« La richesse cachée des nations »
(Gabriel Zucman), « Ces 600 milliards qui manquent à la France »
(Antoine Peillon), « la grande évasion : le vrai scandale des
paradis fiscaux » (Xavier Harel) ou encore « le capital au
XXIe siècle » (Thomas Piketty) sont quelques exemples de livres
m’ayant fortement inspiré.
Tout cela est assez étonnant dans les faits car le G20 concluait que c’était la « fin du secret bancaire ». Or, Gabriel Zucman souligne que les fortunes étrangères en Suisse « ont augmenté de 14% » et, même de 25% tous paradis fiscaux confondus. Dans une fiction on pourrait en rire mais la réalité est malheureusement terrible : il s’agit d’autant de recettes à déduire du budget des États-souverains.
Le thème récurrent ? Les paradis fiscaux,
l’optimisation fiscale, la fraude fiscale, le manque à gagner des États-nations, les inégalités galopantes,…
Aujourd’hui, je vais tenter de dresser une
cartographie des patrimoines étrangers dans les paradis fiscaux. Il ne s’agit
pas de vous parler des techniques d’optimisation fiscale (il y a déjà un
article sur le sujet, si le courage vous en dit : ici) mais des masses
monétaires en jeu, des fausses bonnes raisons du dumping fiscal et de la prétendue fin des paradis fiscaux annoncée au G20 en 2009.
Les montants en jeu
D’après les calculs de Gabriel Zucman, entre 10 et
11% du patrimoine mondial serait détenu dans les milieux offshores. Cela représente
un stock d’environ 8 000 milliards d’euros – bien que ce montant prête
à caution – de patrimoine étranger caché dans les banques offshore.
A titre de comparaison, le PIB annuel, c'est-à-dire
la richesse créée par an, de la France est de 2 739 milliards d’euros en
2013…Retenez simplement l’ordre de grandeur car si le PIB est un flux (il se
créé tout le temps), le patrimoine est un stock.
Sur ces 8 000 milliards d’euros, la majeure
partie est investie en titres financiers (actions, obligations, SICAV,…). En
effet, les rendements des titres financiers sont, en moyenne, plus élevés que
la plupart des autres placements, y compris les investissements productifs. De
plus, il est plus simple de les transférer et de les dissimuler. Bref, que
demande le peuple ?
Le graphique suivant porte sur le partage approximatif
de ce patrimoine caché dans les paradis fiscaux :
La Suisse, coffre-fort de l’Europe
La moitié du patrimoine français situé dans les
banques offshores, se trouve en Suisse. On approche ainsi les 175 milliards d’euros,
d’origine française (sur 350 milliards), tapis dans les montagnes helvètes. D’ailleurs,
tous les journaux ont relevé l’information selon laquelle « 80% des 15 813
fraudeurs du fisc français ayant demandé la régularisation de leur situation
avaient un compte en Suisse ».
La situation présentée dans le graphique suivant n’a
donc rien de surprenant:
Tout cela est assez étonnant dans les faits car le G20 concluait que c’était la « fin du secret bancaire ». Or, Gabriel Zucman souligne que les fortunes étrangères en Suisse « ont augmenté de 14% » et, même de 25% tous paradis fiscaux confondus. Dans une fiction on pourrait en rire mais la réalité est malheureusement terrible : il s’agit d’autant de recettes à déduire du budget des États-souverains.
Voilà qui ne favorise ni la réduction des
inégalités, ni la baisse des déficits budgétaires.
De plus, comment demander aux classes modestes et
moyennes de payer des impôts de plus en plus lourds quand les plus aisés peuvent décider du montant
à régler (ou à ne pas régler justement) ?
Une fraude insupportable
La fraude des ultra-riches couterait 130 milliards
d’euros dans le monde (fraude à l’IRPP, à l’ISF et aux droits de succession).
Attention : dans ce montant, on omet de comptabiliser les revenus tirés
des activités illégales (à la base) et la perte due à la baisse des taux
d’imposition (bah oui, il faut se rendre « attractif » quand il y a
du dumping fiscal).
Pour l’Europe, cette fraude représente 50 milliards
de recettes en moins.
La France s’y taille la part du lion avec 17
milliards d’euros par an :
Pour information en France, en 2013 :
- Les recettes en matière d’Impôt sur le Revenu (IRPP) étaient de 67 milliards ; l’évasion fiscale augmente donc les besoins de l’État de 9 milliards.
- L’ISF devrait atteindre difficilement les 4 milliards de recettes (on parle de 4,3), alors que 4 milliards d’ISF sont omis des déclarations tous les ans…
Ces montants sont scandaleux alors que l’on oblige
les français à se serrer la ceinture. Je les trouve encore plus scandaleux
quand le gouvernement se demande comment réduire le déficit budgétaire…
La lutte contre les paradis fiscaux en Europe : des paroles mais peu de résultats…
Plusieurs mécanismes ont été mis en avant pour
justifier la « fin des paradis fiscaux » mais qu’en est-il ?
Au niveau national, on peut tirer les enseignements
de l’enquête d’Antoine Peillon auprès d’un « infiltré » de la DCRI (le
FBI français), et plus particulièrement de la sous-direction K5 « en
charge des sections bancaires et fiscales ». Son livre intitulé « les
600 milliards qui manquent à la France » nous révèle que cette
division peut user de son influence pour mettre certaines affaires au secret durant
le temps nécessaire de la prescription (3 ans en général). Ces mises au secret
ne concernent pas les affaires de Monsieur Toutlemonde, cela va de soi…
Au niveau international, le premier mécanisme me
venant en tête est l’assistance mutuelle en matière fiscale : concrètement
les États doivent collaborer pour empêcher les fraudes en échangeant des
données, en transmettant certaines informations au fisc, etc… C’est beau sur le
papier mais il s’agit d’une simple « déclaration de bonnes intentions ».
Rien n’empêche d’omettre certaines informations, de ne pas faire d’efforts pour
identifier les détenteurs des comptes ou de compter sur la bonne foi.
La deuxième initiative est européenne : il s’agit
de la fameuse directive épargne (de son doux nom Directive 2003/48/CE). Elle
devait permettre d’imposer les individus dans le (vrai) pays du résident et non
celui où est enregistré le(s) compte(s). Encore une fois, cela ne permet pas de
conclure que les paradis fiscaux ont disparu de l’Union Européenne.
Premièrement, la directive épargne ne cible que les
intérêts des comptes et ne s’attaque donc pas aux revenus des titres
financiers. Or, comme l’atteste premier graphique, la majorité des sommes
détenues dans les paradis fiscaux sont investies en actions : les revenus
sont alors des dividendes et non des intérêts...
Deuxièmement, les paradis fiscaux que sont le Luxembourg
et l’Autriche disposent de dérogations. Même la Suisse a pu négocier l’accord
correspondant et tous les sites internet suisses de gestion de patrimoine s’en
vantent : « les détenteurs non-résidents de comptes suisses sont toujours
protégés par le secret bancaire ! »
Enfin, pour être concerné il faut que le compte soit
ouvert à son nom. Les comptes détenus par des sociétés écrans, des trusts, des
fondations et autres coquilles vides, sont exclus de cette forme de contrôle.
La directive est entrée en vigueur en 2005 et il est assez remarquable de
constater comment cette mesure avait été anticipée ; jetez donc un œil sur
le nombre de comptes suisses détenus en mains propres avant et après le vote de
la directive :
En conclusion, les paradis fiscaux ne se sont jamais mieux portés. Le secret bancaire a encore de merveilleux (sic) jours devant lui.
Certains experts affirment qu’il s’agit
d’une concurrence saine permettant de promouvoir la liberté des capitaux. On ne
peut que difficilement être d’accord avec cela. Gabriel Zucman considère l’évasion
fiscale, à juste titre, comme une externalité négative et du « vol pur et
simple de nations ». En période de crise et de resserrement budgétaire, il
serait temps de récupérer ce qui revient de droit aux États souverains. Après tout, il s'agit de mesures anti-concurrentielles pouvant donc donné lieu à des rétorsions commerciales...alors utilisons-les ! La France n'est pas le seul pays perdant à ce petit jeu !
La passerelle entre le secret bancaire et les
subventions déguisées devrait être reconnue par les institutions
internationales comme le FMI, l’OCDE ou l’OMC. C’est alors que de vraies
mesures pourraient être établies pour lutter contre ce fléau qu’est l’évasion
fiscale en suivant, par exemple, le plan d’action décrit dans « la
richesse cachée des nations » de Gabriel Zucman :
- Créer un cadastre financier du monde : les titres financiers puis les dérivés,
- Instaurer l’échange international et automatique de données,
- Réformer l’impôt : impôt mondial sur les sociétés et sur le patrimoine.
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