fin de la monnaie unique favorisera une troisième guerre mondiale. Les économistes sont à deux doigts d’atteindre le point Godwin quand ils sont en panne d’arguments et c’est bien malheureux. Créer un climat de terreur pour justifier une idéologie qui refuse de s'affirmer en tant que telle, est vraiment la dernière cartouche.
Encore une fois, je prendrais cet argument à revers : combien de temps encore les européens pourront encore souffrir du chômage, de la baisse de pouvoir d’achat et de la destruction de leur protection sociale ? Une étude récente montrait qu’une majorité de jeunes français serait prêt à manifester si le sentiment de devenir la « génération perdue » devenait trop fort. Pour ma part, je pense qu’il en faudrait beaucoup plus pour créer un nouveau mai 68 mais cette population, résignée démocratiquement, pourrait cependant passer aux choses sérieuses si « un Nous pourrait se former » selon les termes de Jean-Hervé Lorenzi.



La fin de l’Euro en tant que monnaie unique, n’est pas nécessairement synonyme de fin de l’Euro et encore moins de fin l’Union Européenne. La solution la plus raisonnable serait de conserver l’Union Européenne et même l’Euro en tant que monnaie commune (mais plus unique).
Au-delà du débat sur l’Euro, c’est la question de la libre expression et de la démocratie qui est en jeu. Les instances européennes et la plupart des économistes médiatisés étouffent les débats citoyens sous de faux airs de technicité. Ce n’est pas de cette façon que nous sortirons de la crise par le haut.

vendredi 6 juin 2014

BCE-Day 05-06-2014

La journée du 5 juin 2014 a été riche en déclarations et communiqués.

Il aurait pu s’agir de la commémoration du débarquement (prévu initialement le 05 juin 1944 mais décalé au lendemain à cause d’une mauvaise météo) mais non ! Il est question de Banque Centrale Européenne (BCE) et de ses décisions.



Le président de la BCE, Mario Draghi, estime qu’un euro fort serait une contre-indication à l’un de ses objectifs : celui d’une inflation contrôlée à 2%. Or, lorsque l’euro s’apprécie de 10%, c’est entre 0,4 et 0,5 point d’inflation en moins. Nous pouvons alors conclure qu’il est difficile de respecter son engagement quand l’euro ne cesse de grimper.

Durant l’après-midi du 5 juin, nous pouvons relever deux informations primordiales :
  • Vers 13h45 : la BCE baisse son directeur (refinancement) de 0,25% à 0,15% puis applique un taux d’intérêt négatif aux facilités de dépôt (-0,10%). Pas d’inquiétude si cela ne vous dit rien, nous allons revenir dessus.
  • Vers 14:30 : la BCE annonce des sommes substantielles (400 milliards d’euros) mobilisées pour les banques et le financement de l’économie.



ÉTAPE 1.A : Baisse du taux directeur (refi)


De quel taux parlons-nous ?
Il faut savoir que les banques centrales déterminent plusieurs taux d'intérêt. Quand les médias parlent de taux d'intérêt ou du taux directeur, il est généralement question du taux de refinancement à court terme : le coût de l'argent pour se refinancer à court terme auprès de la banque centrale. Concrètement, les banques commerciales peuvent emprunter à court terme sur la base de ce taux d’intérêt pour alimenter leurs crédits à long terme ou placer l'argent à un meilleur taux.

A 0,15%, les banques empruntent pour une bouchée de pain et peuvent prêter plus facilement ; c’est en tout cas ce que la BCE espère. Cela dit, on peut se demander si une baisse de 0,25% à 0,15% changera quelque chose…



ETAPE 1.B : Des dépôts payants


De quel dépôt s’agit-il ?
Les banques commerciales peuvent déposer de l’argent à la BCE dans deux comptes : le compte courant et la facilité de dépôt.
Le premier n’est pas rémunéré (comme votre propre compte-courant) mais l’argent disponible est facilement utilisable. Le second était autrefois rémunéré mais ne l’est plus depuis juin 2012. A ce moment là, les banques y avaient engrangé un véritable trésor de guerre : plus de 800 milliards d’euros ; la BCE voulait voir cette somme réinvestie dans l’économie réelle et a décidé d'appliquer un taux d'intérêt nul. 

Résultat à court terme? Les banques ont transféré l’argent de la facilité de dépôt vers leurs comptes courants. 
A moyen terme, entre 2012 et 2014, pas loin de  700 milliards d’euros ont repris la voie de l’économie réelle et des marchés. La facilité de dépôt s'apparente à une coquille vide (à quoi bon y bloquer son argent sans percevoir de rémunération ?) et les comptes courants contiennent moins de 200 milliards d’euros.

Hier, la BCE a décidé d’appliquer un taux négatif sur la facilité de dépôt, ce qui la rend, de fait, payante. Est-ce que cette mesure changera quelque chose ? Probablement pas car il ne restait déjà plus grand-chose à gratter.



ÉTAPE 2 : Quantitative Easing

Mario Draghi a enfoncé le clou en annonçant de nouvelles mesures de refinancement des banques et surtout l'achat de crédits privés titrisés. La somme mise à disposition des banques et in fine de l’économie réelle est conséquente : 400 milliards d’euros.



RÉSULTAT

Pour l’heure, les marchés ont réagi impulsivement mais le taux de change EUR/$ est vite revenu à la normal comme vous le constaterez dans le graphique ci-dessous. Il faudra plusieurs jours pour que la mayonnaise prenne…si elle doit prendre.



Je ne suis pas certain que ces mesures exceptionnelles permettront de baisser la valeur de l’Euro ou de relancer la machine :
  1. Les changements de taux ne devraient pas entraîner de conséquences majeures car ils étaient déjà très bas.
  2. Les mesures de refinancement des banques pourraient apporter de l’eau au moulin sachant que les 400 milliards ne pèseront pas lourds face aux deux opérations (dîtes LTRO) précédentes de la BCE et qui représentaient déjà 1000 milliards (2011-2012).
  3. L’économie est morose et les acteurs privés se désendettent en ce moment même : pas sûr que les banques arriveront à prêter cette manne financière. Il est tout à fait possible que cela alimentera une bulle, par exemple dans l’immobilier.
  4. Mario Draghi souhaite baisser le taux de change de l’Euro en injectant des milliards d’euros et en favorisant le crédit. Sur le papier, c’est plausible. Toutefois, les pays européens se serrent tous la ceinture pour favoriser leurs exportations. Se faisant, elles accroissent leurs exportations et affaiblissent leurs importations, ce qui aura pour effet mécanique…de faire grimper le cours de l’Euro.
  5. En cas de pépin, la BCE sera-t-elle vraiment capable d'utiliser le "bazooka", c'est-à-dire intervenir sur les marchés (secondaires) en faveur des états?  Lors de la conférence de presse, il y a eu un "petit" cafouillage (avant que Mario Draghi ne se reprenne) lors d'une question relative à la stérilisation de l'OMT (Opérations Monétaires sur Titres ou en d'autres termes l'intervention de la BCE sur les marchés secondaires de la dette souveraine). Cela pourrait laisser supposer que le "bazooka" anti-crise ne soit pas le sujet principal des discussions à la BCE...Sans compter les levées de boucliers de la Karlsruhe (cour constitutionnelle allemande).


SUITE ?

Il reste encore quelques outils dans la besace de la BCE. Elle pourrait par exemple taxer les comptes courants des banques (ce qui dégagerait 185 milliards d’euros), annoncer de nouveaux projets de refinancement des banques, racheter de la dette publique (sur le marché secondaire pour respecter les traités européens) voire acheter des dollars avec nos euros ! La dernière solution aurait des effets immédiats mais qui générerait une guerre des monnaies car la FED (Banque Centrale Américaine) n’acceptera jamais de casser la compétitivité américaine.

mercredi 30 avril 2014

Le Principe de Peter

Selon L. Peter et R. Hull, à force de promotion, nous sommes condamnés à atteindre notre "seuil d’incompétence". Ainsi, et sauf exception notable, n’importe quel poste est, ou sera, occupé par un incompétent. C’est ce qu’il sort de leur ouvrage intitulé "Le Principe de Peter » (aux éditions "Le Livre de Poche").


 

Plusieurs raisons au Principe de Peter


Un phénomène mécanique

Un individu compétent à un niveau A est promu à un niveau B, puis C…jusqu’à atteindre son seuil d’incompétence ; il n’aura alors plus de promotion.
Quel que soit le système économique ou politique en vigueur, la majorité des humains ont besoin d’une hiérarchie et seront enclins à grimper les échelons pour différents motifs (titre, argent, respect, reconnaissance, admiration, pouvoir,…). Les auteurs se réfèrent à Freud qui, d’un point de vue interne, expliquait ce comportement par le besoin de changer de situation (devenir le père, la mère,…) ou à Potter, qui raisonne d’un point de vue externe, pour affirmer que nous voulons passer devant les autres et obtenir un « avantage ». Selon ce dernier, tous les moyens seraient bons pour arriver à nos fins.

Une limite innée ?

Certains d’entre nous ne savent pas prendre de décision. Là encore, nous pourrions en chercher les raisons mais ce n’est pas la question aujourd’hui.
En management, les théories souhaitant diviser l’humanité en deux groupes sont monnaies courantes et chaque spécialiste s’approprie cette thèse (comme Douglas Mc Gregor avec les X et les Y). Ici, il est question des « invertis de Peter », ceux qui font la confusion entre la fin et les moyens et qui ne prennent jamais de décision par eux-mêmes. Nous connaissons tous des gens qui se sont enfermés dans les procédures et n’en sortent jamais, si bien qu’ils en oublient pourquoi ces règles ont été mises en place : mieux servir le client ou l’administré. Si, après une promotion, un inverti de Peter doit gérer des situations difficiles impliquant une prises de décisions, ils aura franchi le seuil d'incompétence.

Respecter la norme

Toute organisation sélectionne en priorité les individus les plus conformes, les plus moyens, les plus standards : ceux dans lesquels se reconnaît la masse. Elle évitera les extrêmes, les avocats du diable et les individus pouvant perturber la stabilité et les habitudes de l'organisation.
Pour éviter une situation où il n’y aurait plus de remise en cause, il faut trouver des correctifs : une des solutions est de confier le recrutement à des sociétés externes.



Conséquence du principe de Peter dans les organisations

Les compétents et les incompétents se côtoient, se jugent mais tout va bien tant qu’il reste dans la norme. En effet, celui qui juge in fine, c’est le supérieur et il y a deux possibilités :
1/ Il n’a pas franchit son seuil d’incompétence et il se basera sur des indicateurs chiffrés (le rendement, le nombre de dossier,…).
2/ S’il a passé son seuil d’incompétence, il va alors juger sur les moyens et les normes : le respect des horaires, la tenue vestimentaire, la politesse avec les supérieurs,…

Dans le deuxième cas de figure, le plus courant apparemment, le souci ce sont les employés extrêmes, ceux que l’auteur nomme les super-compétents ou les super-incompétents ; ceux-là sortent trop de la norme et ne pourront pas rester dans l’organisation. Les premiers vont généralement la quitter (volontairement ou involontairement) pour s’épanouir, les derniers devront se repositionner ailleurs. Il y a bien une exception : les employés protégés par un supérieur mais là, disons que cela court-circuite l’évolution naturelle des choses…



Conséquences sur l’individu

Une personne ayant dépassé son seuil d’incompétence ne s’en rendra presque jamais compte. D’ailleurs, elle accepte sa dernière promotion en toute honnêteté, pensant être à la hauteur du nouveau poste et, même, d’avoir mérité tout cela.

En général, elle va développer une série de maux physiques témoignant de son mal-être, un peu comme si son corps souhait extérioriser les difficultés du quotidien. Ces ulcères et maux de tête vont devenir le bouc émissaire de l’incompétence et l’individu va sans arrêt le faire savoir autour de lui. Par contre, à aucun moment il ne sera question de son incompétence ou de la possibilité qu’un tiers puisse exercer sa fonction sans problème.

Il est possible aussi que l’individu se focalise, de manière exclusivement, sur une tâche secondaire : c’est le principe de substitution. La personne se concentre alors sur un point précis et maîtrisé du nouveau poste jusqu’à en faire son obsession. C’est une manière d’éviter de mettre les pieds dans le plat et de montrer que l’on est incompétent tout en donnant l’impression de faire du bon boulot – bien que pas forcément utile. Cette astuce permet de rester en bonne santé physique et mentale.

Vous me direz : « pourquoi ne pas simplement refuser la promotion ? ».
Et bien, ce n’est souvent pas aussi simple. Les auteurs n’entrent pas trop dans le détail mais je pense qu’il s’agit d’une pression sociale. L’employé refusant une promotion mérité (au départ), c’est le fainéant, le peureux ou celui qui n’a pas d’ambition. Mais c’est aussi le mari ou l’épouse soumis, qui n’est pas capable de donner le meilleur à sa famille. Et c’est aussi l’ami qui accepte de rester en dessous du statut de son propre groupe d’amis…Refuser une promotion est donc compliqué socialement, d’autant plus qu’on ne sait pas forcément où se situe notre seuil d’incompétence. C'est aussi difficile de freiner ses propres pulsions nous poussant à nous élever et à demander toujours plus.

Cela dit, si l’individu s’est fixé un seuil (son poste lui convient à 100% par exemple), il existe une meilleure solution que de refuser une promotion ; c’est d’ailleurs ce qui est préconisé dans le livre : l’incompétence créative. Cette technique, consciente ou inconsciente, permet d’empêcher la promotion finale et donc de rester (juste) en dessous de son seuil d’incompétence. Pour y arriver, il faut simuler l’incompétence en ratant des objectifs secondaires qui n’ont aucune incidence sur les obligations principales de la fonction actuelle.
Les deux auteurs citent en exemple cet excellent jardinier qui permet systématiquement les factures et qui ne sera donc jamais promu responsable. Pourtant sa femme soutient qu’à la maison, il note tout minutieusement…Je pourrais aussi vous citer un exemple personnel d’un responsable opérationnel encaissant (très) en retard, voire égarant, ses chèques personnels alors qu’il tenait son budget familial d’une main de fer…Bizarrement, avant les faits, on le prédestinait à devenir le prochain dirigeant d’une filiale du groupe !



Sans cette dernière technique, l’homme est condamné à atteindre son niveau d’incompétence. Or, le travail est effectué par les compétents, ceux qui sont en dessous du seuil d’incompétence. Mais que se passe-t-il quand ils ne sont plus assez pour faire tourner la machine ?

Cette incompétence, que les auteurs comparent à un germe enfoui dans l’Homme dès la naissance ne concerne pas que le travail : ils procèdent à son prolongement darwinien où on l’arrive au niveau d’incompétence totale à vivre… Extrapolons donc : que se passe-t-il quand des les personnes aux commandes (gouvernements, dirigeants d’entreprise,…) ne sont plus capables d’enlever le grain de sable enrayant l’Économie ? Il faut alors compter sur les autres mais encore faut-il leur laisser la possibilité de le faire.

mercredi 23 avril 2014

Les casseurs du SMIC

Le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) garantit un plancher de rémunération pour les salariés les plus modestes. D’une certaine façon, cela permet de partager les fruits de la croissance et des gains de compétitivité en favorisant la progression des pouvoirs d’achat.

Pourtant, au cœur d’une crise qui s’éternise, des voix s’élèvent parmi les "experts" pour demander la mise en quarantaine du SMIC : suppression du SMIC pour certains, création d’un SMIC intermédiaire (SMIC jeune, SMIC premier emploi ou SMIC chômeur de longue durée) pour d’autres.




Inception

Cette petite histoire pourrait bien commencer par les propos de Pascal Lamy mais non.

La remise en cause des protections sociales (sécurité sociale, protection au travail,…) est un fait avéré depuis une trentaine d’années. Ce n’est pas la première fois que le SMIC est attaqué. On peut ainsi noter, en 1994, le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) et, en 2006, le CPE (Contrat de Première Embauche), deux mesures jamais appliquées.

La crise des Subprimes et des failles de l’Euro n’ont été qu’un accélérateur. Les casseurs de la protection sociale se sont engouffrés dans la brèche, en étouffant les causes même de la crise : la dérégulation d’une finance (sans limites), la hausse des inégalités compensée par la consommation à crédit, et, enfin, une zone euro hétérogène, non optimale et régie par des règles absurdes.

Plutôt que de tenter de soigner le malade, les médecins tentent d’en faire disparaître les symptômes…quitte à tuer le patient. Cette maladie arrange certains intérêts à bien des égards car un patient faible accepte toutes les préconisations : gel des salaires, coupe dans les prestations sociales, affaiblissement de l’État, destruction de la législation du travail, cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises,…


C’est dans cette sombre partie d’échecs, que Pascal Lamy passa à l’attaque…un 2 avril 2014 sur LCP :
« […] à ce niveau de chômage il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au SMIC. »
Le même Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), qui fut un des initiateurs de la déréglementation complète du marché des capitaux en Europe (avec son ami Delors en 1990). Cette belle dérégulation qui alimente le feu d’une crise qui n’en finit pas…


L’idée est immédiatement relayée par trois économistes très médiatisés, le 3 avril 2014, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen dans un livre intitulé "Changer de Modèle" aux éditions Odile Jacob. Leur remise en cause du SMIC tient, en tout et pour tout, sur 4 misérables pages (sur 180) mais la réaction est immédiate : le SMIC brûle sur toutes les lèvres et dans tous les médias !
Au passage, ces trois économistes avaient rendez-vous à un déjeuner avec le président Hollande le 15 avril…Rien que ça !

Il fallait marquer le coup : ce fut, le 15 avril. Pierre Gattaz, président du MEDEF, patrons des grands patrons, se déclare favorable à la création d’un SMIC intermédiaire pour les jeunes en difficultés.

"Inception" réussie (pour ceux et celles qui n’ont pas vu le film : l’implantation d’une idée dans le subconscient).



Une solution pour un mauvais constat

Il faudrait agir car, pour reprendre les termes de Pierre Gattaz, nous serions « au bord du précipice », celui d’un chômage élevé. Pour le trio d’économiste, Aghion-Cette-E.Cohen, le SMIC est un « obstacle ».

En apparence bonne, cette solution s’applique à un mauvais constat : le taux élevé de chômage serait structurel tandis que les marchés seraient efficients.
1/ Le taux de chômage était en dessous de la barre des 8% avant la crise de 2008 alors qu’aujourd’hui il frôle les 11%. Ce taux de chômage anormalement élevé n’est donc pas structurel mais conjoncturel : il est la conséquence d’une crise politique et financière.
Si les « experts » évoquent le départ des jeunes vers d’autres contrées, ils se battent pour baisser le SMIC et précariser les termes des premiers contrats de travail. On tombe vraiment dans le ridicule idéologique…

2/ N’importe qui de raisonnable (ou compétent?) admettra que les marchés ne sont pas efficients. On peut créer de splendides modèles théoriques mais cela ne reste que des modèles.
Il en est de même pour le marché du travail : les forces en présence ne sont pas égales et les plus précaires sont contraints d’accepter les conditions. En d’autre terme, le SMIC et la législation du travail représentent les seuils de négociation que notre société a jugé bon (digne ?) de ne pas dépasser.




Casser un SMIC déjà faible

Les mauvaises langues oublient souvent que les dérogations au SMIC existent déjà. Les mineurs (moins de 18 ans), les apprentis, les stagiaires, animateurs de centre de vacance et les salariés aux horaires non comptabilisables ne sont pas soumis au SMIC.

Alors que les inégalités explosent, le SMIC devient un rempart : un seuil à ne pas franchir au nom de l’indécence et de la dignité.
Plus de 10% des salariés sont concernés par le SMIC et les montants ne sont pas aussi affriolants que le laissent croire ses détracteurs. A 1445,38 euros brut (au 01/01/2014), soit un peu moins de 1130 euros net par mois à temps complet, la vie n’est pas un fleuve tranquille. Une fois déduit le loyer, le coût des transports, la nourriture, l’habillement et les autres dépenses incompressibles, il ne reste plus grand-chose pour vivre.
D’ailleurs, rappelons ici qu’en France le seuil de pauvreté est de 977 euros en 2011 pour une personne seule (60% du revenu médian).

Enfin, le coût du SMIC (c'est-à-dire, en bon français, la rémunération d’un Smicard) a été exagéré. En effet, les exonérations pour les bas salaires représentent déjà un cadeau de plus de 20 milliards d’euros par an. En plus du CICE, le premier ministre, Manuel Valls, a promis d’y ajouter la bagatelle de 4,5 milliards dès 2015…Pour peu qu’il y ait encore un SMIC.
Vous trouverez ci-dessous une modeste représentation graphique de cette explosion de ces « allègements » (certaines exonérations  n’ont pas été prises en compte comme le mécanisme « zéro charge », le CIR ou le contrat de génération).



Les études sur l’impact du SMIC

Que dire des différentes études sur l’impact du SMIC ?

Paul Wolfson et Dale Belman ont épluché les rapports sur le sujet depuis les années 2000 et concluent que si des études relèvent un quelconque impact, d’autres montrent que les conséquences ne sont pas significatives.

Neumark et Washer ont réalisés une étude sur le SMIC aux États-Unis et plusieurs pays de l’OCDE. Conclusion : la vision selon laquelle l’instauration d’un SMIC réduit l’emploi est erronée.

Enfin, un trio d’économiste (Addison-Blackburn-Cotti) tombe sur la même conclusion après analyse du secteur de l’hôtellerie-restauration.

Bref…comme souvent en économie, certains économistes ont réussi à trouver (ou créer) un impact du SMIC sur l’emploi, tandis que d’autres n’ont pas trouvé de corrélation. En d’autres termes : on ne sait pas et rien ne prouve quoi que ce soit.
Pour pouvoir l’affirmer, il faudrait modifier considérablement le SMIC et observer les résultats…

Mais est-ce le moment pour ce genre d’expérimentations alors que l’austérité bat son plein et que les inégalités explosent ?



Au moment où l’Allemagne instaure le SMIC, où les États-Unis et la Suisse pourraient relever le leurs, il me paraît assez ridicule de vouloir détricoter le SMIC chez nous.
Les économistes, tout comme les dirigeants, ne devraient pas inventer une science ad hoc pour justifier cette baisse/suppression/nivellement du SMIC. Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, a même dénoncé une « logique esclavagiste ».

Et puis…le malade ne serait toujours pas guérit après une cure, aussi amère soit-elle.
Loin de là.