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mercredi 23 avril 2014

Les casseurs du SMIC

Le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) garantit un plancher de rémunération pour les salariés les plus modestes. D’une certaine façon, cela permet de partager les fruits de la croissance et des gains de compétitivité en favorisant la progression des pouvoirs d’achat.

Pourtant, au cœur d’une crise qui s’éternise, des voix s’élèvent parmi les "experts" pour demander la mise en quarantaine du SMIC : suppression du SMIC pour certains, création d’un SMIC intermédiaire (SMIC jeune, SMIC premier emploi ou SMIC chômeur de longue durée) pour d’autres.




Inception

Cette petite histoire pourrait bien commencer par les propos de Pascal Lamy mais non.

La remise en cause des protections sociales (sécurité sociale, protection au travail,…) est un fait avéré depuis une trentaine d’années. Ce n’est pas la première fois que le SMIC est attaqué. On peut ainsi noter, en 1994, le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) et, en 2006, le CPE (Contrat de Première Embauche), deux mesures jamais appliquées.

La crise des Subprimes et des failles de l’Euro n’ont été qu’un accélérateur. Les casseurs de la protection sociale se sont engouffrés dans la brèche, en étouffant les causes même de la crise : la dérégulation d’une finance (sans limites), la hausse des inégalités compensée par la consommation à crédit, et, enfin, une zone euro hétérogène, non optimale et régie par des règles absurdes.

Plutôt que de tenter de soigner le malade, les médecins tentent d’en faire disparaître les symptômes…quitte à tuer le patient. Cette maladie arrange certains intérêts à bien des égards car un patient faible accepte toutes les préconisations : gel des salaires, coupe dans les prestations sociales, affaiblissement de l’État, destruction de la législation du travail, cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises,…


C’est dans cette sombre partie d’échecs, que Pascal Lamy passa à l’attaque…un 2 avril 2014 sur LCP :
« […] à ce niveau de chômage il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au SMIC. »
Le même Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), qui fut un des initiateurs de la déréglementation complète du marché des capitaux en Europe (avec son ami Delors en 1990). Cette belle dérégulation qui alimente le feu d’une crise qui n’en finit pas…


L’idée est immédiatement relayée par trois économistes très médiatisés, le 3 avril 2014, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen dans un livre intitulé "Changer de Modèle" aux éditions Odile Jacob. Leur remise en cause du SMIC tient, en tout et pour tout, sur 4 misérables pages (sur 180) mais la réaction est immédiate : le SMIC brûle sur toutes les lèvres et dans tous les médias !
Au passage, ces trois économistes avaient rendez-vous à un déjeuner avec le président Hollande le 15 avril…Rien que ça !

Il fallait marquer le coup : ce fut, le 15 avril. Pierre Gattaz, président du MEDEF, patrons des grands patrons, se déclare favorable à la création d’un SMIC intermédiaire pour les jeunes en difficultés.

"Inception" réussie (pour ceux et celles qui n’ont pas vu le film : l’implantation d’une idée dans le subconscient).



Une solution pour un mauvais constat

Il faudrait agir car, pour reprendre les termes de Pierre Gattaz, nous serions « au bord du précipice », celui d’un chômage élevé. Pour le trio d’économiste, Aghion-Cette-E.Cohen, le SMIC est un « obstacle ».

En apparence bonne, cette solution s’applique à un mauvais constat : le taux élevé de chômage serait structurel tandis que les marchés seraient efficients.
1/ Le taux de chômage était en dessous de la barre des 8% avant la crise de 2008 alors qu’aujourd’hui il frôle les 11%. Ce taux de chômage anormalement élevé n’est donc pas structurel mais conjoncturel : il est la conséquence d’une crise politique et financière.
Si les « experts » évoquent le départ des jeunes vers d’autres contrées, ils se battent pour baisser le SMIC et précariser les termes des premiers contrats de travail. On tombe vraiment dans le ridicule idéologique…

2/ N’importe qui de raisonnable (ou compétent?) admettra que les marchés ne sont pas efficients. On peut créer de splendides modèles théoriques mais cela ne reste que des modèles.
Il en est de même pour le marché du travail : les forces en présence ne sont pas égales et les plus précaires sont contraints d’accepter les conditions. En d’autre terme, le SMIC et la législation du travail représentent les seuils de négociation que notre société a jugé bon (digne ?) de ne pas dépasser.




Casser un SMIC déjà faible

Les mauvaises langues oublient souvent que les dérogations au SMIC existent déjà. Les mineurs (moins de 18 ans), les apprentis, les stagiaires, animateurs de centre de vacance et les salariés aux horaires non comptabilisables ne sont pas soumis au SMIC.

Alors que les inégalités explosent, le SMIC devient un rempart : un seuil à ne pas franchir au nom de l’indécence et de la dignité.
Plus de 10% des salariés sont concernés par le SMIC et les montants ne sont pas aussi affriolants que le laissent croire ses détracteurs. A 1445,38 euros brut (au 01/01/2014), soit un peu moins de 1130 euros net par mois à temps complet, la vie n’est pas un fleuve tranquille. Une fois déduit le loyer, le coût des transports, la nourriture, l’habillement et les autres dépenses incompressibles, il ne reste plus grand-chose pour vivre.
D’ailleurs, rappelons ici qu’en France le seuil de pauvreté est de 977 euros en 2011 pour une personne seule (60% du revenu médian).

Enfin, le coût du SMIC (c'est-à-dire, en bon français, la rémunération d’un Smicard) a été exagéré. En effet, les exonérations pour les bas salaires représentent déjà un cadeau de plus de 20 milliards d’euros par an. En plus du CICE, le premier ministre, Manuel Valls, a promis d’y ajouter la bagatelle de 4,5 milliards dès 2015…Pour peu qu’il y ait encore un SMIC.
Vous trouverez ci-dessous une modeste représentation graphique de cette explosion de ces « allègements » (certaines exonérations  n’ont pas été prises en compte comme le mécanisme « zéro charge », le CIR ou le contrat de génération).



Les études sur l’impact du SMIC

Que dire des différentes études sur l’impact du SMIC ?

Paul Wolfson et Dale Belman ont épluché les rapports sur le sujet depuis les années 2000 et concluent que si des études relèvent un quelconque impact, d’autres montrent que les conséquences ne sont pas significatives.

Neumark et Washer ont réalisés une étude sur le SMIC aux États-Unis et plusieurs pays de l’OCDE. Conclusion : la vision selon laquelle l’instauration d’un SMIC réduit l’emploi est erronée.

Enfin, un trio d’économiste (Addison-Blackburn-Cotti) tombe sur la même conclusion après analyse du secteur de l’hôtellerie-restauration.

Bref…comme souvent en économie, certains économistes ont réussi à trouver (ou créer) un impact du SMIC sur l’emploi, tandis que d’autres n’ont pas trouvé de corrélation. En d’autres termes : on ne sait pas et rien ne prouve quoi que ce soit.
Pour pouvoir l’affirmer, il faudrait modifier considérablement le SMIC et observer les résultats…

Mais est-ce le moment pour ce genre d’expérimentations alors que l’austérité bat son plein et que les inégalités explosent ?



Au moment où l’Allemagne instaure le SMIC, où les États-Unis et la Suisse pourraient relever le leurs, il me paraît assez ridicule de vouloir détricoter le SMIC chez nous.
Les économistes, tout comme les dirigeants, ne devraient pas inventer une science ad hoc pour justifier cette baisse/suppression/nivellement du SMIC. Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, a même dénoncé une « logique esclavagiste ».

Et puis…le malade ne serait toujours pas guérit après une cure, aussi amère soit-elle.
Loin de là.

4 commentaires:

vesta a dit…

Merci pour votre article fort intéressant. Comment se décomposent-t-ils ces 20
milliards d’euros annuels et est-ce qu'ils représentent vraiment le gain net que perçoivent les entreprises ? Merci.

mickaeldjds a dit…

Bonjour,

Il s'agit principalement de la réduction Fillon (un peu plus de 20 milliards). Au budget 2014, le CICE vient s'y greffer pour un coût estimé de 10 milliards qui devrait se porter à 16 milliards en 2015 (cohabitant toujours avec la réduction Fillon qui oscille toujours autour des 20 milliards).

Avant 2005, il s'agissait des précédentes mesures telles que la "ristourne Juppé" ou les mesures Aubry 1 et 2.

Comme indiqué dans l'article, il s'agit là d'une fourchette basse car je n'ai pas inclus certaines mécanismes comme le "zéro charge", le CIR, le contrat de génération, etc...car je n'ai malheureusement pas pu trouvé d'évaluation fiable des montants en jeu.


Il s'agit bien du cadeau "net" fait aux entreprises. La réduction Fillon se calcule automatiquement grâce aux différents logiciels de paie. Le mécanisme "zéro charge" et "contrat de génération" représentent une simple ligne à rajouter sur la paie donc pas de souci non plus.
Le CICE demande plus d'ingéniosité et demande de s'y pencher plus sérieusement, ce qui peut demander des frais supplémentaires (fiscalistes, bureau de conseil, expert comptable...).

mickaeldjds a dit…

Enfin, en fonction des choix du gouvernement, la courbe pourrait bien crever le plafond comme l'illustre le tableau prévisionnel suivant (cadre en rouge pour ce qui nous intéresse ici) :

mickaeldjds a dit…

Enfin en fonction des choix du gouvernement, la courbe du graphique devrait crever le plafond pour les années à venir comme l'illustre le tableau prévisionnel suivant (cadre en rouge pour ce qui nous intéresse ici) :