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mercredi 25 septembre 2013

Saga de la croissance 2 - Le Progrès Technique est-il facteur de croissance?

Continuons cette saga de la croissance avec la notion de progrès.




Le Progrès, au sens technique du terme, pourrait se définir comme tout ce qui permet d’améliorer les méthodes de production et la productivité. Il s’agit donc de rendre plus performant ce qui existe déjà : les machines, l’organisation du travail, le management,…

Théoriquement parlant, il faudrait différencier le progrès technique de l’innovation. Si le progrès technique se concentre sur l’existant, l’innovation est l’application économique d’une découverte, pouvant se traduire par la création de nouveaux secteurs d’activité. Je vous l’accorde, il est parfois difficile de séparer les deux tant la frontière est mince.
Par exemple, devons-nous considérer un nouveau Smartphone comme une innovation ou un progrès technique ? Probablement qu’il relève des deux ; j’ai envie de dire que Progrès Technique et Innovation sont intimement liés : sans innovation, recherche et découverte, y-a-aurait-il progrès technique ? J’ai envie de dire que Progrès Technique et Innovation sont intimement liés : sans innovation, recherche et découverte, y-a-aurait-il progrès technique ? C’est pourquoi je traiterai des deux composantes simultanément.



Un peu de théorie

Il me paraît impossible de parler de progrès et d’innovation sans parler de Schumpeter. Au début du XXe siècle, il estimait que l’entrepreneur-innovateur était le cœur même du capitalisme. Tout se joue sur son caractère innovant : la création mais aussi la destruction des richesses – pour en produire encore plus. C’est ce qu’on appelle la destruction-créatrice : le capitalisme permet de créer sans cesse de nouvelles activités et de nouveaux secteurs mais il détruit celles et ceux qui ne sont plus compétitifs.

Cette théorie s’appuie sur les travaux de Kondratieff qui fit remarquer que l’économie alterne des périodes d’expansion économique (croissance) puis de dépression tous les cinquante ans environ (les cycles Kondratieff). Pour Schumpeter, cela s’explique par une innovation majeure ou une grappe d’innovations déclenchant un nouveau cycle. Ce serait le cas de la machine à vapeur, des métiers à tisser, de la voiture,…

Des années plus tard, Solow mis en évidence un paradoxe atténuant la portée de cette théorie. En effet, les nouvelles technologies de l’information (NTIC) sont censées représenter l’innovation majeure d’un cycle Kondratieff. Malheureusement, l’averse attendue de gains de productivité n’est pas au rendez-vous : les NTIC ont eu un effet positif mais bien inférieur aux attentes. Les observateurs notent même que la démocratisation de la machine à laver provoqua plus d’effets !



Oui, le progrès technique permet de générer de la croissance…

C’est un fait : le progrès technique est une des composantes majeures de la croissance. On en retrouve ses bienfaits sur deux composantes :

L’Offre

Le progrès technique permet de produire plus vite et/ou mieux : cela génère des économies d’échelle et des gains de productivité, qui entraînent une diminution des coûts de production. Le progrès joue également un rôle majeur dans la diversification et l’intensification de la production, pouvant créer un monopole temporaire : l’entrepreneur disposera alors d’une rente de monopoleur.

La Demande

Cette diminution des coûts de production peut entraîner une baisse des prix pouvant stimuler la demande et les exportations. En parallèle, les entreprises réalisent alors des marges plus importantes ce qui permet de distribuer les profits, d’investir, d’augmenter les salaires et/ou d’embaucher.

Kaldor pense même que c’est la croissance (de la demande) qui oblige à toujours aller de l’avant et rechercher le progrès technique afin de satisfaire cette demande.

Au-delà de l’aspect croissance, le progrès technique a révolutionné nos modes de vie : médecine, hygiène, éducation, qualification, famille,…Et il faut admettre que ces transformations sont aussi des facteurs supplémentaires de croissance.



…mais, sans cadre, provoque différents problèmes

Pour Alfred Sauvy, la problématique du progrès technique doit être abordée sur deux plans : le court terme et le long terme.

A court terme

En augmentant la productivité du travail, l’innovation et le progrès technique permettent de produire plus ou de manière identique avec moins. Ce processus destructeur d’emploi est donc synonyme de chômage et de diminution de la demande…au moins à court terme. Si le chômage augmente et que le pouvoir d’achat est affecté, la croissance risque de faiblir.

A long terme

Selon la théorie du déversement, l’effet négatif à court terme serait plus que compensé à long terme. Le chômage serait un mal temporaire et localisé, car les gains de productivité permettraient d’augmenter les salaires, la consommation, l’investissement et les embauches ! Les emplois détruits d’un coté, seraient récréés ailleurs, en nombre plus importants et réclamant des qualifications supérieures.



Les limites du Progrès Technique et des théories

Il est important de rappeler que les théories de la destruction-créatrice et du déversement ont été élaborées au XXe siècle. Or l’Économie n’est pas une science figée : elle évolue avec le temps. Les bases historiques sur lesquelles ont été construits ces modèles sont quelque peu obsolètes aujourd’hui ; j’en évoquais déjà les limites dans mon précédent article sur « la fin du travail ».

On peut noter plusieurs limites au transfert d’emploi/activité, conséquences directes du progrès technique :
  • Il n’est pas immédiat. A. Sauvy l’a bien noté mais il en occulte les conséquences sociales et fiscales : Que faisons-nous du manque à gagner en termes de cotisations et prélèvements ? Que faisons-nous des familles sans emploi ?
  • Il n’est ni systématique, ni égal. En effet, les effets du déversement sont difficilement mesurables. Cela dit, en toute logique, on imagine bien qu’une fermeture d’usine de 1000 personnes dans un point A, ne générera pas la création d’une autre usine de 1000 personnes dans un point B.
  • Il ne tient pas suffisamment compte de l’aspect humain. En effet, ce modèle théorique évoque peu la situation des laissés-pour-compte, du temps de reconversion – voire de la possibilité même de se reconvertir – du vieillissement de la population et de la détresse humaine qu’une perte d’emploi peut entraîner.
  • Le déversement…mais vers quoi ? Le principe du déversement pourrait se décortiquer en un déversement des emplois du secteur primaire (agricole) vers le secondaire (industrie) puis vers le tertiaire (services). Le problème est de savoir dans quoi se déversent les emplois perdus du tertiaire ? Or aujourd’hui, personne ne tombe d’accord sur ce nouveau secteur : pour certains c’est la finance et l’administration, pour d’autres c’est l’économie de la connaissance…Et la liste des candidats est longue : l’économie du bénévolat et de l’associatif, l’économie sociale et solidaire, un secteur aux produits et services encore inconnus aujourd’hui,…A croire que les extraterrestres vont débarquer ! Enfin bref, cette recherche du Graal du quaternaire me fait penser au besoin (parfois ridicule ?) de trouver une nouvelle forme d’économie comme je l’évoquais précédemment dans « Quelle couleur pour l’économie ? ».





En conclusion, on peut affirmer avec conviction que le progrès technique est facteur de croissance. Il permet de générer des gains de productivité, d’améliorer les conditions de vie, de créer plus de richesses,…Autant de valeurs positives et de bienfaits pour l’humanité ! Sans progrès technique, nous n’en serions pas ici.

Mais attention, le mot « progrès » est un mot-valise : il transmet une sensation presque naturelle d’effet positif. Pourtant il vaut mieux l’appréhender comme une forme d’évolution qui peut être bonne ou mauvaise. Ainsi, il apparaît que le progrès peut aussi apporter son lot de désagréments.
Schumpeter, dans « Capitalisme, Socialisme et Démocratie » nuance la destruction-créatrice par le besoin de règles. Sans règles humaines, on risquerait de sombrer dans la loi de la jungle, ce qui serait défavorable à l’économie.
Le processus de création-destructrice tout comme la théorie du déversement relève d’un autre temps. D’un point de vue plus général, l’économie peut perdre de sa fibre sociale et en oublier le facteur humain (facteur H). L’économie évolue sans cesse et, sans surprise, ces modèles ne prennent pas en compte certains faits et certaines évolutions. Il faut donc les renouveler plutôt que les prendre au pied de la lettre.
Enfin, le progrès soulève des questions d’éthiques et de soutenabilité. Je ne l’ai pas évoqué car il était question de progrès technique et de croissance mais on peut, à juste titre, se demander si au nom de la croissance et de la productivité, tout progrès est bon à prendre ? Répondre à cette question implique de se pencher sur l’imperfection de l’indicateur « Croissance » qui appartient également à une autre époque.

dimanche 22 septembre 2013

Rapport - Pour une Economie Positive

Jacques Attali a récemment remis le rapport « pour une économie positive » au président de la république. 
Un an de travail et à la clé : 1 nouvelle forme d’Économie, 2 indices, 4 évolutions structurelles, 5 défis et 49 propositions

 


Définition de l’économie positive

L’économie positive se définit comme un capitalisme patient et altruiste pour la croissance et les technologies avec le moins d’externalités négatives afin de viser le long terme.

Derrière cette définition personnelle (simpliste je le reconnais), on sent que l’avenir économique ne doit se faire que par du toujours plus avec, à l’appui, des technologies musclées permettant d’essouffler moins vite la planète et de booster la croissance (gains de productivité, réduction de coût, besoin de moins de travail humain). Deux phrases illustrent cela dans le rapport :
« Pour la première fois [Note perso : en 2030], la majorité du monde ne sera pas pauvre. Leur mode de vie se calquera sur le modèle occidental. ».
« Aussi le management doit-il être repensé pour être à la hauteur des défis induits par la mondialisation et le primat de la technologie. »
Avec un peu plus de 8 milliards d’habitants vivant avec le confort matériel à l’occidental (c’est un peu illusoire il faut l’admettre), les membres du rapport espèrent probablement que les technologies (Primat de la technologie !) compenseront le manque de ressources et la destruction de l’environnement. L’optimisme ne fait pas de mal mais cela relève de l’utopie et de l’idéologie.



Deux indices

     L’indice de Positivité

    C’est un agrégé de 29 indicateurs. Il a été choisi de ne présenter qu’un seul chiffre plutôt qu’un tableau de bord. Je trouve cela dommageable car si une moyenne donne une vision globale, elle ne montre pas là où se trouvent les déficiences. Cette indice englobera plus de données que le simple PIB mais il n’en reste pas une moyenne de moyennes. 

     L’Indicateur de Volonté [pour aller vers l’économie positive]

     « Ease of doing positive economy ». Il montre la détermination des gouvernements à créer un environnement favorable et compétitif (encore la compétitivité). Il semble qu’il se base sur trois indices existants d’inspiration (trop) libérale. Le tableau synthèse reconnaît même des « supposés idéologiques forts » et un manque de prise en compte de l’aspect social.



Quatre Evolutions structurelles

  • Une démographie explosive et mal répartie.
  • Des technologies « vertes », efficaces (comprendre plus efficaces que celles de maintenant), moins chères et interconnectées. Le terme de technologies « vertes » me gênent un peu mais ce qui me choque, c’est l’aveuglement vis-à-vis du facteur risque. Certes les nouvelles technologies tendent vers l’efficacité et des accidents moins fréquents ; toutefois, la gravité des risques est démultipliée à chaque nouvelle innovation (le secteur des énergies en est un bon exemple).
  • Une économie de marché démocratique avec des classes moyennes urbaines, éduquées et droguées à la consommation (La phrase exacte du rapport est : « naissance d’élites« hypernomades »,  qui  représenteront  plus  de  200 millions  de personnes, de passage dans différentes zones urbaines (« villes-hôtels »),  dépendantes  de  réseaux,  consommatrices  de  contenus  éducatifs  et  de  médias  mobiles  toujours  plus  nombreux. »).
  • Un monde apolaire ou multipolaire avec un nouveau centre de gravité : l’Asie, et un continent-clé : l’Afrique.



Cinq défis d’ici 2030

  • De la rareté : des besoins alimentaires (+35%) sans compensation équivalente de la production, le  changement climatique (accroissement des températures d’un demi-degré et du niveau de la mer de 12 cm),
  • Des nouvelles technologies qui « s’imposeront » et « tireront la croissance »,
  • Des inégalités : pauvreté, précarité, vieillissement, urbanisation galopante et chômage des jeunes (50% des 15-30 ans chez les émergents et problématique chez les autres).
  • Des difficultés politiques : sécurité, en particulier les cyberguerres, crise de la gouvernance et généralisation de la démocratie,
  • Une crise idéologique avec un besoin d’assurance pouvant transiter par le totalitarisme ou le fondamentalisme.



Quarante-neuf propositions

Je ne les présenterais pas toutes mais plutôt quelques axes :
  • Rééquilibrer les relations dans l’entreprise, qui pencheraient trop en faveur des actionnaires et des dirigeants. Quelques moyens sont évoqués comme la réforme du management, l’interdiction des stock-options, l’indexation de la rémunération des dirigeants sur l’indice de positivité ou encore la création d’un malus/super-malus sur l’impôt des sociétés,
  • Réformer les normes comptables de façon démocratique, en vue d’y intégrer des données sociales et environnementales,
  • Développer les financements participatifs, le microcrédit et la solidarité nationale, si possible en faveur des innovations « vertes », en allégeant la réglementation. J. Attali  présidant cette commission mais étant également président de Planetfinance (institution de microcrédit où courent de nombreuses histoires peu responsables, socialement parlant), cela ne m’étonne pas qu’il vante les bienfaits de sa paroisse. A l’heure de la crise financière et économique, il demande moins de règlementations, de normes, de garanties,…mais par contre plus de souplesse et même un service civique obligatoire pour la microfinance ! Cette phrase m’a même fait rire !!
  • Passer la vitesse supérieure dans la lutte contre les facteurs déstabilisants du marché : par exemple en isolant les paradis fiscaux et en mettant en place une taxe sur les transactions financières (contre le trading à hautes fréquences),
  • Améliorer le fonctionnement de l’administration grâce aux technologies (cloud computing et échanges d’informations),
  • Appliquer toutes ces mesures non pas à la seule échelle française, mais au niveau européen.




En bref, le rapport pour une Économie positive est plutôt complet et intéressant mais contient peu d'innovations en la matière. On sent l'approche de J. Attali dans ce dossier comme la réponse aux crises par le tout technologique. Je n'ai rien contre les technologies (au contraire j'en suis fan) mais j'ai beaucoup de mal à croire que la technologie guérira les maux de ce monde alors qu'elle en est en partie responsable. Je crois qu'il s'agit là d'une fuite en avant.
Les nouveaux indicateurs apporteraient de nouveaux éclairages, bien que l'idée de moyenne (de moyennes) me gêne : on obtient une vision globale mais finalement peu utile car ne montrant pas les défaillances. Peut-être que la batterie d'indicateurs sous forme de tableau de bord, avec une note globale, aurait été plus judicieuse.
Enfin, le rapport présente des propositions concrètes mais reposent beaucoup sur le bon vouloir des personnes qui ont du pouvoir. Compte tenu du fait que ces  mêmes personnes (ayant le bras long) ont jusqu'à présent tiré la couverture vers eux et que les rapports inégaux dans la société ne datent pas d'hier, je pense qu'il est illusoire d’espérer des initiatives de leurs parts. 

La liberté du choix et les technologies sont de belles choses mais si elles réglaient tout, nous n'aurions sans doute jamais eu besoin d'un tel rapport. Ce travail est de bonne facture mais on a l'impression qu'il ne fait que répondre à "comment créer beaucoup de croissance rapidement" et "comment la faire durer le plus longtemps possible" sans jamais reconnaître que la Terre a des limites. Autrement dit, ce document est organisé autour de la création de richesse, de tout ce qui a un prix. C'est un comble car le mot "bien-être" y est inscrit 37 fois ! C'est un sentiment malheureux car cela signifierait que le bien-être ne se résume qu'à la croissance de la production et de la consommation. Mais faudrait-il s'étonner d'une telle conclusion quand on sait qui présidait la commission?

vendredi 20 septembre 2013

Saga de la croissance 1 - Le libre-échange est-il facteur de croissance?

Depuis quelques siècles, les économistes cherchent la recette magique de la croissance. La croissance du PIB est un indicateur incomplet et ne devrait pas être une fin en soi, mais plutôt un outil au développement du bien-être.


Cela dit, puisque la question est posée, autant regarder ce qu’il en est. Je pense aborder les différents liens entre les différents ingrédients de la potion « magique » croissance : le progrès, le libre-échange, le laissez-faire…

Commençons d’abord par analyser le lien entre libre échange et croissance.
 

Un peu de théorie

Le libre-échange est une doctrine en faveur de l’abolition des obstacles à la circulation des biens, des services, des capitaux, des hommes… entre les pays du monde.

Un des pères du libre-échangisme est sans conteste Adam Smith au XXVIIIe siècle. Selon cet économiste (professeur de morale), les pays qui possèdent un avantage absolu – c'est-à-dire lorsqu’une nation peut vendre un produit moins cher que les autres – doivent se spécialiser, exporter ce produit et importer tout le reste. Cette théorie exclut de facto les pays sans avantage absolu du commerce international.

David Ricardo confirme cette théorie mais ajoute que les pays sans avantage absolu devraient se spécialiser là où ils sont les moins désavantagés puis exporter ces produits. C'est la théorie des avantages comparatifs. De cette manière, on serait dans un jeu gagnant-gagnant. Le commerce international se résumerait-il à une question de productivité du travail et de technologies ?

Plus proche de nous (première moitié du XXe siècle), trois économistes développèrent une nouvelle théorie, dîtes HOS, expliquant que les pays doivent se spécialiser en fonction de leurs « dotations factorielles », donc de l’abondance naturelle des facteurs de production que sont le capital, le travail et les terres.
Par exemple, un pays possédant un facteur du travail abondant et peu coûteux devrait se spécialiser dans l’assemblage de produits intermédiaires.

Dans les années 80, les économistes se sont attardés à expliquer le rôle des politiques sur la croissance à travers la croissance endogène. Très simplement, la croissance endogène est un modèle internalisant le progrès technique comme l’un des facteurs de croissance. Mon but n’est pas ici de parler de ce lien mais de montrer que le progrès (au sens technique et technologique) est aussi une des composantes du libre-échange. Ce stock de connaissances, de savoir-faire et de compétences jouera en faveur du commerce international, s’il est mis à bonne contribution.

Ces théories, aussi intéressantes soient-elles, ne permettent pas de justifier nombre d’interactions dans le monde économique. Ainsi, elles n’expliquent pas les échanges au sein des multinationales, l’échange de même produits entre pays aux dotations quasi-similaires (échanges nord-nord par exemple), l’imbrication des circuits économiques, l’émergence des nouvelles puissances, la question des institutions internationales ou encore l’intérêt de protéger les entreprises naissantes face à la concurrence.



Oui le libre-échange permet de générer de la croissance…

Au vue de ces théories (pro libre-échangiste), il semble évident que le libre-échange soit un facteur de croissance.
La difficulté à expliquer la boîte noire des échanges est applicables à l’économie en générale : il s’agit d’une science humaine, très complexe et au caractère impermanent, qu’on ne peut raisonnablement pas simplifier en une seule équation (ou théorie).

L’inexactitude ou les imperfections des modèles précédents, montrent que nous n’arrivons pas à expliquer comment le commerce international fonctionne mais que dans de nombreux cas, le libre échange est positif. Si ce postulat est bien vrai, le libre-échange favoriserait la spécialisation et la multiplication des débouchés ; se faisant, les économies d’échelle et les gains de productivité coulent de source. Cela est vrai, toutes choses étant égales par ailleurs (comme aiment bien le dire les économistes pour éviter, artificiellement, les effets des autres paramètres).

En raisonnant par l’absurde, nous connaissons aussi les résultats d’un protectionnisme trop agressif qui crée des situations de monopole, freine l’esprit d’entreprise et aggrave les crises.



…mais le libre-échange doit être encadré

En réalité le libre-échange ne peut ni être simplifié en une théorie, ni se concevoir « toutes choses étant égales par ailleurs ».

C’est pour cela que différents points doivent être étudiés en parallèle :

     1. Créer un climat concurrentiel

Pour éviter les situations de monopole, il faut parfois protéger les entreprises naissantes, les protéger de la concurrence mondiale et des très grandes entreprises qui seraient tentées de leur couper l’herbe sous le pied ou de les racheter. C’est pourquoi il convient de protéger ces entreprises au départ – on parle de capitalisme éducatif – ou de créer une réglementation pro-concurrentiel (anti-monopole, anti-engloutissement, anti-entente sur les prix).

     2. Privé et Public ne doivent pas s’entre-dévorer

Dans un contexte de mondialisation, certaines entreprises ou acteurs privés peuvent devenir tellement importants qu’ils peuvent inciter – quand ce n’est pas obliger – les États à céder sur divers points sociaux, fiscaux ou législatifs. Ce chantage, qui se traduit par une compétition entre États, est extrêmement nocive pour l’économie. Or, l’économie doit être au service du bien-être et non au service d’une minorité.
Cette course au moins-disant socialo-fiscal affaiblit l’état et le rend moins légitimes aux yeux du monde. C’est une erreur car l’État a un rôle régalien, d’éducation, de protection, de services, d’accompagnement, de soutien et même de démarreur dans certains secteurs : c’est le cas des activités peu rentables à courts et moyens termes comme le nucléaire, l’aérospatial,…
Enfin, le libre-échange ne doit pas créer de chocs asymétriques dans des marchés communs (UE, futur ASEAN,…) ; j’entends par là que les échanges ne doivent pas être source de crise pouvant remettre en cause des régions intégrées. C’est le cas par exemple des écarts de balance commerciale entre les pays européens, qui ont favorisé cette crise infernale dans laquelle nous sommes.

     3. Un système intrinsèquement instable

Les marchés sont instables et on sait qu’ils se grippent souvent : les cycles économiques, les croyances auto-réalisatrice, les ajustements excessifs des acteurs, les ordres automatiques à hautes fréquences, les émotions,…André Orléans crie haut et fort depuis des années que le marché des actifs (entre autres) est intrinsèquement instable. Mais le marché en général contient de l’instabilité et des anomalies en son sein même. Or le libre-échange et le marché sont dans le même panier : le libre-échange repose sur l’idée d’un marché parfait et sans reproche, ce qui n’est pas le cas. Il faut donc l’encadrer pour éviter trop de dérapages.
Le marché de l’agroalimentaire a par exemple montré ses limites lorsqu’en pleine crise, des pays émergents et pauvres reposant sur le modèle du libre échange, sans stock (ou presque) ont redécouverts les phénomènes de famines. Il faut donc des garde-fous et tous les biens ne peuvent être soumis au libre-échange.
On pourrait aussi bien parler du libre-échange dans la finance : la déréglementation et le décloisonnement ont lourdement contribué à la crise de 2007. Ce ne sont pas vraiment des causes mais des puissants facteurs aggravants.

     4. Des échanges aux bénéfices inégalement répartis

Si la théorie économique prône le libre échange, elle évoque rarement la distribution de ses bénéfices. On sait que les marchés sont instables mais aussi que certains acteurs peuvent facilement en tirer la plus grande part du gâteau. Tout le monde ne profite pas des bienfaits du libre échange, ou du moins équitablement. Ce n’est pas juste et cela justifie une course au toujours plus, sous prétexte qu’il faut faire grandir le gâteau sans cesse pour satisfaire tout le monde. Comme je l’ai déjà indiqué à maintes reprises, ce qui compte n’est pas tant la taille du gâteau que la façon dont on le découpe. Là aussi, cela implique des institutions et des réglementations internationales sans quoi le libre échange perd sa légitimité.

     5. Le libre échange seul crée des externalités négatives…

Nous avons beaucoup de mal à connaître nos limites et les conséquences de notre activité à court, moyen et long terme. En créant de la croissance à l’instant T, nous pouvons aussi menacer les générations futures, détruire notre stock (écosystèmes, ressources naturelles, paysages,…) sans que cela ne soit pris en compte dans le calcul de la croissance.

     6. …et nous avons du mal à en mesurer les bienfaits

Mathématiquement parlant, un libre-échange pollueur ferait augmenter le PIB (la croissance) alors qu’il affecterait négativement le bien-être. On en revient aux limites du PIB et de la croissance mais c’est l’un des principaux indicateurs de l’efficacité du libre échange – et le sujet de cet article. Le libre échange est sans conteste facteur de croissance mais pas nécessairement de bien être. Il convient donc de trouver des indicateurs complémentaires pour mieux appréhender les mécanismes du libre échange et améliorer le fonctionnement du commerce international.
De plus, les consommations intermédiaires sont croissent et peuvent se cumuler entre elles. Autrement dit, quand un produit final est composé de plusieurs sous-produits fabriqués partout dans le monde, les calculs ont tendance à additionner les productions entre elles : [sous-produits 1 + sous-produits 2 + … + sous-produits X + produit final] alors qu’il ne faudrait ne retenir que le produit final. Cela gonfle artificiellement les chiffres du commerce international et en fausse son analyse. Et encore ce n’est qu’un exemple de l’imperfection des chiffres.

     7. La concurrence pure et parfaite n’existe pas

Enfin, les théories du libre échange reposent en grande partie sur les bases de l’homo œconomicus et d’une concurrence pure et parfaite. C’est une utopie mathématique. L’humain est rationnel mais aussi irrationnel : il se trouve entre le robot (homo œconomicus) et la bête (« l’esprit animal » comme le disait Keynes). Le libre-échange est facteur de croissance, mais doit être sous contrôle humain.

jeudi 5 septembre 2013

France - Une accalmie économique en trompe l'oeil



Économie

Au 2e trimestre 2013, les chiffres (prévisionnels car ils peuvent être révisés) pour la croissance française annoncent un +0,5%. L’OCDE, dans la foulée, a même relevé les prévisions de croissance pour 2013 à +0,3% !

Est-ce une bonne nouvelle ? Oui, c’est évident. Toutefois il faut minorer cette joie dès qu’on entre dans la composition de ce demi-point :
  • La moitié est due au re-stockage des entreprises : dans l’attente d’un redressement, elles se sont retrouvé avec un stock dans le rouge et doivent maintenant compenser.
  • L’autre vient d’une consommation intérieure tirée par les mauvaises conditions météorologiques : les français ont fait tourné le compteur d’électricité, consommant plus d’énergie qu’à l’habitude et sans rechigner sur le reste.

Ces deux bonus tirant les chiffres vers le haut ne se reproduiront plus tant pour l’un que pour l’autre. Tout au plus la consommation va tenir bon jusqu’à la fin de l’année, par anticipation de la hausse de la fiscalité à partir de 2014 (TVA entre autres).

Cela dit, il semblerait que l’accalmie, d’un point de vue purement économique (les chiffres dirait-on) n’est plus très loin.



Chômage

Si économiquement, les nuages gris disparaissent petit à petit, niveau chômage, le compte n’est pas bon : les chômeurs sont plus nombreux mais le gouvernement tempère en disant que la courbe du chômage augmente moins vite. Pourquoi ?
A l’instar des chiffres de la croissance, il s’agit d’une joie en demi-ton quand on y regarde de plus près. Ce ralentissement du chômage provient principalement :
  • De la hausse des CDD de moins d’un mois qu’on peut lier avec le restockage des entreprises et les remplacements pendant les congés d’été,
  • De l’augmentation du nombre des chômeurs de longue durée,
  • Des emplois aidés sachant que les finances publiques sont dans le rouge,
  • Des nombreuses radiations, ou autrement dit, l’abandon de la population de s’insérer dans le monde du travail et la perte d’espoir.
  • D’un récent changement des questionnaires de l’INSEE sur le calcul du chômage, créant une marge d’erreur de 0,3% et faisant baisser artificiellement les chiffres.



Le problème du chômage en France, ce serait les français même !

Dans une récente émission de C dans l’air, un des spécialistes de l’économie et de la finance, résume le problème du chômage en France en quelques idées-clés :
  • En France, nous aurions accepté l’idée du chômage comme normal,
  • Les français ne sont pas enclins aux changements en matière de travail et de protection sociale (traduction : ils ne veulent pas lâcher leurs avantages et acquis sociaux).
  • Les français bougent très peu en France.
La solution serait un mix de baisse des salaires/cotisations et d’allégements du droit de travail sur le modèle des lois Hartz allemande (j’extrapole : suppression du SMIC pour favoriser les petits jobs peu payés, mesures drastiques portant sur les allocations chômage et les modalités d’accès, faciliter le travail à temps très partiel, donner la priorité aux besoins de l’entreprise sur les aspirations des salariés,…).


La France serait-elle un enfer du monde du travail et des employeurs ? Des salariés fainéants, demandant trop aux créateurs d’emplois et ne souhaitant aucun changement, qu’ils soient géographiques, financiers ou juridiques ? Non, non et non.

D’une part, les français sont plutôt sédentaires, c’est vrai, mais ils savent aussi se bouger quand il le faut. Le baromètre de la vie des apprentis a récemment souligné que 6 apprentis sur 10 n’hésiteraient pas à changer de région s’il le fallait. On peut certes penser que les apprentis sont souvent jeunes et avec peu d’attache familial ; les autres sont sans doute moins enclins à la mobilité géographique, mais quand même…Il est aussi légitime d’aspirer à un peu de stabilité et de sécurité.

D’autre part, ce concept du modèle allemand adapté à la France repose sur le court terme et certainement pas sur le long terme comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises sur ce blog : en réalité on appauvrit le pays car les gens sont moins payés, consomment moins, s’investissent moins dans leur travail, ont des emplois à temps (très) partiel non volontaires,…La France ce n’est pas l’Allemagne et l’Allemagne a elle aussi d’autres problèmes.
On peut aussi poser le débat de jusqu’où aller ? Faut-il aller jusqu’aux petits boulots à 4 euros de l’heure tels qu’on en voit en Allemagne ? Faut-il laisser l’offre et la demande s’affronter quitte à ce que certains travaillent au taux horaire chinois? Tant qu’à faire, l’ancienne présidente du MEDEF indiquait même « La vie est précaire, l’amour est précaire, pourquoi le travail ne serait pas précaire ?"



Des solutions théoriques

Ce postulat (« libérons, flexibilisons et précarisons le travail pour la majorité ») est un pur débat d’économiste qui résume le problème à une offre et une demande : en gros, en baissant le coût du travail (les salaires disons le clairement) et en émiettant la législation du travail, on favorise l’offre en espérant que les entreprises embaucheront à foison. Est-ce préférable d’embaucher à n’importe condition ou de rester au chômage ? La bonne solution est un équilibre entre les deux et non pas une flexibilité à tout prix ou une croyance absolue dans les lois du marché.

Cette libéralisation du travail omet que les entreprises n’embauchent pas parce qu’un « salarié ne coûte pas cher » mais surtout qu’elle en a besoin. S’il n’y a pas de marché derrière, c’est juste un effet d’aubaine comme je l’ai déjà expliqué pour la prime versée lors de l’embauche de jeunes, l’été dernier.

Une telle recommandation repose sur le fait que les bénéfices d’une telle politique du « moins médisant que moi, tu meurs » soient réinvesties efficacement. Et que tout serait réglé.
Les arguments allant à l’encontre d’une telle thèse sont nombreux. La preuve en est dans l’augmentation très prononcée des hauts revenus (en 2010 : +4,7% pour les 1% les plus aisés et même +11,3% pour les 0,01%) tandis que les autres stagnent ou baissent. Si la consommation est affectée, il y a moins de débouché et les entreprises auront besoin de moins de personnel. Cette accumulation n’empêche même pas l’investissement d’être au point mort…
L’économiste Tomas Sedlacek résume très bien cette course à l’accumulation sans croissance et sans limite dans son livre « l’économie du bien et du mal » : 
« Ce que désire par-dessus tout l’individu normal, ce n’est pas la satisfaction des besoins qu’il éprouve, mais des besoins plus nombreux et meilleurs. »

De plus cette flexibilité est uniquement portée sur le coût du travail (combien coûte un salarié pour son employeur) alors qu’il devrait y avoir aussi débat sur la qualité (formation, études,…) et sur l’environnement (infrastructures, échanges université-entreprise, échanges public-privé, intelligence économique…).

Et puis, rappelons quand même que le gouvernement a déjà créé un dispositif pour alléger le coût du travail : le crédit impôt compétitivité. Certes il est compliqué, à la française dirait certains, mais il est là et il favorise les investissements.

Enfin, si la solution de la déflation salariale est tant portée par certains économistes/financiers, c’est que nous sommes soumis à la monnaie unique : on ne peut pas dévaluer. A partir de là, soit on vise la coordination et l’efficacité tous ensemble, soit on la joue solo avec la carte de la déflation salariale. Or cette dernière stratégie ne fonctionne pas si tout le monde le fait ! Bah oui, qui consomme, si tout le monde se serre la ceinture en prévision que le voisin consomme à sa place ?!


La vraie solution, on la connaît : la formation et l’investissement. Mais cela coûte beaucoup d’argent.
Et quand je dis cela, c’est surtout vrai pour les PME car l’Etat n’a plus vraiment les moyens d’une telle politique et les grandes entreprises sont dans la course aux réductions de coûts et aux délocalisations.