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dimanche 21 juin 2009

Du rôle de l'Allemagne - le modèle Rhénan

L’allemand est la langue la plus parlée en Europe. 85 millions d’allemands, 5 millions de suisses allemands, 8 millions d’autrichiens, sans compter bien sur les hollandais, les wallons, les luxembourgeois, les alsaciens, les hongrois, les polonais etc…

Pour certains, le modèle allemand est celui de la réussite et de puissance adapté à l'euro fort. N’avez-vous déjà pas entendu dire que les salaires allemands sont plus élevés et qu'on y vit mieux qu'en France ?

Pour d'autres c'est le plomb de l'Europe, tirant la croissance européenne vers le bas, à cause, entre autres, de son droit du travail trop restrictif et du dumping social.

Aujourd'hui, si le modèle allemand est mal-mené par la crise et par la chute de ses exportations, il est probable que le "made in Germany" se redressera.

Comment l'Allemagne est-telle devenue ce géant de l'export?
Et surtout que peut-on dire du rôle politique et du modèle allemand ?



I. Le géant de l’export
L'Allemagne détient un modèle économique concentré sur les exportations et les hommes, d'où la prise en compte du "capital humain" dans la comptabilité. Les exportations pèsent plus de 45% du PIB allemand.

Donc on retrouve deux aspects.

Le premier est l'aspect managérial:
Il prime les relations collectives ; on parle de cogestion (décision de la Direction Général ET des salariés):
  • Gestion collective de la main d’œuvre (à la manière fonction publique),
  • Importance des IRP (Institutions de Représentation des Salariés),
  • Système de qualifications important.

Or je trouve que cet aspect humain a tendance à disparaître à cause du deuxième aspect, les exportations.

Aujourd’hui on peut résumer en quelques points, les causes du succès de l’Allemagne en matière d’exportations:

o Une quasi-absence de budget militaire,

o Des délocalisations (Pologne, Tchéco-slovaquie...),

o De la recherche de la qualité: c'est bien vrai qu'aujourd'hui l'Allemagne a plutôt un rôle d'"assembleur" et ainsi de vérificateur. Je pense que la stabilité de la qualité allemande pourrait venir de là...En tout cas, c'est cette recherche de la qualité et en même temps les délocalisations qui ont provoqué l'apparition de label type "made in Germany" (lorsqu'un bien manufacturé est produit à partir d'une fraction minimum de matière première extraite en Allemagne et élaboré par une main d'œuvre essentiellement allemande). L'économiste Hans Werner Sinn a calculé que 40% du "made in Germany" est produit à l'étranger,

o Du développement du multilatéralisme,

o De l'utilisation (et vente) massive de machine-outil et autres robots. Ce secteur (moins grand public) a été tiré par la transformation de la Chine en atelier du monde. Une usine qui ouvrait en Chine, c'était des commandes pour l'industrie allemande. Autrement, d'une manière plus générale, l'Allemagne s'est spécialisée dans certains domaines comme les machine-outil, la chimie, l'automobile haut de gamme,etc...

o Du dumping social depuis 10-20 ans.

Sur ce dernier point je cite ATTAC Allemagne:
«Pendant des années, les autorités allemandes et les entreprises ont mis les conditions de travail dans toute l’Europe sous pression par des baisses de salaires et des coupes sombres dans les dépenses sociales en Allemagne », poursuit Schwarz. En éliminant leurs concurrents européens par ce moyen, elles tentent de créer un surplus commercial sans précédent.
Étant donné que les principaux partenaires commerciaux de l’Allemagne sont liés à l’euro, ils ne peuvent plus se défendre contre cette politique de dumping social en dévaluant. La balance commerciale de l’Europe est, de ce fait, responsable des deux tiers du surplus allemand. Les pertes d’emploi et les délocalisations que ce processus engendre ainsi que la stagnation sur le marché intérieur allemand font que la politique économique et sociale de l’Allemagne a cessé d’être une affaire purement nationale.

Depuis les années 90, on parle :

  • De glaciation salariale allemande (très faible augmentation des salaires comparé à la zone euro),
  • Du développement des petits boulots,
  • De la fragilisation des syndicats salariés,
  • D'une remise en question de la protection sociale (cf. réforme Hartz 4 par exemple),
  • De l'augmentation de la TVA (en 2007) pour diminuer les cotisations sociales,
  • De l'allongement de l'âge de la retraite de 65 à 67 ans (en 2007),
  • De politique budgétaire d'austérité; on peut d'ailleurs citer l'inscription récente dans la constitution allemande, d'une interdiction de dépasser les 0,35% de déficit publique en 2016,
  • De l'absence de SMIC.

Alors c'est vrai qu'il y a une vingtaine d'année, l'Allemagne avait des salaires élevés d'où une différence aujourd'hui faible avec les salaires en France ; la France est d'ailleurs l'exception européenne car elle n'a pas eu recours au dumping social (en moyenne bien sûr).
En Allemagne, on note de nombreuses coupes dans les aides sociales, dans les aides de retour à l'emploi, etc… Sans compter les délocalisations massives. Au final, les charges de personnel ne représentent plus que 58% de la valeur ajoutée (la richesse créée) des entreprises, contre 68% en 1993.


On peut dire que cette puissance s’est construite aux dépens de l'emploi et de l'égalité des revenus en Allemagne même ; cela explique pourquoi la demande intérieure est si faible aujourd'hui. Cela pourrait également expliquer, au moins en partie, pourquoi le pourcentage de personne, vivant sous le seuil de pauvreté est plus élevé en Allemagne qu'en France.

Bref d'une approche plus économique et sociale, on note que grâce à l'exploitation systématique des ressources, les entreprises allemandes ont réparties les sites de production de manière à faire de l'Allemagne le premier exportateur du monde (faire fabriquer à moindre coût les composantes dans des pays à bas salaires, casser ses propres salaires et sa protection sociale, vendre cher aux voisins européens ou aux États-Unis, grâce à la réputation du Made in Germany).

Évidemment à court terme ça marche. Mais à long terme ?


Aujourd’hui, ce modèle pourrait avoir atteint ses limites :
  • Faiblesse de la demande intérieure,
  • Secteur automobile en crise,
  • Une industrie chinoise qui commence à stagner après des années de sur-investissement d’où la diminution des besoins en robot. Or cette industrie chinoise ne redémarrera probablement pas de la même façon,
  • Globalement : une baisse du commerce mondial (suite à la crise),
  • L'Allemagne devient un pays d'émigration, avec une fuite de la matière grise, en particulier, vers les États-Unis, la Suisse, l'Autriche et la Hollande. Et puis l'Allemagne risque de voir sa population diminuer (le bureau fédéral des statistiques parle d'une baisse de 20% de la population d'ici 2060 et cela aggravé par le fait qu'un habitant sur trois aura plus de 65 ans).

La seule chose que l'Allemagne a conservée, c'est sa rigueur monétaire, pour être capable d'imposer ses vues aux États-Unis. En effet, à la différence du Japon, l'Allemagne dispose de sa zone monétaire, l'Euroland.


II. Le rôle politique de l’Allemagne
Edouard Husson, grand spécialiste de l'Allemagne, nous dit que les pays de l'Europe occidentale ont payé la réunification allemande par deux fois :
  • Une première fois au début des années 1990 par la politique des taux d'intérêts pratiqués en Allemagne,
  • Une deuxième fois par la dévaluation des monnaies européennes intégrées à l'euro-mark.
Toujours selon lui, l'Allemagne rechercherait l'hégémonie en Europe en l'affaiblissant et en devenant le partenaire privilégié des États-Unis. C'est un avis qu'on ne partage pas tous, mais c'est une possibilité et puis le multilatéralisme est une vieille valeur allemande.

Certains vont plus (trop) loin comme Pierre Hilaire qui nous dit que l'Allemagne cherche à redessiner l'Europe en nations-ethnique...ou encore Adam Lebor et le prince du Liechtenstein parlent même de la mise en place du 4e Reich.


Après débat et discussions, je me suis rendu compte que pour certains, ce modèle politique a été illustré à plusieurs reprises:

1. L'Allemagne a été le premier État (avec le Vatican, qui avait ses propres raisons) à reconnaître l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie, alors que tout le reste de l'Europe s'interrogeait sur la conduite à tenir, sur les risques d'escalade de la violence.
L'Allemagne avait clairement le dessein de faire exploser une Yougoslavie dominée par la Serbie, un vieil ennemi trop lié à la Russie (et à un degré moindre à la France).
La manière dont l'Allemagne a imposé ses choix politiques en 1991 - 1993 dans la crise Yougoslave, a empêchée de trouver une solution européenne satisfaisante.
Tout cela s'est fait discrètement pour discréditer les autres membres de l'UE.
Une petite anecdote sur l’ex Yougoslavie : la monnaie de référence durant tout le conflit c’était le Mark.

2. De la même manière, une certaine passivité a permis aux américains de mettre leur grain de sel, autant dans les Balkans, que pour soutenir l'Europe de l'est.

3. L'Allemagne a été l'un des moteurs indispensables à la mise en place d'une union transatlantique.

4. En 1999, la guerre du Kosovo a amplement démontré que Berlin est maintenant l'interlocuteur européen privilégié des États-Unis au sein de l'OTAN. La chaîne de commandement en Europe est constituée par l'axe Washington-Londres-Berlin. Paris se retrouve à la marge.

5. Encore une remarque...Pourquoi Angela Merkel a exigé que toute l'UE fasse partie de l'Union Méditerranéenne?
Elle avait parfaitement compris que c'était le moyen français de rééquilibrer la balance avec l'Allemagne, l'anneau méditerranéen faisant contrepoids à la Mittel-Europa allemande...

Il s'agit peut être d'un pur hasard...


Certains vont dire «Ce ne serait pas plutôt le Royaume-Uni, le partenaire privilégié des États-Unis en Europe?"
Là dessus, je qualifierais plutôt leur relation de "relation spéciale": frères d'armes, frères politiques, "ami" avec de nombreux points communs: culture, valeurs, histoire, intérêts, objectifs communs, langues...A ce sujet, j'aimerais dire que l'UK est totalement déchiré entre les US et l'UE, d'où les nombreuses convergences : pas d'espace Schengen, pas de monnaie unique, des dérogations immenses…mais une volonté de mettre en place une vraie politique de défense européenne...

Pour en revenir au sujet et plus particulièrement concernant le commerce, l’Allemagne devance le Royaume-Uni sur plusieurs points (balance commerciale, importations US…) Et puis, inutile d'aller très loin, l'Allemagne est la premier exportateur mondial...Les US sont le premier importateur mondial...
Je vous laisse imaginer les relations entre le n°1 des ventes et les n°1 des achats.


Conclusion
Pour en revenir vraiment à l'Allemagne: c'est un pays européen, le plus puissant et il souhaite préserver ses intérêts…comme tous les autres pays en Europe. Mais c’est lui qui a le mieux réussit en la matière.

Devenir le partenaire le plus respecté en Europe est un moyen comme un autre mais pas une finalité. L'Allemagne ne cherche pas à être au service des américains mais veut bien leur tenir tête politiquement et militairement, d’où le refus de protection militaire des États-Unis ; par exemple, le bouclier anti-missile américain a vu le jour en Pologne et non sur le sol allemand.

On ne peut pas reprocher au modèle allemand, sa rigueur monétaire, permettant de faire face au dollar et aux États-Unis en général.
Pour parler politique, on ne peut que saluer leur efficacité : scrutin plus démocratique, pouvoirs décentralisés et partis mis sur un pied d'égalité.

Mon but n'est pas de peindre un mauvais portrait de l'Allemagne. Dans notre UE riche en contradictions type « tous pour un mais chacun pour soi », on peut dire que le modèle allemand a été l’un des plus efficaces, au détriment de beaucoup d’éléments.

Le modèle survivra-t-il à la crise et à ses objecteurs ?
Si non, vers quoi évoluera-t-il ?

  • Edit  07/12/09: La nouvelle coalition de droite a prévu un programme  (encore en discussion) en 2 temps: 
    • L'accélération de la croissance (hausse des allocations familiales, déductions fiscales pour les ménages les plus aisés, nouveaux avantages fiscaux aux entreprises, baisse de la TVA dans l'hôtellerie,...) ,
    • La baisse de l'impôt sur le revenu (le seul impôt progressif, c'est à dire le mode d'imposition le plus équitable)....
  • Edit  31/12/09: La France a été moins touché par la crise que l'Allemagne. Toutefois, c'est la France qui a le plus souffert du chômage. En réalité, trois éléments principaux ont rendu cela possible:
    • Le recours massif au chômage partiel (plus de 1,4 millions de salariés concernés),
    • Un papy-boom qui, en quelque sorte, a libéré de nouveaux emplois.
    • Une forte création d'emploi avant la crise.
  • On peut nuancer ce miracle car la majorité des emplois créés sont généralement de mauvaise qualité (précarité, temps partiel, petit job,...) pendant qu'une part importante des emplois de qualité et bien rémunérés a été détruite. 
  • Le modèle Rhénan ne faiblit pas et la croissance allemande repart rapidement, influencée par la reprise du commerce mondiale.