Depuis quelques siècles, les économistes cherchent la recette magique
de la croissance. La croissance du PIB est un indicateur incomplet et ne
devrait pas être une fin en soi, mais plutôt un outil au développement du
bien-être.
Cela dit, puisque la question est posée, autant regarder ce qu’il en
est. Je pense aborder les différents liens entre les différents ingrédients de
la potion « magique » croissance : le progrès, le libre-échange,
le laissez-faire…
Commençons d’abord par analyser le lien entre libre échange et
croissance.
Un peu de théorie
Le libre-échange est une doctrine en faveur de l’abolition des
obstacles à la circulation des biens, des services, des capitaux, des
hommes… entre les pays du monde.
Un des pères du libre-échangisme est sans conteste Adam Smith au
XXVIIIe siècle. Selon cet économiste (professeur de morale), les pays qui
possèdent un avantage absolu – c'est-à-dire lorsqu’une nation peut vendre un
produit moins cher que les autres – doivent se spécialiser, exporter ce produit
et importer tout le reste. Cette théorie exclut de facto les pays sans
avantage absolu du commerce international.
David Ricardo confirme cette théorie mais ajoute que les pays sans
avantage absolu devraient se spécialiser là où ils sont les moins désavantagés puis
exporter ces produits. C'est la théorie des avantages comparatifs. De cette manière, on serait dans un jeu gagnant-gagnant.
Le commerce international se résumerait-il à une question de productivité du
travail et de technologies ?
Plus proche de nous (première moitié du XXe siècle), trois économistes
développèrent une nouvelle théorie, dîtes HOS, expliquant que les pays doivent
se spécialiser en fonction de leurs « dotations factorielles », donc
de l’abondance naturelle des facteurs de production que sont le capital, le
travail et les terres.
Par exemple, un pays possédant un facteur du travail abondant et peu
coûteux devrait se spécialiser dans l’assemblage de produits intermédiaires.
Dans les années 80, les économistes se sont attardés à expliquer le
rôle des politiques sur la croissance à travers la croissance endogène. Très
simplement, la croissance endogène est un modèle internalisant le progrès
technique comme l’un des facteurs de croissance. Mon but n’est pas ici de
parler de ce lien mais de montrer que le progrès (au sens technique et
technologique) est aussi une des composantes du libre-échange. Ce stock de
connaissances, de savoir-faire et de compétences jouera en faveur du commerce
international, s’il est mis à bonne contribution.
Ces théories, aussi intéressantes soient-elles, ne permettent pas de
justifier nombre d’interactions dans le monde économique. Ainsi, elles
n’expliquent pas les échanges au sein des multinationales, l’échange de même
produits entre pays aux dotations quasi-similaires (échanges nord-nord par
exemple), l’imbrication des circuits économiques, l’émergence des nouvelles
puissances, la question des institutions internationales ou encore l’intérêt de
protéger les entreprises naissantes face à la concurrence.
Oui le libre-échange permet de générer de la croissance…
Au vue de ces théories (pro libre-échangiste), il semble évident que le
libre-échange soit un facteur de croissance.
La difficulté à expliquer la boîte noire des échanges est applicables à
l’économie en générale : il s’agit d’une science humaine, très complexe et
au caractère impermanent, qu’on ne peut raisonnablement pas simplifier en une
seule équation (ou théorie).
L’inexactitude ou les imperfections des modèles précédents, montrent
que nous n’arrivons pas à expliquer comment le commerce international
fonctionne mais que dans de nombreux cas, le libre échange est positif. Si ce
postulat est bien vrai, le libre-échange favoriserait la spécialisation et la
multiplication des débouchés ; se faisant, les économies d’échelle et les
gains de productivité coulent de source. Cela est vrai, toutes choses étant
égales par ailleurs (comme aiment bien le dire les économistes pour éviter,
artificiellement, les effets des autres paramètres).
En raisonnant par l’absurde, nous connaissons aussi les résultats d’un
protectionnisme trop agressif qui crée des situations de monopole, freine
l’esprit d’entreprise et aggrave les crises.
…mais le libre-échange doit être encadré
En réalité le libre-échange ne peut ni être simplifié en une théorie,
ni se concevoir « toutes choses étant égales par ailleurs ».
C’est pour cela que différents points doivent être étudiés en
parallèle :
1. Créer un climat concurrentiel
Pour éviter les situations de monopole, il faut parfois protéger les
entreprises naissantes, les protéger de la concurrence mondiale et des très
grandes entreprises qui seraient tentées de leur couper l’herbe sous le pied ou
de les racheter. C’est pourquoi il convient de protéger ces entreprises au
départ – on parle de capitalisme éducatif – ou de créer une réglementation pro-concurrentiel (anti-monopole, anti-engloutissement, anti-entente sur les prix).
2. Privé et Public ne doivent pas s’entre-dévorer
Dans un contexte de mondialisation, certaines entreprises ou acteurs
privés peuvent devenir tellement importants qu’ils peuvent inciter – quand ce
n’est pas obliger – les États à céder sur divers points sociaux, fiscaux ou
législatifs. Ce chantage, qui se traduit par une compétition entre États, est
extrêmement nocive pour l’économie. Or, l’économie doit être au service du
bien-être et non au service d’une minorité.
Cette course au moins-disant socialo-fiscal affaiblit l’état et le rend
moins légitimes aux yeux du monde. C’est une erreur car l’État a un rôle régalien,
d’éducation, de protection, de services, d’accompagnement, de soutien et même
de démarreur dans certains secteurs : c’est le cas des activités peu
rentables à courts et moyens termes comme le nucléaire, l’aérospatial,…
Enfin, le libre-échange ne doit pas créer de chocs asymétriques dans
des marchés communs (UE, futur ASEAN,…) ; j’entends par là que les
échanges ne doivent pas être source de crise pouvant remettre en cause des
régions intégrées. C’est le cas par exemple des écarts de balance commerciale
entre les pays européens, qui ont favorisé cette crise infernale dans laquelle
nous sommes.
3. Un système intrinsèquement instable
Les marchés sont instables et on sait qu’ils se grippent souvent :
les cycles économiques, les croyances auto-réalisatrice, les ajustements
excessifs des acteurs, les ordres automatiques à hautes fréquences, les
émotions,…André Orléans crie haut et fort depuis des années que le marché des
actifs (entre autres) est intrinsèquement instable. Mais le marché en général
contient de l’instabilité et des anomalies en son sein même. Or le libre-échange
et le marché sont dans le même panier : le libre-échange repose sur l’idée
d’un marché parfait et sans reproche, ce qui n’est pas le cas. Il faut donc l’encadrer
pour éviter trop de dérapages.
Le marché de l’agroalimentaire a par exemple montré ses limites lorsqu’en
pleine crise, des pays émergents et pauvres reposant sur le modèle du libre échange,
sans stock (ou presque) ont redécouverts les phénomènes de famines. Il faut
donc des garde-fous et tous les biens ne peuvent être soumis au libre-échange.
On pourrait aussi bien parler du libre-échange dans la finance : la déréglementation et le décloisonnement ont lourdement contribué à la crise de 2007. Ce ne sont pas vraiment des causes mais des puissants facteurs aggravants.
On pourrait aussi bien parler du libre-échange dans la finance : la déréglementation et le décloisonnement ont lourdement contribué à la crise de 2007. Ce ne sont pas vraiment des causes mais des puissants facteurs aggravants.
4. Des échanges aux bénéfices inégalement répartis
Si la théorie économique prône le libre échange, elle évoque rarement
la distribution de ses bénéfices. On sait que les marchés sont instables mais
aussi que certains acteurs peuvent facilement en tirer la plus grande part du
gâteau. Tout le monde ne profite pas des bienfaits du libre échange, ou du
moins équitablement. Ce n’est pas juste et cela justifie une course au toujours
plus, sous prétexte qu’il faut faire grandir le gâteau sans cesse pour
satisfaire tout le monde. Comme je l’ai déjà indiqué à maintes reprises, ce qui
compte n’est pas tant la taille du gâteau que la façon dont on le découpe. Là aussi,
cela implique des institutions et des réglementations internationales sans quoi
le libre échange perd sa légitimité.
5. Le libre échange seul crée des externalités négatives…
Nous avons beaucoup de mal à connaître nos limites et les conséquences
de notre activité à court, moyen et long terme. En créant de la croissance à l’instant
T, nous pouvons aussi menacer les générations futures, détruire notre stock
(écosystèmes, ressources naturelles, paysages,…) sans que cela ne soit pris en
compte dans le calcul de la croissance.
6. …et nous avons du mal à en mesurer les bienfaits
Mathématiquement parlant, un libre-échange pollueur ferait augmenter le
PIB (la croissance) alors qu’il affecterait négativement le bien-être. On en
revient aux limites du PIB et de la croissance mais c’est l’un des principaux
indicateurs de l’efficacité du libre échange – et le sujet de cet article. Le
libre échange est sans conteste facteur de croissance mais pas nécessairement
de bien être. Il convient donc de trouver des indicateurs complémentaires pour
mieux appréhender les mécanismes du libre échange et améliorer le
fonctionnement du commerce international.
De plus, les consommations intermédiaires sont croissent et peuvent se
cumuler entre elles. Autrement dit, quand un produit final est composé de
plusieurs sous-produits fabriqués partout dans le monde, les calculs ont
tendance à additionner les productions entre elles : [sous-produits 1 +
sous-produits 2 + … + sous-produits X + produit final] alors qu’il ne faudrait
ne retenir que le produit final. Cela gonfle artificiellement les chiffres du
commerce international et en fausse son analyse. Et encore ce n’est qu’un
exemple de l’imperfection des chiffres.
7. La concurrence pure et parfaite n’existe pas
Enfin, les théories du libre échange reposent en grande partie sur les
bases de l’homo œconomicus et d’une concurrence pure et parfaite. C’est une
utopie mathématique. L’humain est rationnel mais aussi irrationnel : il se
trouve entre le robot (homo œconomicus) et la bête (« l’esprit animal »
comme le disait Keynes). Le libre-échange est facteur de croissance, mais doit être sous contrôle humain.
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