Ayant
récemment regardé un débat sur le thème de la pauvreté, j’ai été
particulièrement choqué par une intervention de M. Attali (dans ce Soir ou
Jamais chez Taddei) :
Au fond, la planète n'est pas pauvre : la solution ne sera pas que de faire grandir le gâteau (par la croissance) mais de savoir le partager.
« Moi, je passe ma vie à courir le monde et à voir des gens pauvres. Ces gens pauvres, ils ne rêvent que d’une chose : ils ne rêvent que de la croissance que vous condamnez. Ils ne rêvent que de sortir de cette misère. Et vous ne les connaissez pas. Ils ne rêvent que d’entrer dans un monde dans lequel ils ont de la dignité. La pauvreté est insupportable et intolérable. […] La pauvreté et la misère […] : or, c’est la même chose. »
La pauvreté
et la misère sont la même chose ? Un pauvre serait indigne ? Un homme
honnête et digne se reconnaîtrait-il à son compte en banque ? M. Attali
connaîtrait-il les pauvres ?
Connaitre les pauvres
J’émets un
sérieux doute sur le fait que Jacques Attali connaissent les
« pauvres ». Connaître les pauvres se n’est évidemment pas faire un
« circuit touristique » de quelques heures dans le tiers-monde ou
dans nos banlieues mais essayer de les comprendre en vivant et en apprenant
avec eux. Difficile de l’imaginer vivre dans ce monde, lui, le conseiller des
présidents, issu d’une famille aisée et qui est passé par l’un des plus
prestigieux lycées de Paris ou encore Polytechnique ou même l’ENA.
Pour aller
au fond de ma pensée : peu de personnes ayant toujours vécu dans la
richesse (et bien entouré) peuvent décemment affirmer connaître les pauvres.
C’est comme si j’affirmais connaître les Inuits parce que j’ai vu un reportage
sur le pôle nord ! Je ne remets cependant pas en cause l’intelligence ou
le parcours de l’homme qui sont extraordinaires mais simplement le fait
qu’ils puissent connaître les pauvres. Il est sûr de lui certainement grâce à l’une
de ses activités dans la micro-finance mais il ne fait pas étal de toutes les
autres.
D’ailleurs,
Laurent Mauduit en tire un portrait des moins flatteurs dans son livre
« Les Imposteurs de l'économie » où sont énumérées à tour de bras ses déboires politico-financières et en particulier d'importantes critiques sur le fonctionnement de PlanetFinance,
l’association de microcrédit qu’il aime tant mettre en avant sur les réseaux
sociaux, les plateaux et les ondes.
N’ayant
jamais été riche et ayant passé une partie de ma (jeune) vie dans les pays en
développement au sein de familles qu’on qualifierait de pauvres, je crie haut
et fort que les pauvres ne sont pas des gens indignes sans joie de vivre :
les pauvres ont d’autres richesses.
Bien sûr l’argent
facile, qui tomberait du ciel ou qu’on gagnerait à la loterie, c’est le mythe
qu’on se raconte à peu près tous. Toutefois, cela ne veut pas dire que les
pauvres sont des assoiffées d’argent et de croissance.
Cela dit,
les pauvres ne se trouvent pas que dans les pays pauvres.
On arrive au
fait que pauvreté et misère sont deux notions distinctes (à mon sens).
Misère et Pauvreté
La pauvreté
est en réalité une notion très vaste qui peut revêtir différentes définitions.
Dans le sens
commun, un pauvre est quelqu’un qui a des difficultés à vivre ou survivre. Ces
difficultés se traduisent par une absence ou un manque en termes de logement,
de vêtements, de nourriture, d’eau…On est ici dans le cadre de la misère
(la pauvreté absolue).
Une formule
est (tristement) célèbre :
« La misère commence là où sévit la honte ».
La frontière entre la misère et la pauvreté pourrait se trouver ici. Venons-en à la pauvreté.
Un pauvre
c’est aussi quelqu’un qui n’a pas accès à un panier de biens et de services que
la société considère comme « normal ». En France, ce serait par
exemple celui qui ne peut pas avoir de téléphone, celui qui ne peut pas aller
au cinéma ou partir en vacances pour des raisons financières. C’est aussi
l’enfant qui se fera brimer par ses camarades car ses parents n’ont pas pu
acheter tous les livres nécessaires ou parce que ses habits ne sont pas
« à la mode » (habits des ainés, habits de marque distributeur,…). On
parle alors de pauvreté relative car les conditions minimales pour vivre sont
réunies mais la société considère que ce mode de vie est en dessous de la norme
collective ; cette norme n'est d'ailleurs pas une moyenne mais une image collective de ce qui est la norme. Les médias et la publicité n'y sont pas étrangers.
Mesurer la pauvreté
En économie,
il existe mille et une façons de mesurer la pauvreté. En voici trois :
- La pauvreté et la misère peuvent se calculer en fonction d’un panier de biens estimés indispensables à la vie en société (comme cela se fait aux États-Unis),
- Pour la pauvreté relative, les économistes estiment ce seuil à 50 ou 60% du niveau de vie médian. Le niveau de vie, c’est en résumé le revenu après impôts et aides. Le de niveau de vie médian est un seuil atteint lorsque la moitié des nationaux se trouve au dessus de ce niveau et donc que l’autre moitié est en dessous. En France, on serait pauvre en dessous de 50% de ce niveau de vie médian soit 795 euros par mois (ou 950 euros par mois pour 60% de ce niveau).
- Cela peut être un sentiment issu des privations, des restrictions et des problèmes du quotidien : on parle de pauvreté en conditions de vie. L’INSEE réalise à cet effet une enquête annuelle au moyen d’une liste d’indicateurs.
La mesure de
la pauvreté (ou de la misère) est donc une cuisine et varie en fonction de la
société et de l’époque.
Par rapport à
ces chiffres, on constate que pauvreté et misère reculeraient de manière
générale et mondiale. Le recul de la pauvreté est plus lent car, selon ces
méthodes de calcul, elle est relative à la richesse d’un pays. Or cette dernière étant
croissante, le seuil se relèvera indéfiniment.
En
contrepartie, la solidarité étant une valeur de moins en moins partagées (au
profit de l’individualisme), cela rend la misère et la pauvreté plus difficile psychologiquement.
La pauvreté se soigne-t-elle avec l’argent ?
Heureusement,
l’homme digne ne se reconnaît pas qu’à son compte en banque et la pauvreté
n’est pas une maladie. D’ailleurs à trop se concentrer sur l’argent, nous nous
bloquons sur une vision des riches sur les pauvres ce qui est extrêmement
dangereux.
Toutefois pour
répondre à cette question des plus tordues, il convient de se référer au
paradoxe d’Easterlin. En effet, pour cet économiste, bonheur et argent ne progressent pas au même
rythme. En fait, l’argent rendrait heureux rapidement jusqu’à un certain seuil
puis son effet s’estomperait et rendrait de moins en moins heureux.
Pourquoi ?
Je pourrais
répondre simplement avec l’adage « plus on veut, plus on en a ». Une
fois nos besoins primaires assurées, nous entrons dans une logique du désir et
de besoins relatifs aux autres.
En effet,
nous nous habituons assez rapidement à notre nouveau niveau de vie ; avoir
plus d’argent a tendance à créer de nouveaux désirs et nous invite à se comparer à un niveau de
référence plus élevé : la classe au dessus. Comme indiqué dans un
précédent article (la fin du travail), en présence d'inégalités, les acteurs
essaient d'égaliser les niveaux de vie et de se rapprocher de la
« classe » supérieure (par des revendications salariales, par la réduction
de leur épargne, par le crédit,…) ce qui peut créer des frustrations.
Ainsi, si l’argent permette de sortir de la misère, il n’est pas non plus une potion magique
du bonheur (à partir d’un certain seuil). Peu de personnes refuserait de l'argent mais il peut révéler tout ce qu’il y
a de plus mauvais chez l’homme lorsqu’on cherche à en obtenir davantage à
n’importe quel prix : l’égoïsme, la jalousie, l’ambition, le pouvoir, la
haine, le désamour,…L’argent est une des composantes du pouvoir et je vous
invite à lire mon billet sur le pouvoir pour vous en faire une idée.
Maintenant à
savoir si les pauvres ne recherchent que de la croissance, on peut penser que
oui : plus d’argent est toujours bienvenu...mais il faut mettre cela entre
guillemets. D’une part, cette croissance est très inégale et ne profite pas à
tous. D’autre part, cette croissance effrénée a dégradée l’environnement, les
ressources, les eaux et les paysages de ces pays. Et on sait que la nature a
une place toute particulière dans ces sociétés.
La richesse des pauvres
Le bonheur, le
bien-être et la dignité ne se réduisent pas qu’à la sphère financière et dépendent
de plusieurs autres variables : la vie privée, la santé, l’éducation, le
lien social, le régime politique, la culture, la religion, le climat, le
travail, le rapport au temps, le rapport à la nature…
Quand Paul
Ariès déclare que « les pauvres, ils ont une autre richesse, une autre
culture, un autre rapport au temps (ralenti), un autre rapport à l’espace
(relocalisé) », il y a du vrai.
De ce que je
note dans les pays émergents, les « pauvres paysans » qui s'exile
en ville obtiennent plus facilement de l’argent et vont se mettre à la mode des
occidentaux : téléphone portable, beaux habits, ordinateur portable,…Les intérêts
matérialistes apparaissent chez les jeunes et souvent les jeunes parents
essaient de compenser leur absence auprès de leurs enfants par des achats
compensatoires.
Ces pauvres
ou anciens pauvres n’oublient jamais leur village et ils y reviennent souvent pour
décompresser voire définitivement lorsqu’ils n’en peuvent plus. Cela leur
permet de retrouver leurs racines, la notion de partage, le lien social et un
rapport au temps ralenti : ce qu'on pourrait appeler le capital social. En effet, contrairement à ce qu’on en dit, il existe
des pauvres heureux (je ne parle pas ici des gens dans la misère) : dans
ces villages pauvres des pays émergents, sans eau courante ou internet, les
gens peuvent être heureux et avoir la joie de vivre au ventre. Si, si je vous
jure. Ils ne sont pas riche en argent ou en biens (ils n’ont pas grand-chose)
mais ils sont riches en liens. Ces gens sont très surpris de la solitude et des
individualismes qui se manifestent dans nos pays riches.
Évidemment l'argent est nécessaire dans notre société mais en fait, je
pense que lorsqu’on en a bavé dans sa vie (pour aller à l’école, pour manger ce
que les autres mangent,…), on n’oublie jamais d’où on vient et on sait sur qui
compter : la famille, les amis,… Le lien social a ainsi une place
prépondérante.
Affirmer que "les pauvres ne rêvent que d'entrer dans un monde où ils ont de la dignité" c'est très mal les connaître. C'est une vision terriblement insultante et réductrice.
Affirmer que "les pauvres ne rêvent que d'entrer dans un monde où ils ont de la dignité" c'est très mal les connaître. C'est une vision terriblement insultante et réductrice.
La situation planétaire des inégalités
La
croissance peut-être une solution pour faire disparaître la misère et réduire
la pauvreté. Ce n’est cependant pas la seule solution car une croissance répartie
comme aujourd’hui ne fait qu’accroître les inégalités. Or plus les inégalités
se creusent et plus…elles se creusent du fait des jeux de pouvoir et d’argent
qui s’en retrouvent renforcés.
Les
différentes interventions de Paul Ariès donnent un aperçu de cette
situation :
« 20% des humains, dont nous sommes, s’approprient 86% des ressources planétaires. Imaginez que vous invitez quatre amis à votre table, vous avez un gâteau, vous la partagez, vous mangez les trois premières parts et laissez la dernière aux autres. Voilà aujourd’hui la situation planétaire. »
«Nous nous sommes monstrueusement habitués aux inégalités sociales.
Quelques chiffres : les trois familles les plus riches à l’échelle planétaire ont un revenu supérieur au PIB total des 48 pays les plus pauvres. 3 familles, 48 pays.
Mais il y a trois chiffres qui sont plus révélateurs et peut-être plus compromettants.
- Si vous avez un patrimoine personnel, votre patrimoine, c’est l’ensemble de vos bien accumulés : votre maison, votre appartement, votre voiture, votre électroménager, votre argent.
- Si vous avez un patrimoine de 5 650 euros, il y a plein d’enfants chez nous qui ont plus de 5000 euros sur leurs livrets, vous appartenez déjà aux 50% des plus riches de la planète.- Si vous avez un patrimoine de 45 000 euros, même pas le prix d’un petit studio dans une grande ville, vous appartenez aux 10% des plus riches de la planète.- Et si vous avez un patrimoine de 375 000 euros, le prix d’un joli pavillon dans une grande ville, vous appartenez aux 1% des plus fortunés de la planète. »
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