Aujourd’hui j’aimerais revenir sur un des piliers
de l’économie : le mythe du troc.
Je me souviens encore, assis sur les bancs de
l’amphithéâtre, en train d’écouter mon professeur relatant cette fable. Le
monde aurait longtemps été soumis aux difficultés du troc avant d’inventer la
monnaie puis le crédit. L’histoire du troc et de la double coïncidence des
besoins laissaient augurer un monde chaotique où les populations se cassaient
littéralement la tête pour obtenir ce dont elles avaient besoin.
Un exemple me marqua : celui du paysan
souhaitant manger une pomme mais qui n’avait que des poires. Il devait donc
trouver quelqu’un qui avait des pommes, qui voudrait bien les échanger contre
des poires et si possible au ratio 1 :1 (1 pomme pour 1 poire).
Quel homme malheureux : ça n’allait pas être de
la tarte.
Multipliez ce cas d’école à tous les autres biens
du quotidien et vous obtenez un monde aigri. Heureusement, nous avons inventé
la monnaie suivie du crédit !
Sur le moment, tout me paraissait limpide mais ce
n’est plus du tout le cas.
Le cours : la fable du troc
Bienvenu à Economialand, une société primitive
imaginaire coupée du monde.
Ici, pas de monnaie. Et l’Économie sans monnaie,
c’est le troc !
Les habitants d’Economialand doivent s’échanger les
biens entre eux avec une seule règle : la double coïncidence des besoins.
« La double coïncidence des besoins ??? »
Pour qu’un échange ait lieu, il faut que les désirs
des intervenants coïncident [celui qui a une pomme veut une poire tandis que
le possesseur de la poire veut une pomme] mais aussi la valeur des biens [idéalement
une pomme = une poire].
Le troc est par nature compliqué. Il freine les
échanges car cela implique de :
- Trouver le bon partenaire,
- Se mettre d’accord sur un barème de valeur,
- Privilégier les valeurs entières : on ne pourra pas toujours couper les biens en deux (une pomme ça va…mais une vache ?),
- Faire attention au stockage et à la durée de conservation des biens en vue des prochains échanges.
Imaginez le pauvre paysan avec sa pomme, trouvant enfin
quelqu’un lui qui voudrait échanger sa pomme contre une orange. Ca y est ! Il va pouvoir
l’échanger contre la poire ! Mais entre-temps, l’orange est déjà pourrie…Mince !
L’efficacité du système économique d’Economialand
est visiblement mauvaise et ses habitants ne réclament qu’une chose : la
monnaie puis le crédit ! C'est logique !
Quelque chose de pourri dans Economialand
Cette histoire paraît logique…pourtant vous y
croyez à cette histoire ?
Vous les voyez ces gens, qui pour obtenir des
bananes, échange la peluche du bébé contre un ruban, qui permet d’avoir du
miel, échangeable contre des bananes ?
Je plains vraiment l’épicier d’Economialand !
Le problème de ce récit, est qu’il est le portrait
craché de notre société actuelle sauf qu’on aurait fait disparaître la monnaie par
enchantement. Être privé de la monnaie alors que l’ancien système gravite autour d'elle…on
comprend mieux pourquoi les habitants d’Economialand se compliquent tant la vie.
La plupart des gens ont si bien assimilé cette
fable qu’ils ne peuvent plus imaginer que le troc avant la monnaie.
Demandez à un(e) ami(e) ce qu’il y avait avant la monnaie et il(elle) vous
répondra probablement « le troc ».
La réalité
En vérité, dans les sociétés primitives, le troc était l'exception. Échanger un bien contre un autre en essayant d’en
obtenir le maximum, ce n’était possible qu’avec les étrangers.
En effet, dans les sociétés primitives sédentaires,
on faisait groupe avec les autres et il était difficilement concevable d’"arnaquer"
ses camarades de vie. Comment ferions-nous le lendemain quand il s’en
apercevrait ? Nous laisserait-il manger de son gibier ? Nous
aiderait-il en cas de difficulté ? Se battrait-il à notre coté si le
village était menacé?
Le mythe du troc oublie deux
notions fondamentales : la solidarité et le temps.
En dehors des étrangers, on donnait
ou on partageait ce que l’on avait. On avait de l’estime pour ceux qui vivait
avec nous au quotidien et si notre voisin avait besoin de quelque chose dont
nous n’avions pas besoin…et bien on lui offrait. Certaines sociétés matriarcales mettaient même en commun les biens et les redistribuaient en fonction des besoins.
C’est là qu’entre en jeu la composante du temps : on nous le rendra tôt ou tard. Difficile d’évaluer la valeur du bien ou service
rendu quand on n’a jamais connu la monnaie mais en a-t-on vraiment besoin dans cette
affaire de crédit ? Le voisin ou l’ami rendra en temps voulu avec ce
qu’il a(-ura)…
Comme le dit David Graeber dans son livre intitulé
"Dette, 5000 ans d’Histoire", « notre récit habituel de
l’histoire monétaire marche à reculons ». C’est le crédit qui est apparu
en premier, fonctionnant à la manière d’une valeur virtuelle.
Au final, le troc était plutôt rare et souvent
ritualisé comme on peut le voir encore dans certaines tribus. On peut aussi
penser qu’il s’est surtout développé lors de l’apparition de la monnaie, qui a
permis de créer une échelle de valeur.
Pourquoi inventer une telle histoire ?
Adam Smith fut probablement le pionnier du mythe du
troc. Cette trilogie "troc-monnaie-crédit" sert aujourd’hui de bases fondatrices
de la science économique.
Si cette histoire fut inventée, c’était pour éviter
de faire le lien entre la monnaie et le besoin d'un État ; Etat qu’il voulait décrédibiliser.
La monnaie est un dérivé de reconnaissance de
dette, ne l’oublions pas. Or, la valeur de la monnaie réside dans la confiance
qu’ont ses utilisateurs dans les autres et l’État. C’est bien ce dernier qui
garantit la valeur d’une monnaie, mais aussi les règles d’un marché qui
n’existerait pas sans lui. Mais cela, il ne fallait pas le dire, ni le faire penser.
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