Le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de
Croissance) garantit un plancher de rémunération pour les salariés les plus
modestes. D’une certaine façon, cela permet de partager les fruits de la
croissance et des gains de compétitivité en favorisant la progression des
pouvoirs d’achat.
En apparence bonne, cette solution s’applique à un mauvais constat : le taux élevé de chômage serait structurel tandis que les marchés seraient efficients.
Pourtant, au cœur d’une crise qui s’éternise, des
voix s’élèvent parmi les "experts" pour demander la mise en
quarantaine du SMIC : suppression du SMIC pour certains, création d’un
SMIC intermédiaire (SMIC jeune, SMIC premier emploi ou SMIC chômeur de longue
durée) pour d’autres.
Inception
Cette petite histoire pourrait bien commencer par
les propos de Pascal Lamy mais non.
La remise en cause des protections sociales (sécurité
sociale, protection au travail,…) est un fait avéré depuis une trentaine
d’années. Ce n’est pas la première fois que le SMIC est attaqué. On peut ainsi noter,
en 1994, le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) et, en 2006, le CPE
(Contrat de Première Embauche), deux mesures jamais appliquées.
La crise des Subprimes et des failles de l’Euro
n’ont été qu’un accélérateur. Les casseurs de la protection sociale se sont
engouffrés dans la brèche, en étouffant les causes même de la crise : la
dérégulation d’une finance (sans limites), la hausse des inégalités compensée
par la consommation à crédit, et, enfin, une zone euro hétérogène, non optimale
et régie par des règles absurdes.
Plutôt que de tenter de soigner le malade, les
médecins tentent d’en faire disparaître les symptômes…quitte à tuer le patient.
Cette maladie arrange certains intérêts à bien des égards car un patient faible accepte
toutes les préconisations : gel des salaires, coupe dans les prestations
sociales, affaiblissement de l’État, destruction de la législation du travail,
cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises,…
C’est dans cette sombre partie d’échecs, que Pascal
Lamy passa à l’attaque…un 2 avril 2014 sur LCP :
« […] à ce niveau de chômage il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au SMIC. »
Le même Pascal Lamy, ancien directeur général de
l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), qui fut un des initiateurs de la
déréglementation complète du marché des capitaux en Europe (avec son ami Delors
en 1990). Cette belle dérégulation qui alimente le feu d’une crise qui n’en
finit pas…
L’idée est immédiatement relayée par trois
économistes très médiatisés, le 3 avril 2014, Philippe Aghion, Gilbert
Cette et Elie Cohen dans un livre intitulé "Changer de Modèle" aux éditions Odile Jacob. Leur remise en cause du SMIC tient, en tout et pour tout, sur
4 misérables pages (sur 180) mais la réaction est immédiate : le SMIC brûle
sur toutes les lèvres et dans tous les médias !
Au passage, ces trois économistes avaient
rendez-vous à un déjeuner avec le président Hollande le 15 avril…Rien que
ça !
Il fallait marquer le coup : ce fut, le 15
avril. Pierre Gattaz, président du MEDEF, patrons des grands patrons, se déclare
favorable à la création d’un SMIC intermédiaire pour les jeunes en difficultés.
"Inception" réussie (pour ceux et celles
qui n’ont pas vu le film : l’implantation d’une idée dans le
subconscient).
Une solution pour un mauvais constat
Il faudrait agir car, pour reprendre les termes de
Pierre Gattaz, nous serions « au bord du précipice », celui d’un
chômage élevé. Pour le trio d’économiste, Aghion-Cette-E.Cohen, le SMIC est un
« obstacle ».
En apparence bonne, cette solution s’applique à un mauvais constat : le taux élevé de chômage serait structurel tandis que les marchés seraient efficients.
1/ Le taux de chômage était en dessous de la barre
des 8% avant la crise de 2008 alors qu’aujourd’hui il frôle les 11%. Ce taux de chômage
anormalement élevé n’est donc pas structurel mais conjoncturel : il est la
conséquence d’une crise politique et financière.
Si les « experts » évoquent le départ des
jeunes vers d’autres contrées, ils se battent pour baisser le SMIC et
précariser les termes des premiers contrats de travail. On tombe vraiment dans
le ridicule idéologique…
2/ N’importe qui de raisonnable (ou compétent?) admettra que
les marchés ne sont pas efficients. On peut créer de splendides modèles
théoriques mais cela ne reste que des modèles.
Il en est de même pour le marché du travail :
les forces en présence ne sont pas égales et les plus précaires sont contraints
d’accepter les conditions. En d’autre terme, le SMIC et la législation du
travail représentent les seuils de négociation que notre société a jugé bon
(digne ?) de ne pas dépasser.
Casser un SMIC déjà faible
Les mauvaises langues oublient souvent que les
dérogations au SMIC existent déjà. Les mineurs (moins de 18 ans), les
apprentis, les stagiaires, animateurs de centre de vacance et les salariés aux
horaires non comptabilisables ne sont pas soumis au SMIC.
Alors que les inégalités explosent, le SMIC devient
un rempart : un seuil à ne pas franchir au nom de l’indécence et de la
dignité.
Plus de 10% des salariés sont concernés par le SMIC
et les montants ne sont pas aussi affriolants que le laissent croire ses
détracteurs. A 1445,38 euros brut (au 01/01/2014), soit un peu moins de 1130
euros net par mois à temps complet, la vie n’est pas un fleuve tranquille. Une
fois déduit le loyer, le coût des transports, la nourriture, l’habillement et
les autres dépenses incompressibles, il ne reste plus grand-chose pour vivre.
D’ailleurs, rappelons ici qu’en France le seuil de
pauvreté est de 977 euros en 2011 pour une personne seule (60% du revenu
médian).
Enfin, le coût du SMIC (c'est-à-dire, en bon
français, la rémunération d’un Smicard) a été exagéré. En effet, les
exonérations pour les bas salaires représentent déjà un cadeau de plus de 20
milliards d’euros par an. En plus du CICE, le premier ministre, Manuel Valls, a
promis d’y ajouter la bagatelle de 4,5 milliards dès 2015…Pour peu qu’il y ait
encore un SMIC.
Vous trouverez ci-dessous une modeste
représentation graphique de cette explosion de ces « allègements »
(certaines exonérations n’ont pas été
prises en compte comme le mécanisme « zéro charge », le CIR ou le contrat de génération).
Les études sur l’impact du SMIC
Que dire des différentes études sur l’impact du SMIC ?
Paul Wolfson et Dale Belman ont épluché les
rapports sur le sujet depuis les années 2000 et concluent que si des études
relèvent un quelconque impact, d’autres montrent que les conséquences ne sont
pas significatives.
Neumark et Washer ont réalisés une étude sur le
SMIC aux États-Unis et plusieurs pays de l’OCDE. Conclusion : la vision
selon laquelle l’instauration d’un SMIC réduit l’emploi est erronée.
Enfin, un trio d’économiste
(Addison-Blackburn-Cotti) tombe sur la même conclusion après analyse du secteur
de l’hôtellerie-restauration.
Bref…comme souvent en économie, certains
économistes ont réussi à trouver (ou créer) un impact du SMIC sur l’emploi,
tandis que d’autres n’ont pas trouvé de corrélation. En d’autres termes :
on ne sait pas et rien ne prouve quoi que ce soit.
Pour pouvoir l’affirmer, il faudrait modifier
considérablement le SMIC et observer les résultats…
Mais est-ce le moment pour ce genre d’expérimentations alors
que l’austérité bat son plein et que les inégalités explosent ?
Au moment où l’Allemagne instaure le SMIC, où les États-Unis et la Suisse pourraient relever le leurs, il me paraît assez ridicule de vouloir
détricoter le SMIC chez nous.
Les économistes, tout comme les dirigeants, ne
devraient pas inventer une science ad hoc pour justifier cette baisse/suppression/nivellement
du SMIC. Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, a même dénoncé une
« logique esclavagiste ».
Et puis…le malade ne serait toujours pas guérit
après une cure, aussi amère soit-elle.
Loin de là.
4 commentaires:
Merci pour votre article fort intéressant. Comment se décomposent-t-ils ces 20
milliards d’euros annuels et est-ce qu'ils représentent vraiment le gain net que perçoivent les entreprises ? Merci.
Bonjour,
Il s'agit principalement de la réduction Fillon (un peu plus de 20 milliards). Au budget 2014, le CICE vient s'y greffer pour un coût estimé de 10 milliards qui devrait se porter à 16 milliards en 2015 (cohabitant toujours avec la réduction Fillon qui oscille toujours autour des 20 milliards).
Avant 2005, il s'agissait des précédentes mesures telles que la "ristourne Juppé" ou les mesures Aubry 1 et 2.
Comme indiqué dans l'article, il s'agit là d'une fourchette basse car je n'ai pas inclus certaines mécanismes comme le "zéro charge", le CIR, le contrat de génération, etc...car je n'ai malheureusement pas pu trouvé d'évaluation fiable des montants en jeu.
Il s'agit bien du cadeau "net" fait aux entreprises. La réduction Fillon se calcule automatiquement grâce aux différents logiciels de paie. Le mécanisme "zéro charge" et "contrat de génération" représentent une simple ligne à rajouter sur la paie donc pas de souci non plus.
Le CICE demande plus d'ingéniosité et demande de s'y pencher plus sérieusement, ce qui peut demander des frais supplémentaires (fiscalistes, bureau de conseil, expert comptable...).
Enfin, en fonction des choix du gouvernement, la courbe pourrait bien crever le plafond comme l'illustre le tableau prévisionnel suivant (cadre en rouge pour ce qui nous intéresse ici) :
Enfin en fonction des choix du gouvernement, la courbe du graphique devrait crever le plafond pour les années à venir comme l'illustre le tableau prévisionnel suivant (cadre en rouge pour ce qui nous intéresse ici) :
Enregistrer un commentaire