Emploioutai, Emploioutai : le marché de l’emploi est en crise, le
taux de chômage augmente, le chômage de longue durée explose,…On entend qu’il
faudrait de la croissance, baisser les impôts, diminuer le coût du travail, réduire
la taille de l’État et faciliter les licenciements pour que cela aille mieux (concept
de destruction-créatrice). Dit comme cela, cette potion me paraît bien amère et
peu pertinente.
Vous trouverez ci-dessous trois graphiques rapportant le taux de croissance à différents indicateurs de l’emploi, à différentes périodes pour différents pays. Les deux premiers rapportent le taux de croissance du PIB au taux de croissance de l’emploi, d’abord sur la période 1992-2003 (ce graphique-là n’est pas de moi) puis sur 2003-2012. Le dernier graphique met en parallèle taux de croissance et taux d’emploi (= le nombre de personnes en poste rapporté à la population active).
Cela nous amène au sujet du jour : quelle est le lien entre
croissance et emploi ? Et si lien il y a, est-il systématique ?
Un peu de théorie
Le principe simplifié est le suivant : les gains de productivité
permettent devenir plus compétitif et permettent aux entreprises de croître.
Ces dernières peuvent affecter ces bouffées d’oxygène à l’investissement, à l’augmentation
des salaires, à l’embauche, à la rémunération des actionnaires,…
Ce serait donc la croissance qui fait l’emploi. Dit autrement, sans
croissance, pas d’emploi. En témoigne la violence des conséquences de la crise
économique sur le marché de l’emploi.
Le graphique ci-dessous met en parallèle la croissance du PIB et la
croissance du nombre d’emplois en France.
Les deux courbes évoluent sensiblement de la même manière, bien que en
décalage et dans des proportions différentes. Il est évident que le marché de l’emploi
est sensible à la conjoncture, et donc à la croissance.
On estime que lorsque le taux de croissance français passe en dessous
de la barre des 2% (taux de croissance potentielle de l’économie française), le
chômage tend à augmenter.
Il faut savoir que le taux de croissance est composé de deux éléments :
le taux d’évolution de la production par habitant et le taux d’accroissement de
la population. C’est assez logique : si la population augmente de 1% (avec
le même taux de chômage) et que le PIB par habitant reste stable alors le taux
de croissance du PIB sera de 1% ; il n’y a pas de gains de productivité
mais il y a plus de monde pour créer de la richesse.
La Loi d’Okun
Cette relation a été mise en équation par Arthur Okun à travers une loi
éponyme : la loi d’Okun.
En
appliquant cette loi pour la France, nous obtenons un coefficient compris entre
0,4 et 0,6 (en fonction de la durée de la période de référence) – nous prendrons
0,5. Et c’est là que cela devient intéressant : pour chaque point d’écart,
en plus ou en moins, entre la croissance potentielle (les 2%) et la croissance
réelle, le chômage est sensé progresser de 0,5 point (fonction inverse).
Application : le taux de croissance français prévisionnel
pour 2013 est de +0,2%.
(2% - 0,2%) x 0,5 = 0,9
Selon la loi d’Okun, le chômage devrait progresser de 0,9 point. Comme
fin 2012, le taux de chômage était de 10,1, il devrait s’établir à 11% (10,1+0,9).
Continuons les prévisions de Madame Irma : en 2014, les prévisions
annoncent un +1% de croissance. Le chômage serait donc de [(2% - 1%) x 0,5] +
11 = 11,5% de chômage fin 2014.
Attention : le coefficient d’Okun est aussi influencé par la « rigidité »
du marché du travail (législation,…) mais ce caractère n’est pas pris en compte
dans la formule.
En suivant les préceptes d’Okun, il faudrait toujours plus de
croissance.
Et pourtant…
La croissance est-elle la potion magique pour l’emploi ?
Le lien emploi-croissance est en réalité plus complexe.
Vous trouverez ci-dessous trois graphiques rapportant le taux de croissance à différents indicateurs de l’emploi, à différentes périodes pour différents pays. Les deux premiers rapportent le taux de croissance du PIB au taux de croissance de l’emploi, d’abord sur la période 1992-2003 (ce graphique-là n’est pas de moi) puis sur 2003-2012. Le dernier graphique met en parallèle taux de croissance et taux d’emploi (= le nombre de personnes en poste rapporté à la population active).
Qu’est-ce qu’il en sort ? Rien ?
Et bien oui.
Et bien oui.
Pour un même taux de croissance du PIB, création d’emplois et taux d’emploi
divergent en fonction des pays. La relation croissance-emploi n’est pas directe et
toute croissance n’est pas forcément synonyme d’emploi.
Les gains de productivité, pierre angulaire de la relation croissance et emploi ?
Rappelez-vous : la croissance se décompose en gains de
productivité et en accroissement de la population.
Si la croissance est tirée par les gains de productivité et que la
durée du travail reste la même, alors l’impact de la croissance sur l’emploi
sera quasiment nul à court terme. Comme il faut moins de personnel pour
effectuer les tâches, pourquoi embaucher ?
Cependant, les gains de productivité vont permettre d’augmenter les
revenus de ceux en poste ou aux commandes des entreprises. Si 1/ils choisissent
de ne pas épargner et si 2/l’investissement ou la consommation reste concentré
au niveau national, alors il y aurait un effet positif sur l’emploi à moyen et
long terme. Toutefois, il est difficile d’affirmer que la croissance de l’emploi
suivra la croissance du PIB.
Cela dit, dans les autres cas (épargne, achats de biens importés,…), l’effet
sur l’emploi sera nul.
Enfin, le secteur va aussi influencer les créations de l’emploi :
à taux de croissance égal, certains secteurs créeront plus d’emplois que d’autres.
Le lien croissance et emploi n’est donc ni direct, ni instantané.
Enrichir la croissance en libéralisant le marché du travail : une vision idéologique ?
Certains économistes et essayistes vont prôner la libéralisation du marché
du travail au nom du plein emploi. En flexibilisant l’emploi, l’offre et la
demande feraient tout le travail ! C’est une vision utopique car :
1/ Les salariés ne peuvent pas se reconvertir du jour au lendemain,
2/ Les nouvelles compétences et qualifications ne seront pas disponibles
d’un claquement de doigt,
3/ Les Hommes ne sont pas aussi mobiles que le capital ou les biens,
4/ On voudrait faire croire qu’en licenciant plus facilement, il y
aurait moins de chômage. La tournure de la phrase peut faire rire mais il faut
savoir qu’il est déjà très facile de rompre un CDI en France (contrairement aux
CDD).
5/ Les dommages du chômage, en particulier de longue durée, sont
terribles au niveau individuel et collectif. Il est dangereux de toujours
raisonner au niveau macroéconomique car on en perd notre humanité,
6/ Durant le temps d’adaptation et de chômage à court terme, il faut bien
financer les retraites, la Sécurité Sociale et les autres services publiques !
7/ Où est l’intérêt de détruire les acquis sociaux (qui sont des gains !)
pour créer de la richesse ? Ne devrait-on pas hisser l’humain au centre de l’Économie ? La richesse ne devrait être qu’une corollaire.
La croissance et la politique
Il apparaît que la croissance seule ne permettra pas de créer (durablement)
des emplois.
De plus, selon la théorie économique, il faudrait 2% de croissance annuelle
en France pour diminuer le chômage. Or le XXIe siècle risque d’être
celui d’un renouement avec des taux de croissance faible. Avec la transition
démographique, il est peu probable que les pays développés obtiennent des taux
de croissance supérieurs à 1,5% par an.
Dans son rapport "Horizon 2060", l'OCDE estime un taux de croissance annuel moyen pour les pays de l'OCDE (les pays développés) compris entre 1,75 et 2,25 jusqu'en 2060, ce qui est très optimiste à mon goût, surtout avec un taux de fécondité très faible.
Robert Gordon pense que le taux de croissance sera inférieur à 0,5% pour la période 2050-2100 aux États-Unis mais on peut penser que cette prévision est assez pessimiste.
Robert Gordon pense que le taux de croissance sera inférieur à 0,5% pour la période 2050-2100 aux États-Unis mais on peut penser que cette prévision est assez pessimiste.
Dans de telles conditions, il est difficile de tout miser sur la
croissance pour obtenir des emplois.
Le marché de l’emploi et l’activité économique en général doivent être accompagnés
d’une politique volontariste. Les politiques doivent enrichir la croissance en
emplois, par exemple en favorisant le partage du travail et non pas en laissant faire.
On pourrait même dire que c’est un choix de société car il pourrait y avoir
du travail pour tous (hors chômage structurel, mais qui serait capable de l’évaluer
correctement ?). Il pourrait même y avoir du travail même sans croissance
avec les politiques adéquates.
Le temps du capital n’est pas le même que celui des Hommes et c’est le
rôle de l’État de veiller au grain : l’Homme.
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