Les chiffres sont tombés : au cours du
deuxième trimestre, la France enregistre une croissance nulle (+0%) tandis que
l’Allemagne passe en dessous de zéro. Quelques jours après que le président
François Hollande ait demandé – en vain – à l’Allemagne de faire des efforts,
les hostilités commencent avec l’Europe : « Seule une réponse
européenne globale peut apporter réponse » déclare le ministre des
Finances Michel Sapin le jeudi 14 août 2014 dans une tribune publiée par Le Monde.
Et dans « Europe », il y a « Euro »…
Pourtant les articles d’économistes pro-Euro fusent
encore sur la toile : « L’Euro favorisera le commerce »,
« l’Euro créera des emplois », « l’Euro nous protégera des
crises », etc… On les connait bien ses formules à l’emporte-pièce.
Depuis quelques temps, les économistes favorables à
l’Euro ont changé leur fusil d’épaule. En effet, quelques irréductibles confrères
pointent – parfois depuis le début – les erreurs dans la construction de l’Euro
(cf. mon précédent article ici). Le débat prenant de l’ampleur, les défenseurs de l’Euro ont fourni des
efforts considérables pour étouffer le débat « rester ou sortir de
l’Euro ». Mais trop tard, la boite de Pandore s’est entrouverte.
Pour éviter de parler des échecs de l’Euro, la
stratégie a alors été de dénigrer les arguments allant à l’encontre de la
monnaie unique. Et quelque chose m’a frappé dans ce contre-argumentaire :
il s’agit de réflexions souvent idéologiques (sans fondement) et toujours sur le même credo (comme une poésie apprise par cœur).
Analysons donc les principales formules-choc des pro-Euro
:
1/ Si on sort de l’Euro, cela va favoriser la planche à billets, donc l’inflation galopante puis l’effondrement de notre économie
Cette histoire de la création monétaire
inflationniste pour rembourser les dettes, on la sert à toutes les sauces. Vous
ne trouverez jamais de chiffres ou de prévisions car ces économistes utilisent
ce conte pour enfants pour effrayer le grand public : « vous allez
perdre votre épargne », « cela ruinera les entrepreneurs »,
« on va se retrouver en situation d’hyperinflation comme les allemands
après la guerre », etc…
La première faille dans ce discours, c’est de
laisser croire qu’en cas de sortie de l’euro, les gouvernements créeront de la
monnaie sans aucune limite à l'aide de leur banque centrale. Ces mêmes économistes, qui
se prétendent être des experts, ne peuvent imaginer qu’un gouvernement soit
raisonnable et utilise convenablement nos connaissances en économie monétaire.
En cas de rupture avec la monnaie unique, et en
étant objectif, il paraît évident que la banque de France créera de la monnaie
pour favoriser la croissance et/ou financer une partie de la dette publique. Mais
pourquoi imaginer que les spécialistes de la Banque de France feraient n’importe
quoi ? On retrouve ici un cas d’idéologie où il faut absolument dénigrer
le rôle de l’État ; autrement dit, la plupart des économistes pro-Euro partent du
principe que l’État c’est le mal et qu’il faut limiter son champ d’action par tous
les moyens. Y compris en enlevant la question monétaire du contrôle
démocratique.
La deuxième faille, c’est l’état de l’inflation
actuelle. En effet, on nous promet une inflation exponentielle en cas de sortie
de l’euro mais rien n’est dit sur le risque de déflation qui nous guette en ce
moment même. Or, si l’inflation devient négative (= déflation), on rentre dans un cercle
vicieux : les prix baissent puis les salaires suivent, ce qui pousse les
prix à baisser et ainsi de suite. Le Japon est passé par là et on sait que la
déflation génère une trappe à liquidité où il vaut mieux remettre les
investissements à plus tard. Bref, on ne peut qu’être surpris par cette menace
de l’hyperinflation alors que la misère déflationniste est à notre porte !
La dernière faille se retrouve dans l’observation
de nos voisins directs : ces pays européens qui n’ont pas adhéré à la
monnaie unique. Eux aussi subissent les effets de la crise économique mais
est-ce que l’inflation s’envole chez ces pays hors zone-Euro ? Le graphique suivant répond à
la question en mettant l’inflation française en parallèle avec celles des pays
ayant conservé leurs propres monnaies.
La conclusion est sans appel : euro ou non, on
ne descelle pas de trace d’inflation.
S’il y a bien un élément alarmant à noter, ce n’est
pas l’inflation galopante mais le risque généralisée de déflation en Europe. Ces
pays maître de leur monnaie pourraient pourtant faire tourner la planche à
billets à plein régime mais visiblement les gouvernements voisins ne sont pas aussi bête qu'on voudrait nous le faire croire…
Sur le risque inflationniste, certains économistes très
sérieux comme Eric Heyer (de l’OFCE) ont calculé qu’une dévaluation de notre
monnaie à hauteur de 20% entraînerait moins de 2% d’inflation…ce
qui n’est pas la mer à boire. Nous serions bien loin de l’hyperinflation.
Si l’on pousse le raisonnement plus loin dans le
temps, on trouve de nombreux pays ayant dévalué par le passé sans qu’on puisse
noter une augmentation massive de l’inflation (l’Italie en 1992 par exemple).
2/ Si on sort de l’Euro, notre monnaie va se faire attaquer par les marchés, les taux d’intérêt vont exploser et ce sera la fin de la France
Avant l’Euro, nous avions des monnaies nationales sans
que cela ne surprenne qui que ce soit. Il y a bien sûr eu quelques crises où il a
fallu intervenir contre la spéculation mais cela reste épisodique.Pourquoi est-ce que sortir de la monnaie unique
devrait y changer quoi que ce soit ? Très franchement je ne sais pas.
Les marchés ne sont pas de grands méchants loups
qui se jettent sur l'agneau sans raison. Certes ils ne sont pas parfaits et agissent parfois
de manière irrationnelle (économiquement parlant). Pour autant, les marchés
n’attaqueront une monnaie que si le taux de change est disproportionné et/ou
que les réserves monétaires sont faibles.
Les économistes pro-euros aiment brandir l’exemple
de la livre sterling attaquée en 1992 mais il y avait de quoi parier dessus. Il
s’agit d’éléments quantifiables et calculables que les banques centrales
nationales devront de nouveau maîtriser…mais rien d’effrayant en soit. Et pour
la petite histoire, la livre sterling a survécu à l’attaque de 1992 ; le Royaume-Uni annonce même un taux de croissance de 3,4% pour 2014.
Mais pourquoi se pencher sur ces questions alors qu'on nous avait promis que l’Euro nous
protégerait de la spéculation et des lubies des marchés ? La Grèce, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie
et le Portugal auraient bien du mal à avaler ces salades aujourd'hui. Même en France,
pas un jour ne passe sans qu'il ne soit question de la menace des marchés.
Pourquoi s’obstiner à ne pas reconnaître que l’Euro n’est pas une barrière
contre la spéculation et les "injonctions" des marchés financiers ?
Notez qu'il y a un peu de vrai dans l'affirmation numéro 2 : ce qui est possible, c’est la hausse des
taux d’intérêts de la dette publique et privée. Mais dans quelles proportions ?
En sortant ma boule de cristal d’économiste, on peut imaginer que la France continuera d’attirer des financements au détriment des voisins du sud de l’Europe et que les taux d’intérêts n’exploseront pas comme le prédisent certains.
Pourquoi ? Tout simplement parce que 1/ il y a un excès mondial de liquidités à placer (entreprises et fonds de pension), que 2/ il n’y a pas tant de placements aussi sûrs et rentables qu’avant et enfin 3/ que nous sommes déjà en présence de profondes incertitudes sur l’avenir. Disons que financer la dette publique française c’est un choix par défaut pendant au moins plusieurs années et, cela, pour de nombreux investisseurs.
En sortant ma boule de cristal d’économiste, on peut imaginer que la France continuera d’attirer des financements au détriment des voisins du sud de l’Europe et que les taux d’intérêts n’exploseront pas comme le prédisent certains.
Pourquoi ? Tout simplement parce que 1/ il y a un excès mondial de liquidités à placer (entreprises et fonds de pension), que 2/ il n’y a pas tant de placements aussi sûrs et rentables qu’avant et enfin 3/ que nous sommes déjà en présence de profondes incertitudes sur l’avenir. Disons que financer la dette publique française c’est un choix par défaut pendant au moins plusieurs années et, cela, pour de nombreux investisseurs.
3/ Si on sort de l’Euro, nous allons avoir une escalade de mesures protectionnistes voire la fermeture des frontières
Compte tenu de notre appartenance à l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC), il est peu probable qu’une sortie de l’Euro provoque l'application de nouvelles mesures protectionnistes. Dans les pays développés,
les mesures tarifaires (par exemple les droits de douane) sont à ras les pâquerettes.
Les accords bilatéraux (entre deux pays) sont légion depuis quelques temps et
représentent un nouveau frein au protectionnisme. Du coup, les pays développés
recourent à des barrières non-tarifaires (exclusivité culturelle, normes
strictes,…) qui n’ont plus rien à voir avec le protectionnisme des siècles
précédents.
Dans l’Union Européenne, tout a été fait pour
développer le commerce entre membres et la monnaie unique n’est qu’accessoire. En effet, depuis la Communauté Économique Européenne, les instances
européennes se sont battues pour libéraliser les marchés et détruire les
barrières au commerce. Avec ou sans monnaie unique, les pays membres de l’Union
Européenne doivent s’y soumettre (avec quelques exceptions).
Il y a cependant une astuce : le dumping. En
effet, si tout est fait pour libéraliser les marchés, rien n’est dit sur la
dévaluation monétaire, la déflation salariale, la stratégie du passager clandestin ou le moins-disant fiscal/social. Ainsi,
entre pays-membres de la zone Euro, aucun texte n’empêche la baisse
des salaires, la suppression des normes de sécurité ou la baisse excessif les taux
d’imposition pour attirer entreprises et particuliers. Cette course au
moins-disant fiscal et social est à l’œuvre car nous n’avons plus le pouvoir de
dévaluer notre monnaie ou de nous protéger.
La concurrence est déjà imparfaite et parfois déloyale
entre pays membre de la zone Euro (bien que conforme à l’OMC et au droit
européen) ; l’Euro n’a rien à voir là dedans. A moins d’avancer dans
l’intégration et la coopération européenne, il ne peut y avoir d'amélioration notable, Euro ou pas. Il s’agit donc d’une question de volontarisme politique et
non de monnaie unique. Prétendre qu’il faut conserver la monnaie unique pour le
bien du commerce international est un non-sens.
On pourrait d’ailleurs voir le problème à
l’envers : la crise économique européenne, dans laquelle nous sommes
empêtrés, représente-t-elle un bienfait pour le commerce international ?
Si, aujourd’hui, on parle de semi-mondialisation
(selon les termes de Jean-Hervé Lorenzi dans « un monde de violences »
aux éditions Eyrolles) c’est que tous les indicateurs du commerce mondial
souffrent de la crise. Une crise interminable car nous n’avons plus la maîtrise
de tous les outils économiques et monétaires.
Pour clore le sujet, les pro-Euro inquiets de l'état du commerce international ne devraient-ils pas dénoncer les
décisions des instances européennes sur les mesures de rétorsion entre l’Union
Européenne et la Suisse ou la Russie?
L’absence de démocratie à l’échelle européenne n’est-il pas un frein à la mondialisation et au commerce international ?
L’absence de démocratie à l’échelle européenne n’est-il pas un frein à la mondialisation et au commerce international ?
4/ Si on sort de l’euro, la production industrielle n’ira pas mieux et les nouveaux taux de change vont pénaliser nos activités bancaires, financières et commerciales (import/export)
Une phrase de l’économiste João Ferreira do Amaral [dans "Pourquoi devons-nous sortir de l’Euro" aux éditions Lua de
Papel] permet de retourner le problème :
"En vérité, l'implémentation de la monnaie unique n'a aucune justification économique"
Les critères présents dans le traité de Maastricht n’ont aucun lien
avec la compétitivité, la structure productive, la productivité, le type
d'économie ou la production. Il est uniquement question de réduire les options
nationales en matière de politique économique. En réalité, l’Euro a détruit les
politiques industrielles (faute d’en établir une au niveau européen) et
favoriser le dumping fiscal/social entre États-membres au nom de la libre
concurrence.
Regardez l’état de la production dans la
zone Euro depuis 1999 :
De l'autre coté, les économistes estiment qu’une
surévaluation de 10% de l’euro est responsable d’une perte de croissance
comprise entre un demi-point et un point (pour la France). De fait, avec un
taux de change de 1 euro pour 1,33$ (comme aujourd’hui), cela correspond à un
gâchis de 1 à 2% de croissance.
5/ Si on sort de l’euro, on ne pourra jamais former les États-Unis d’Europe et surtout on risque une troisième guerre mondiale
Comme je l’ai dit à maintes reprises, la crise de
l’Euro n’a que de deux issues possibles : le fédéralisme ou la fin de la
monnaie unique (cf. ici).
Les partisans de l’Euro promettent que le
fédéralisme est à portée de main : un jour nous aurons 10% de notre
fiscalité en commun, la France aura un droit de regard sur le budget allemand,
les paradis fiscaux auront disparu, le chômage baissera, etc… En suivant ce chemin tracé par les prophètes, on laisserait derrière nous les guerres et les conflits.
Cette vision est complètement utopique.
Je m’explique.
Le budget européen c’est moins de 1% du PIB
européen. Une goutte d’eau. Pourtant ce budget, tous les États-membres essaient de le
négocier à la baisse. Même lorsque nos voisins européens étaient en difficulté, il a
fallu des mois de négociation et de souffrances pour que soit autorisé une
entraide (très limitée et limitative). A qui va-t-on faire croire que demain nous mettrons
jusqu’à 10% – ou même 20% – de notre PIB en commun ?
Les paradis fiscaux font partie intégrante de
l’Union Européenne et chaque état-membre profite d’au moins l’un d’entre eux.
Les élites politiques et financières, consanguines, jouent des pieds et des
mains pour limiter toute régularisation dans ce domaine. Le coup du « les
paradis fiscaux c’est terminé », on risque de l’entendre encore plusieurs
fois sans véritable remise en question.
Je pourrais encore parler du droit de regard sur
les budgets des voisins (imaginez François Hollande dire non au projet de loi
de finances allemand…) mais à quoi bon ? Les États-membres se livrent une
concurrence féroce, dans les règles des traités, et ne sont pas prêt à avancer.
Les États-Unis d’Europe c’est la promesse des lendemains qui chantent, c'est-à-dire
la Saint Glinglin. Or, tant que la zone monétaire européenne sera imparfaite,
les crises vont s’enchaîner, au détriment des populations et de l’Économie.
Enfin, aucune raison ne laisse penser que la fin de
la monnaie unique favorisera une troisième guerre mondiale. Les économistes
sont à deux doigts d’atteindre le point Godwin quand ils sont en panne
d’arguments et c’est bien malheureux. Créer un climat de terreur pour justifier
une idéologie qui refuse de s'affirmer en tant que telle, est vraiment la dernière cartouche.
Encore une fois, je prendrais cet argument à revers :
combien de temps encore les européens pourront encore souffrir du chômage, de
la baisse de pouvoir d’achat et de la destruction de leur protection
sociale ? Une étude récente montrait qu’une majorité de jeunes français
serait prêt à manifester si le sentiment de devenir la « génération perdue »
devenait trop fort. Pour ma part, je pense qu’il en faudrait beaucoup plus pour
créer un nouveau mai 68 mais cette population, résignée démocratiquement, pourrait
cependant passer aux choses sérieuses si « un Nous pourrait se
former » selon les termes de Jean-Hervé Lorenzi.
La fin de l’Euro en tant que monnaie unique, n’est
pas nécessairement synonyme de fin de l’Euro et encore moins de fin l’Union
Européenne. La solution la plus raisonnable serait de conserver l’Union
Européenne et même l’Euro en tant que monnaie commune (mais plus unique).
Au-delà du débat sur l’Euro, c’est la question de
la libre expression et de la démocratie qui est en jeu. Les instances
européennes et la plupart des économistes médiatisés étouffent les débats
citoyens sous de faux airs de technicité. Ce n’est pas de cette façon que nous
sortirons de la crise par le haut.