La
troisième révolution industrielle aurait été initiée dans le courant du XXe
siècle par ce que Christian Saint Etienne nomme « la grappe d’innovations
de rupture » : l’électronique et l’informatique.
Cette
grappe d’innovations de rupture ont entraîné des innovations en chaîne que
sont l’industrie informatique,
l’impression 3D, la robotisation (dont l’internet des machines et l’industrie
4.0), les logiciels et l’industrie des services utiles (= économie de la
fonctionnalité).
Nous serions dans une phase
de pleine accélération depuis 15 ans – le livre fourmille de termes commençant
par "hyper-" et "super-". Je pense que cette accélération est exagérée car la
plupart des experts reconnaissent que les gains de productivité ne sont pas au
rendez-vous (du moins, pas encore). Cela étant dit, il ne manquerait qu’un
coup de pouce pour que l’Iconomie révolutionne nos vies ; il suffit de mettre
le paquet sur l’informatique, la stimulation de l’entrepreneuriat et
l’industrie des services.
Défaire l’État providence pour mettre les entreprises au cœur de la 3e révolution industrielle
C’est probablement la
revendication "numéro un" du manuel de l’Iconomie.
L’État dirigiste,
colbertiste, tentaculaire, « inopérant » (la liste de qualificatifs peu
flatteurs est longue) n’aurait plus sa légitimité ; il l’aurait perdu dans
les années 50, c'est-à-dire peu après la reconstruction.
La première justification se
veut simple : l’Entreprise est « l’unique producteur de valeur
marchande » et contribue aux « quatre cinquièmes » du PIB. Si
cela vous paraît correct, il s’agit en réalité d'une tromperie. La formule du PIB
(Produit Intérieur Brut) a été convenue dans la période d’après-guerre. C’est
une convention purement comptable (on aurait pu la calculer de 1001 façons
différentes), chargée de donner une valeur à la production marchande. Il est
donc parfaitement logique que les entreprises en représentent la plus grande
part.
Dire que les entreprises
contribuent plus au PIB que l’État, est-ce un argument valable pour demander
une décroissance de l’État ? Non. La recherche de la rentabilité
économique ne devrait pas être l’objectif ultime des États. La satisfaction des
besoins sociaux va au-delà du simple aspect financier, chose que le PIB ne
mesure pas.
Plus tard, il est reproché à l’État de ne pas intervenir suffisamment auprès de ces mêmes entreprises, ce
qui expliquerait le sous-investissement chronique dans les secteurs d’avenir. N’est
pas paradoxal avec l’argument précédent ? Ce n’est pas tout :
l’Allemagne est citée comme l’exemple à suivre alors que son ordolibéralisme s’oppose
à toute intrusion de l’État dans les affaires privées (sauf pour recadrer la
concurrence). Les entreprises allemandes ne demandent rien à leurs gouvernants.
Soit dit en passant, d’autres
exemples sont mis en avant comme le Japon, dont on vante sa robotisation, mais qui souffre d'une récession depuis plus d’une décennie (phénomène de trappe à liquidités). Mais
le meilleur, c’est le mythe des années 50 aux États-Unis, celui de l'âge d’or
américain à importer en France « grâce à un système fiscal favorable ».
L’auteur oublie alors que le taux marginal (la plus haute tranche d’imposition)
y était alors de 90% (70% encore dans années 70) ! Oui vous avez bien lu : 90% !
Si
l’Iconomie requiert la présence de l’État, c’est pour mettre la main aux poches :
pas moins de 100 milliards en trois ans.
L’argent proviendrait, entre autres, d’une augmentation du taux de CSG (renommée
CSG sociale) couplée à une hausse de la TVA (surnommée TVA emploi). En voilà
des expressions édulcorés ! Ces dernières cachent cependant une triste
réalité : celle de transférer les revenus des consommateurs et salariés fixés
en France, c'est à dire les classes moyennes et modestes, vers les caisses des
entreprises.
Mais pas d’inquiétude, on
nous promet que les entreprises vont volontairement redistribuer une partie des
bénéfices de cette politique de déflation intérieure. Est-ce vraiment crédible
quand les entreprises cherchent à reconstituer leurs marges et à rémunérer des
apporteurs de capitaux très volatils ?
Exacerber l’individualisme pour stimuler entrepreneuriat
Comme le dit Christian Saint-Étienne :
« Le travail ne se partage pas car c’est, comme l’économie, une matière vivante »
Il faudrait revenir sur les
35 heures et laisser les entreprises décider du droit du travail : durée
du travail, salaires, protection sociale, retraite par capitalisation,…Soyons
franc : compte tenu des forces en présence, la majorité des salariés ne
pourra pas négocier ; leur seul option sera de se soumettre. Les salariés
devront apprendre à se convertir et à changer de casquette au gré des entrepreneurs éclairés
et des marchés.
Ce
genre de « négociations à l’amiable » pousserait notre société vers
un monde du travail bipolaire : les qualifiés et les non-qualifiés. De nombreuses théories sur cette forme élitiste du
travail existent depuis plusieurs décennies mais, au moins, leurs penseurs
avaient l’honnêteté de reconnaître que la majorité de la population en baverait
: on parle de la règle des 20-80 c'est-à-dire 20% de travailleurs qualifiés
avec des postes bien rémunérés dans de très bonnes conditions contre 80% de
travailleurs précaires en proie à des difficultés quotidiennes.
C'est une vision très individualiste
de la société. C’est aussi un déni de la réalité sociale (et économique) où le
taux de chômage explose dans l'Union européenne et dont les conséquences sur
l’employabilité seront probablement catastrophiques.
Tout au long de ma lecture,
plongée dans une Iconomie hautement technologique et mouvante, je me suis demandé
quel serait le sort réservé aux seniors, dont on repoussera indéfiniment l’âge
de la retraite. Pourront-ils tous devenir des ingénieurs ? Pourront-ils
tous devenir des accrocs de l’informatique ou de l’industrie 4.0 ?
L’Iconomie
reste une vision théorique où l’individualisme et la technologie dévorent tout
sur leur passage. On en viendrait à jeter aux orties les individualités et l’humain
en chacun de nous.
A aucun moment il n’est
question de la hausse des inégalités. Or il apparaît que ces inégalités (en
pleine croissance, elles) sont responsables de la mort prématurée de
l'ascenseur social. De plus en plus, notre destinée semble déterminée à notre naissance alors que d'importants progrès avaient été réalisés.
Il est aussi question de
l’importance du réseau à travers le terme de « facilitateur »,
c'est-à-dire des individus capables de mettre en contact les idées avec les
entrepreneurs et les apporteurs de capitaux. Pour être entrepreneur ou
inventeur, il faut des facilitateurs, sans quoi le projet tombe à l’eau. Or ces
facilitateurs ne tombent pas du ciel et ont besoin d’avoir confiance bien en
amont de l’idée novatrice. De fait, la qualité de ce réseau dépend de notre
environnement immédiat comme les amis, la famille, nos camarades de promotion,…
Tout cela ne fait que
confirmer mes craintes sur une Iconomie reine d’un monde bipolaire hermétique.
Je ne suis pas sûr qu’un tel degré de fermeture crée une situation optimale,
y compris sur le thème de l’entrepreneuriat et du progrès.
Une nouvelle Économie,
pensée comme l’ancienne
L’Iconomie
est pensée comme une succession de paradoxes : nouvelle Économie mais évaluée à l’aide d’outils dépassés, innovante mais voulue peu
risquée, des entreprises tentaculaires mais concentrées, un marché dense de l’emploi
mais des gains de productivité à foison, une économie stimulante mais freinant
la consommation, libérale mais en ayant recourt à l’appui de l’État sur tous
les étages, collaborative mais mettant en compétition tous les acteurs, amicale
tout en interdisant le partage...
L’Iconomie
reprend à son compte la vision de Joseph Schumpeter. Pour ce dernier, les
révolutions industrielles étaient déjà le fait de « grappes
d'innovations radicales ». Toujours selon l’économiste autrichien, deux personnages
sont primordiaux : l’innovateur et le banquier. Dans
l’Iconomie, il faut un innovateur, un entrepreneur, un apporteur de capital et
des facilitateurs.
L’Iconomie serait-elle simplement une économie
Schumpetérienne en version 2.0 ?
Enfin L’Iconomie met un
point d’honneur au management. Le management idéal, c'est le management à
l'américaine :
collaboratif (copinage superficielle), avec des profits partagés (des salariés
actionnaires possédant jusqu’à 20% de l’entreprise) et une pyramide écrasée (sans petits chefs). Encore
une fois, on en revient à cette idée d’un monde du travail bipolaire où les
vrais chefs (une minorité) seront tout puissants.
S’il est possible de retrouver
ce type de management dans les grands groupes, il est cependant très éloigné du
management français (des PME) qui est très autocratique, dirigiste, peu
dynamique et où la qualité des relations priment sur le mérite. Un management
familial en résumé.
Au vue de
cette analyse, l’Iconomie ressemble à s’y méprendre à une optimisation de la
seconde révolution industrielle – les expressions « hyper- » et « super-
» en moins.
Peut-on
vraiment parler de révolution ? Rien n’est moins sûr.
Je reste
particulièrement inquiet au sujet du marché du travail, de l’environnement, des
relations humaines et de l’état des ressources naturelles (nullement abordée
dans l’Iconomie comme si elles étaient disponibles à l’infini).
Alors 3e
révolution industrielle ? Iconomie ? Décroissance volontaire ?
Décroissance involontaire ? Que faut-il penser de tout cela ? C’est
ce que nous verrons la prochaine fois !
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