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lundi 11 février 2013

Le mythe des exilés fiscaux : particuliers et entreprises

Si certains ont plus d’influence que d'autres, ils ont aussi les moyens de faire parler d’eux et de créer un climat de peur.

L’exil des Riches et des Créateurs de Richesses

Les gens (cadres, entrepreneurs, investisseurs, travailleurs, retraités,…) ne sont pas des Homo Œconomicus. Ils ont des attaches et des sentiments (parfois irrationnels comme tout le monde) : leurs pays, leur culture, leurs habitudes, leurs langues, les infrastructures, les paysages, la sécurité, la qualité de vie,...
Et c’est pour ces mêmes variables que des personnes peuvent décider de s’établir dans un autre pays si elle pense que ce sera mieux (comme l’indique un rapport de HBSC sur les retraités ayant décidé de vivre en Thaïlande).

Les aventures très médiatisées de Bernard Arnaud et Gérard Depardieu ont jeté un véritable coup de froid dans les esprits : tous les riches et tous les entrepreneurs s’en iraient-ils ?

Cela fait déjà quelques décennies qu’on brandit cette bête noire d’un fisc confisquant richesses et gouttes de sueur. Cette idéologie a provoqué une compétition du moins-disant fiscal au détriment du plus grand nombre.
Thomas Piketty a illustré le cas en France dans son livre (génial) « pour une révolution fiscale ». Un des graphiques repris ci-dessous – vous pouvez le retrouver sur le site http://www.revolution-fiscale.fr/ – fait clairement état de ces cadeaux aux plus aisés : plus on gagne…et moins on paie (en proportion). Et la France est loin d’être la pire en la matière…


Les chiffres

Revenons-en à nos moutons : Est-ce que les riches particuliers quitteraient la France ?
Pour simplifier la question et pouvoir chiffrer cet exode, je m’en suis remis aux études sur les assujettis à l’Impôt sur la Fortune (ISF).
Les chiffres : ils sont entre 500 et 1000 à quitter le pays chaque année. Ils sont aussi entre 200 et 300 à revenir dans notre beau pays chaque année. Le solde net se situerait donc entre 400 et 600 par an.
Cet exode fiscal, le syndicat solidaire des finances publiques (syndicat de Bercy) l’évalue ainsi entre 0,12 et 0,14% des assujettis à l’ISF tandis que pour Katia Weidenfeld, cela en représenterait environ 0,15%.
Ces départs ne datent pas d’aujourd’hui malgré tous les précédents cadeaux fiscaux et il serait difficile de se lancer dans la course à l'attractivité fiscale car certains petits pays proposent des taux d’impositions extrêmement faibles (jusqu'à 0% sous certaines conditions).

Niveau recettes, cela représente quelques millions d’euros d’ISF en moins chaque année (sans compter la perte en TVA, l’impôt sur le revenu et les autres impôts qu'aurait dépensé ces personnes).
Bien que dommageable, on peut logiquement penser que ce n’est pas une catastrophe et que la réponse ne se trouve pas dans le moins-disant fiscal : ce ne créera pas plus de croissance et cela ne serait pas une raison suffisante pour les faire revenir.
La stratégie de la peur et de la terreur c’est plutôt une tactique de communication, de pouvoir et d’influence.


Trop d’impôt ?

Il y a deux raccourcis fait, à tort, sur le sujet des taux d’imposition :
      - D’une part, affirmer que nous sommes imposés sur tous nos revenus. En réalité, il n’y a de nombreux abattements, niches fiscales et autres moyens de diminuer sa base imposable (le quotient familial par exemple qui permet de la réduire en fonction de la structure du ménage),
    - D’autre part, celui de se méprendre sur les taux d’imposition. Qui n’a pas entendu autour de soi : « Attention ! Si tu gagnes 100 euros de plus, tu vas passer dans la tranche du dessus et tes impôts seront beaucoup plus élevés ! »
Il n’est pas juste de penser cela car nous sommes imposés à un taux par tranche de revenu comme l’indique le barème officiel ci-dessous.
Ainsi, si je gagne 10 000 euros, je serais à 0% sur la première tranche, puis 5,5% sur la 2e tranche (de mon 5964e euros jusqu’à mon 10000e euros soit 4036 euros à 5,5%). Si j’ai une augmentation qui me permet de gagner 11 900 euros, je ne vais donc pas être imposé à 14% sur l’intégralité de mes revenus mais seulement sur la part supérieure à 11 897€ (début de la 3e tranche) soit 3 euro à 14% (11 900 – 11 897).
Plus techniquement, on différencie le taux d’imposition moyen et le taux marginal. Le taux marginal c’est la plus haute tranche de l’impôt, le taux moyen c’est celui pour lequel nous sommes imposés en moyenne sur nos revenus.

Ainsi il est trompeur de dire « c’est choquant de payer 75% d’impôt ». Affirmer cela dans les médias et sur les réseaux sociaux, c’est vraiment pour se stigmatiser et prendre les gens pour des cons.

Enfin, on parle de taux confiscatoire et de jamais vu alors que la France a déjà vu des taux bien plus élevés (plus de 70%) et que les États-Unis ont longtemps affiché une tranche à 90% (et il n’y a pas si longtemps que cela !).

Trop d’impôt et Courbe de Laffer

Posée simplement, la courbe de Laffer repose sur le principe de trop d’impôt tue l’impôt. A partir d’un certain seuil, dit confiscatoire, le taux d’imposition n’est plus efficace et gripperait notre machine économique en démotivant travailleurs et investisseurs.
Elle est représentée de la manière suivante :
Un des principaux arguments contre cette courbe est que si elle était validée par les faits, les nombreuses baisses d'impôts chez nous ou ailleurs, auraient dû permettre une hausse des rentrées fiscales...Ce qui n'est jamais arrivé, bien au contraire. Toujours dans cette optique et si cette courbe provoquait les effets escomptés à partir de ce seuil, une baisse de l’imposition devrait « libérer la croissance » et une augmentation de l’imposition devrait la faire baisser…Or il me paraît impossible d’affirmer une telle vérité ou en tout cas de le prouver.

J’ajouterais que Laffer n’a jamais indiqué où se trouvait le seuil confiscatoire. Il dépendrait certainement du pays, de sa culture, du contexte,…mais personne ne pourrait affirmer aujourd’hui où se trouverait une telle limite. De ce fait, cette courbe n’a pas beaucoup d’utilité hormis ajouter une pierre à l’idéologie économique.

A travers cette courbe, certains vont aller trop loin et déduire que l'impôt ou la cotisation n'est qu’un simple processus de destruction de richesse. Je préfère voir l’impôt comme le coût de production d'une autre richesse (les biens publics, l’école, les infrastructures, la redistribution, les aides aux entreprises…).


Comparaisons des taux de prélèvement à l’international

Les comparaisons entre les taux de prélèvement à l’international foisonnent : l’Allemagne est plus clémente, les États-Unis ont un État moins grippe-sous, la France fait partie du peloton de tête des prélèvements,…La liste est longue.

Le problème des comparaisons à l’international, c’est qu’il y a de la cuisine là dedans. Tout dépend de ce qu’on compare : si on compare uniquement les taux de prélèvement calculé par chaque pays, nous omettons des éléments essentiels.
Par exemple comparer le taux de prélèvements aux États-Unis et en France nous fait oublier que la sécurité sociale américaine est privée (à quelques exceptions près) et payante (donc en dehors des impôts) alors  que ce coût est en partie déjà inclus dans nos impôts. D’autant plus que ce coût de la santé est plutôt en faveur de la France car les américains dépensent plus pour leur santé et finalement pour des résultats discutables (comme une espérance de vie plus faible que la nôtre).
Il faudrait arrêter les comparaisons internationales ou alors vraiment tout prendre en compte. Est-ce qu’il serait par exemple juste de comparer stricto sensus notre fiscalité dite trop élevée avec une fiscalité faible d’un pays extrêmement pauvre, culturellement différent, avec peu d’infrastructure, peu de soins, peu de formation ? Est-ce que cela aurait du sens ?



L’exil des Entreprises

Enchaînons sur les capitaux et les entreprises qui partiraient à l'étranger.

A mon sens, le capital apatride est un pur mythe. Si les investisseurs recherchent le profit mais ne se comportent pas en être parfaitement rationnel, il faut en ajouter qu'une entreprise ne se délocalisera pas d’un coup de baguette magique.
Une multinationale qui quitte définitivement son pays d'origine…vous en connaissez beaucoup ?
Généralement une multinationale a dans la majorité des cas des responsables du pays d’origine et son centre décisionnaire dans ce dernier.

De la même manière qu’une entreprise ou un individu n’est pas juste un compte en banque, un pays ne se résume pas à un taux d’imposition. Il est ainsi faux de ne raisonner qu’en termes de compétition fiscale : il faut poser le problème sous forme de compétition globale.

Internationalisation et Délocalisation

Les activités internationales passent le plus souvent par du "brown-field" c'est-à-dire achat d'une entreprise existante. Cela ne crée pas plus d'emploi (à l'instant T) pour le pays en question. Il s’agit plutôt d’une prise de contrôle par des étrangers qu'un véritable apport.
Si de nombreux pans de notre activité peuvent s’exporter (y compris certains services), il ne faut pas systématiser. De nombreuses choses ne peuvent pas 's'internationaliser' : les modes d'organisations, les réseaux d'entreprise, des réseaux de connaissances, des personnes de confiance, son cadre d'origine (institution, légal, juridique,...).

Ainsi, le but de l’internationalisation voire de la délocalisation n'est pas seulement de réduire les coûts, il s'agit surtout de s'implanter sur des marchés porteurs et de contourner les barrières protectionnistes. Et si des entreprises perçoivent que le marché national est "mort" (en particulier du fait de la baisse des revenus des consommateurs engendrée par une pression fiscale de plus en plus forte), elles miseront sur l’international car trouver des marchés plus dynamiques est une question de survie.


L'Européanisation

Spécifiquement pour l'Europe, le capital autrefois national s'est transformé en capital européen. Cela reste toutefois limité, dans le genre donnant-donnant, et avec une commission européenne qui bridera les fusions/acquisition (et la croissance des entreprises).  
En effet, ce « pays Europe » a une limite qui est dans sa constitution même : la libre concurrence (à tout prix). Ainsi au nom de la libre concurrence, la commission européenne a refusé toute fusion/acquisition pouvant créer des champions européens. 
En contrepartie, et c’est le plus dommageable, il n’existe aucune véritable politique industrielle à l’échelle européenne. En Europe, nos industries sont compressées dans un étau et nous nous approchons d’une phase critique, presque cul-de-sac.

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