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mercredi 9 avril 2014

La 3e revolution industrielle et l'Iconomie

Cette semaine, nous aborderons la troisième révolution industrielle dans sa version bleu-blanc-rouge. L’Iconomie, c’est son nom, est apparue sous la plume de J-M Quatrepoint puis Christian Saint-Etienne y dédia un ouvrage intitulé « l’Iconomie » (aux éditions Odile Jacob).





La troisième révolution industrielle aurait été initiée dans le courant du XXe siècle par ce que Christian Saint Etienne nomme « la grappe d’innovations de rupture » : l’électronique et l’informatique. 


Cette grappe d’innovations de rupture ont entraîné des innovations en chaîne que sont  l’industrie informatique, l’impression 3D, la robotisation (dont l’internet des machines et l’industrie 4.0), les logiciels et l’industrie des services utiles (= économie de la fonctionnalité). 
Nous serions dans une phase de pleine accélération depuis 15 ans – le livre fourmille de termes commençant par "hyper-" et "super-". Je pense que cette accélération est exagérée car la plupart des experts reconnaissent que les gains de productivité ne sont pas au rendez-vous (du moins, pas encore). Cela étant dit, il ne manquerait qu’un coup de pouce pour que l’Iconomie révolutionne nos vies ; il suffit de mettre le paquet sur l’informatique, la stimulation de l’entrepreneuriat et l’industrie des services.



Défaire l’État providence pour mettre les entreprises au cœur de la 3e révolution industrielle

C’est probablement la revendication "numéro un" du manuel de l’Iconomie.
L’État dirigiste, colbertiste, tentaculaire, « inopérant » (la liste de qualificatifs peu flatteurs est longue) n’aurait plus sa légitimité ; il l’aurait perdu dans les années 50, c'est-à-dire peu après la reconstruction.

La première justification se veut simple : l’Entreprise est « l’unique producteur de valeur marchande » et contribue aux « quatre cinquièmes » du PIB. Si cela vous paraît correct, il s’agit en réalité d'une tromperie. La formule du PIB (Produit Intérieur Brut) a été convenue dans la période d’après-guerre. C’est une convention purement comptable (on aurait pu la calculer de 1001 façons différentes), chargée de donner une valeur à la production marchande. Il est donc parfaitement logique que les entreprises en représentent la plus grande part.
Dire que les entreprises contribuent plus au PIB que l’État, est-ce un argument valable pour demander une décroissance de l’État ? Non. La recherche de la rentabilité économique ne devrait pas être l’objectif ultime des États. La satisfaction des besoins sociaux va au-delà du simple aspect financier, chose que le PIB ne mesure pas.

Plus tard, il est reproché à l’État de ne pas intervenir suffisamment auprès de ces mêmes entreprises, ce qui expliquerait le sous-investissement chronique dans les secteurs d’avenir. N’est pas paradoxal avec l’argument précédent ? Ce n’est pas tout : l’Allemagne est citée comme l’exemple à suivre alors que son ordolibéralisme s’oppose à toute intrusion de l’État dans les affaires privées (sauf pour recadrer la concurrence). Les entreprises allemandes ne demandent rien à leurs gouvernants.
Soit dit en passant, d’autres exemples sont mis en avant comme le Japon, dont on vante sa robotisation, mais qui souffre d'une récession depuis plus d’une décennie (phénomène de trappe à liquidités). Mais le meilleur, c’est le mythe des années 50 aux États-Unis, celui de l'âge d’or américain à importer en France « grâce à un système fiscal favorable ». L’auteur oublie alors que le taux marginal (la plus haute tranche d’imposition) y était alors de 90% (70% encore dans années 70) ! Oui vous avez bien lu : 90% !

Si l’Iconomie requiert la présence de l’État, c’est pour mettre la main aux poches : pas moins de 100 milliards en trois ans. L’argent proviendrait, entre autres, d’une augmentation du taux de CSG (renommée CSG sociale) couplée à une hausse de la TVA (surnommée TVA emploi). En voilà des expressions édulcorés ! Ces dernières cachent cependant une triste réalité : celle de transférer les revenus des consommateurs et salariés fixés en France, c'est à dire les classes moyennes et modestes, vers les caisses des entreprises.
Mais pas d’inquiétude, on nous promet que les entreprises vont volontairement redistribuer une partie des bénéfices de cette politique de déflation intérieure. Est-ce vraiment crédible quand les entreprises cherchent à reconstituer leurs marges et à rémunérer des apporteurs de capitaux très volatils ?



Exacerber l’individualisme pour stimuler entrepreneuriat

Comme le dit Christian Saint-Étienne :
« Le travail ne se partage pas car c’est, comme l’économie, une matière vivante »
Il faudrait revenir sur les 35 heures et laisser les entreprises décider du droit du travail : durée du travail, salaires, protection sociale, retraite par capitalisation,…Soyons franc : compte tenu des forces en présence, la majorité des salariés ne pourra pas négocier ; leur seul option sera de se soumettre. Les salariés devront apprendre à se convertir et à changer de casquette au gré des entrepreneurs éclairés et des marchés.

Ce genre de « négociations à l’amiable » pousserait notre société vers un monde du travail bipolaire : les qualifiés et les non-qualifiés. De nombreuses théories sur cette forme élitiste du travail existent depuis plusieurs décennies mais, au moins, leurs penseurs avaient l’honnêteté de reconnaître que la majorité de la population en baverait : on parle de la règle des 20-80 c'est-à-dire 20% de travailleurs qualifiés avec des postes bien rémunérés dans de très bonnes conditions contre 80% de travailleurs précaires en proie à des difficultés quotidiennes.

C'est une vision très individualiste de la société. C’est aussi un déni de la réalité sociale (et économique) où le taux de chômage explose dans l'Union européenne et dont les conséquences sur l’employabilité seront probablement catastrophiques.
Tout au long de ma lecture, plongée dans une Iconomie hautement technologique et mouvante, je me suis demandé quel serait le sort réservé aux seniors, dont on repoussera indéfiniment l’âge de la retraite. Pourront-ils tous devenir des ingénieurs ? Pourront-ils tous devenir des accrocs de l’informatique ou de l’industrie 4.0 ?

L’Iconomie reste une vision théorique où l’individualisme et la technologie dévorent tout sur leur passage. On en viendrait à jeter aux orties les individualités et l’humain en chacun de nous.

A aucun moment il n’est question de la hausse des inégalités. Or il apparaît que ces inégalités (en pleine croissance, elles) sont responsables de la mort prématurée de l'ascenseur social. De plus en plus, notre destinée semble déterminée à notre naissance alors que d'importants progrès avaient été réalisés.
Il est aussi question de l’importance du réseau à travers le terme de « facilitateur », c'est-à-dire des individus capables de mettre en contact les idées avec les entrepreneurs et les apporteurs de capitaux. Pour être entrepreneur ou inventeur, il faut des facilitateurs, sans quoi le projet tombe à l’eau. Or ces facilitateurs ne tombent pas du ciel et ont besoin d’avoir confiance bien en amont de l’idée novatrice. De fait, la qualité de ce réseau dépend de notre environnement immédiat comme les amis, la famille, nos camarades de promotion,…
Tout cela ne fait que confirmer mes craintes sur une Iconomie reine d’un monde bipolaire hermétique. Je ne suis pas sûr qu’un tel degré de fermeture crée une situation optimale, y compris sur le thème de l’entrepreneuriat et du progrès.




 Une nouvelle Économie, pensée comme l’ancienne
L’Iconomie est pensée comme une succession de paradoxes : nouvelle Économie mais évaluée à l’aide d’outils dépassés, innovante mais voulue peu risquée, des entreprises tentaculaires mais concentrées, un marché dense de l’emploi mais des gains de productivité à foison, une économie stimulante mais freinant la consommation, libérale mais en ayant recourt à l’appui de l’État sur tous les étages, collaborative mais mettant en compétition tous les acteurs, amicale tout en interdisant le partage...

L’Iconomie reprend à son compte la vision de Joseph Schumpeter. Pour ce dernier, les révolutions industrielles étaient déjà le fait de « grappes  d'innovations radicales ». Toujours selon l’économiste autrichien, deux personnages sont primordiaux : l’innovateur et le banquier. Dans l’Iconomie, il faut un innovateur, un entrepreneur, un apporteur de capital et des facilitateurs. 
L’Iconomie serait-elle simplement une économie Schumpetérienne en version 2.0 ?

Enfin L’Iconomie met un point d’honneur au management. Le management idéal, c'est le management à l'américaine : collaboratif (copinage superficielle), avec des profits partagés (des salariés actionnaires possédant jusqu’à 20% de l’entreprise) et une pyramide écrasée (sans petits chefs). Encore une fois, on en revient à cette idée d’un monde du travail bipolaire où les vrais chefs (une minorité) seront tout puissants.
S’il est possible de retrouver ce type de management dans les grands groupes, il est cependant très éloigné du management français (des PME) qui est très autocratique, dirigiste, peu dynamique et où la qualité des relations priment sur le mérite. Un management familial en résumé.



Au vue de cette analyse, l’Iconomie ressemble à s’y méprendre à une optimisation de la seconde révolution industrielle – les expressions « hyper- » et « super- » en moins.
Peut-on vraiment parler de révolution ? Rien n’est moins sûr.

Je reste particulièrement inquiet au sujet du marché du travail, de l’environnement, des relations humaines et de l’état des ressources naturelles (nullement abordée dans l’Iconomie comme si elles étaient disponibles à l’infini).

Alors 3e révolution industrielle ? Iconomie ? Décroissance volontaire ? Décroissance involontaire ? Que faut-il penser de tout cela ? C’est ce que nous verrons la prochaine fois !

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