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jeudi 26 décembre 2013

Etats-Unis 2013 : Business as usual

5 ans après la crise des Subprimes, les États-Unis ont repris du poil de la bête

Les indicateurs repassent au vert et tous les médias chantent les louanges d’une croissance en or. L’achat des titres de la dette publique par la banque centrale américaine (FED), la facilité d’entreprendre, l’engouement pour la prise de risque, la faible protection des salariés, l’exploitation des énergies non-conventionnelles (gaz de schiste,…) sont autant de points forts clamés outre-Atlantique. Cette amélioration de la conjoncture économique est d’ailleurs mise en opposition avec l’enlisement de la vieille Europe qui n’arriverait pas à se débarrasser de ses vieux démons…





Du soleil : Taux de chômage en baisse et Croissance en hausse

Avec un taux de croissance annuel annoncé à 2% en 2013, le soleil est au beau fixe de l’autre coté de l’Atlantique. Les luttes incessantes entre républicains et démocrates n’ont presque pas entamées la confiance des ménages et des entreprises. Après tout, le chômage baisse aussi vite qu’il est monté, les entreprises publient de bons résultats et le coût de l’énergie chute !
Que demander de plus ?






Des nuages à l’horizon : "business as usual"

Le problème de ce rebond fulgurant vient de sa recette : c’est la même qu’avant crise, à savoir de l’endettement, de l’énergie bon marché, des inégalités croissantes et des cours boursiers affriolants.


L’endettement public

Avant d’entrer dans le vif du sujet, parlons un peu de l’endettement public. La dette publique dépasse actuellement les 107% du PIB et elle va encore augmenter. 


Cela vous parait effrayant ? Pas tant que cela car d’une part, les États-Unis ont l’avantage d’avoir la monnaie « number one » – ce qui favorise les achats de bons du trésors américains par les autres puissances commerciales – et d’autre part, la FED (banque centrale américaine) peut faire tourner la planche à billets pour financer le déficit public.
Ainsi, malgré l’annonce de la FED sur l’arrêt progressif de l’assouplissement quantitatif (10 milliards en moins chaque mois quand même !), le taux d’intérêt des bons du trésor reste en dessous des 3% (taux long).
Enfin, le dernier accord entre républicains et démocrates va permettre de relâcher la pression et l’austérité pendant un ou deux ans.



L’endettement privé

C’est ici que je note un premier pépin. Après une période de désendettement des ménages, la machine s’est inversée et tout semble indiquer que les crédits vont repartir de plus belle, comme l’atteste le graphique ci-dessous. 

Pour y voir plus clair, j’ai mis en parallèle le PIB et l’endettement des ménages (somme des crédits immobiliers et à la consommation). 

Est-ce si alarmant que cela ? Oui et non. 
Non : Si on effectue une comparaison à l’international du taux d’endettement des ménages (par rapport à leur revenu disponible).

On s’aperçoit alors que les États-Unis sont dans la moyenne (haute) des pays développés et que d’autres pays sont dans des situations bien plus critiques (comme les Pays-Bas).

Oui : si on se remet en mémoire que les crédits subprimes ont été l'amorce de la crise économique. Un nouveau boom du crédit pourrait signifier le retour du "business as usual" ou autrement dit, le retour des affaires comme avant : pour compenser les inégalités, les américains se tournent vers les crédits...

Poursuivons donc notre analyse et jetons un œil sur les marchés financiers.



La Bourse crève le plafond

L’indicateur le plus pertinent en la matière reste l’index du S&P500, c'est-à-dire la cotation des 500 plus grandes entreprises aux États-Unis. Disons que c’est l’équivalent américain de notre CAC40. Voici ce que cela donne (avec quelques annotations).

Le S&P500 repart à la hausse, dépasse le seuil d’avant crise et met en évident la totale déconnexion des marchés financiers avec l’économie réelle. Comme pourrait-on justifier cette explosion historique de l’index (300 points au dessus de 2007 !) alors que la situation est encore fragile.

N'écoutez pas les prophètes des temps nouveaux et leurs histoires de nouvelle Économie. En réalité, il s’agit d’une nouvelle bulle, ce qui annonce un prochain krach boursier (on parlera de « correction » du marché) dès que l’occasion se présentera : scandale financier, mauvais résultat d’une entreprise phare, révélations…




Les États-Unis ont renoué avec une croissance très inégalitaire mais au prix d’une nouvelle bulle dont nous ne connaissons pas encore l’amorce : L’immobilier ? Les crédits à la consommation ? Les prêts étudiants ? Une mauvaise nouvelle dans une entreprise? Une décision politique ?
Nous voici de retour dans la période pré-crise des Subprimes. Hormis les millions de chômeurs en plus, rien n'a apparemment changé. Mais pour combien de temps?

jeudi 12 décembre 2013

La concurrence pure et parfaite

L’économie d’entreprise est une branche de l’économie politique. Autrefois, le courant physiocrate en  était le seul courant : rien ne se créé, tout se transforme. Autrement dit, les richesses de la nature seraient révélées par les Hommes. 
La théorie économique demandait déjà une forte dose de laissez-faire (et de despotisme) car l’État ne serait légitime pour créer les richesses comme le dit l'adage : « Laissez faire les Hommes, laissez passer les marchandises ».



Depuis, Adam Smith a mis en avant le besoin de compétition et les conditions à réunir pour obtenir un marché à la concurrence pure et parfaite ; elles sont au nombre de 4 :



L’atomicité du marché

Il faut suffisamment de vendeurs et d’acheteurs pour éviter distorsions et accords sur les prix. Il faut donc empêcher certains acteurs d’imposer leurs conditions et c’est ainsi que par exemple, en 1793, un décret interdit les anciennes corporations.
Cela dit, plusieurs raisons montrent que c’est plutôt le principe d’anti-atomicité qui prime. Il suffit de regarder le poids des grandes firmes internationales ou l’Imposition de standards techniques (comme Microsoft).



La transparence 

C’est la question de la qualité de l’information disponible et de son accessibilité aux agents économiques (entreprises, ménages,…). L’homo-œconomicus est sensé être rationnel et orienté ses choix en fonction de la quantité d’information mais aussi de son analyse.

Toutefois il existe donc plusieurs freins :
  • La culture qui constitue des pesanteurs,
  • Les phénomènes irrationnels : on écoute nos désirs pour certains achats, alors que cela peut être absurde économiquement.
  • La fidélité aux marques, c'est-à-dire une sorte de patriotisme aux marques.
  • La publicité, la promotion des ventes : c’est une manipulation des névroses (consommation pulsionnelle). Et puis nous ne sommes pas vraiment indépendants : nous prenons nos décisions en fonction d'un tas d'éléments irrationnels (les sentiments, l'amour, la haine, la peur,...).

En résumé, nous n’avons ni toutes les informations disponibles, ni toutes les informations justes, ni toutes les informations pertinentes et dans tous les cas, nous ne sommes pas capables de traiter toutes ses informations même avec l’ordinateur le plus puissant.

Le monde est extrêmement complexe et notre esprit se créé des limites pour y faire face. Notre rationalité serait limitée (selon les termes d'Herbert Simon, prix Nobel d'économie) car nous n'avons pas les capacités nécessaires pour traiter toute l'information. Même internet et les technologies de l'information ne le permettent pas. Ainsi selon H. Simon, nous restreignons notre liberté de choix et nous nous créons des routines pour notre bien.



L’homogénéité 

On ne peut choisir qu’entre des produits homogènes : les produits doivent être identiques et substituables entre eux. En effet, si les produits sont trop différents, ce n’est plus un choix : c’est une préférence. Ce principe d’homogénéité est de plus en plus satisfait.
Alexis de Toqueville fut l’un des premiers à le remarquer dans « De la démocratie en Amérique ».



La mobilité (ou fluidité) des facteurs de production

Le capitalisme suppose que des acteurs économiques multiples bien informés, face à des produits substituables, puissent avoir la possibilité de se déplacer. Autrement dit, il faut pouvoir entrer et sortir, sans être entravé, à tout moment, en particulier vers des marchés plus rentables le cas échéant. Cette fluidité devrait concerner l’ensemble des facteurs de production :

Fluidité du capital financier

Cette condition est fondamentalement respecté. La limite en est le recyclage de l’argent sale.
La mondialisation a largement réalisé cette fluidité, tout comme celle des produits.
La question de la libre entrée sur les marchés est une autre histoire. En effet, même avec une idée brillante, il est souvent requis de posséder un réseau de connaissances et/ou un capital plus ou moins important.

Fluidité des Hommes 

On peut penser que c'est le cas dans les grandes zones mais il existe :
  • Des limites politiques (largement supprimées depuis l’effondrement du bloc soviétique),
  • Des limites touristiques (avec les visa, mais c’est beaucoup plus simple aujourd’hui),
  •  Une limite concernant la fluidité de la main d’œuvre. Il existe 2 théories à ce sujet : 
         - Soit il faut considérer les Hommes comme les autres facteurs de production et permettre la libre circulation et la libre installation. 
          - Soit les Hommes ne sont pas des produits et ne devraient pas bénéficier de la même fluidité.



Au regard de ces 4 principes, on peut penser que le capitalisme connaît aujourd’hui une mutation profonde. C’est un capitalisme globalisé, décomplexé (moins d’entraves à son fonctionnement) mais aussi régulé.
Le capitalisme possède donc une temporalité, une Histoire.

jeudi 5 décembre 2013

La Mondialisation

On a d’abord parlé d’internationalisation suite au développement de relations économiques entre nations. Puis, dans les années 90, du fait de l’importance croissante de ces dernières, on a introduit le terme de mondialisation.

Toutefois ce n’est pas une (vraie) nouveauté car le monde a déjà connu différentes mondialisations : empire romain, croisades, empire ottoman, colonisation,…S’il y a des mondialisations, cela implique donc qu’il y a eu démondialisation.

Ce n’est pas un phénomène naturel ; chaque mondialisation a sa propre raison d’être : politico-militaire, religieuse, politico-culturelle et aujourd’hui économique.




Le taux d'ouverture

Un des nombreux indicateurs économiques utilisés pour mesurer l’importance du reste du monde dans l’économie d’un pays est le taux d’ouverture.
Comment l’interpréter ? Avec un taux d’ouverture de 0%, le pays est en autarcie tandis qu’à l’autre extrémité il dépend entièrement des échanges internationaux.
La "bonne" moyenne serait comprise entre 15 et 25%.

Le graphique ci-dessous met en parallèle le taux de croissance (du PIB) et l’évolution du taux d’ouverture en France. 


Apparemment, nous sommes face à une crise des ciseaux : le taux d’ouverture augmente (économie mieux intégrée dans la mondialisation) mais le taux de croissance diminue. Faudrait-il revenir au protectionnisme de masse ? Non, cela semblerait inopportun. Malgré l’éloquence de ce graphique, il me semble que la mondialisation n’est pas coupable. Du moins pas totalement.
Je remarque que plusieurs autres sites d’informations affichent un graphique similaire (de 1950 à aujourd’hui). Pourtant, la réalité est plus complexe et autant vous le montrer en image, en élargissant la période au Second Empire (malheureusement je ne dispose pas de toutes les informations, ce qui explique l’absence de données pendant les deux grandes guerres).

Cela va peut-être vous surprendre mais, en France, le taux d’ouverture d’aujourd’hui est très proche de celui de la seconde moitié du XIXe siècle. Comme quoi…

 

Mondialisation, démondialisation, mondialisation

Le dernier graphique laisse apparaître trois périodes :
  • De 1850 jusqu’à la première guerre mondiale : la révolution industrielle est suivie par une mondialisation. L’alliance de nouveaux systèmes d’information et d’énergie permet d’accélérer la production tout réduisant les coûts de transport.
  • Durant la période d’entre deux guerres, la démondialisation est à l’œuvre avec un effondrement du commerce international et de la production (non militaire) ; c’est aussi le retour du protectionnisme.
  • Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une nouvelle mondialisation est à l’œuvre avec le rattrapage de l’Europe et du Japon, la création de l’OMC et la libéralisation des échanges (commerciaux et financiers surtout). Les taux de croissance crèvent l’écran pendant les 30 glorieuses avant de revenir à un rythme presque stationnaire aujourd’hui.



Le taux d’ouverture : un indicateur exagérant l’importance du commerce international

La formule du taux d’ouverture est : 
[(Exportations + Importations) /2] / PIB
Si vous avez suivi ma petite leçon sur le PIB (cf.l’épisode 0 de la saga de la croissance), vous aurez peut-être retenu que le PIB est une somme de valeur ajoutée (valeur de la production diminuée du coût des produits intermédiaires). Les exportations et les importations, elles, sont évaluées en chiffre d’affaires (le prix de vente de la production). L’indicateur est donc biaisé en donnant une importance plus élevée au commerce extérieur qu’à la production intérieure. Le vrai taux d’ouverture serait en réalité le quart du résultat.

Prenons un cas concret. Le taux d’ouverture, tel que calculé par la formule ci-dessus, serait de 28% en 2012 pour la France. Si l’on souhaitait mesurer le commerce extérieur de la même manière que la production intérieure, on atteindrait en réalité un taux d’ouverture d’environ 7% (28% divisé par 4).
Cette différence de calcul n’est pas négligeable car brandir un taux d’ouverture de 28% laisserait penser que le commerce extérieur avoisine le tiers de la production intérieure. En essayant de raisonner de manière plus juste, ce serait finalement moins de 10% de la production intérieure.



Et les échanges entre multinationales dans tout ça ?

Changeons d'éclairage. 
Avec le taux d’ouverture on raisonne en exportation et importation (nette). Or, de ce fait, on ne prend pas (ou peu) en compte les échanges entre firmes et la fragmentation de l’économie. On parle de chaînes de valeur.

Exemple : Un produit A est vendu par les États-Unis pour 500€. Il se compose d’un produit B (100€) fabriqué en Corée du Sud, avant d’être assemblé en un produit C (100€ de composants supplémentaires) en Chine puis exporté vers les États-Unis pour devenir le produit A. Qu’obtenons-nous en termes de statistiques du commerce international?
On cumulera des exportations de 100€ de la Corée du Sud, des exportations de la Chine pour 200€ (100+100 car on évalue le produit à sa valeur de vente) et des exportations américaines de 500€ car elle vend son produit A à l’étranger. Au niveau mondial, le commerce mondial sera évalué à 800€ (100€ de Corée du Sud+200€ de Chine+500€ des États-Unis) alors que le produit au total ne devrait compter que pour 500€ (100€ pour la Corée du Sud, 100€ pour la Chine et 300€ pour les États-Unis). 

Une chaîne de valeur mondiale

Comprenez-vous où je veux en venir ? L’importance du commerce international est clairement exagérée ici car les statistiques ne font aucune différence entre valeur marchande et valeur réellement ajoutée par le pays : on prend tout. Autrefois cela fonctionnait plutôt bien car les économies étaient peu imbriquées...mais ce n’est plus le cas. Autrement dit, les statistiques actuelles du commerce international ont la fâcheuse tendance à gonfler artificiellement les chiffres.

Heureusement les derniers travaux de l’OMC ont permis de publier le premier rapport sur la mesure du commerce internationale en valeur ajoutée. Et c’est important car on saura vraiment ce qu’il en est.

Selon F. Toubal lors des JECO2013: "Les filiales de groupes étrangers sur notre sol participent à hauteur de 25% de la Valeur Ajoutée industrielle française [sans compter les services qui n’ont pas encore été inclus]". Finalement, on était bien loin du compte...



Quelques moteurs de notre mondialisation

A la fin de la guerre, de nombreuses organisations ont vu le jour pour accélérer la mondialisation : en particulier l’Organisation Mondiale du Commerce (baisse du protectionnisme) et le FMI (stabilité du système monétaire).
Les multinationales jouent aujourd'hui un rôle de premier plan dans la mondialisation. Il faut savoir qu’environ 200 firmes contrôlent 65% de l’activité mondiale. 


Cette imbrication des Économies est une des caractéristiques majeures de la mondialisation actuelle : on parle du "Made in World".
Les multinationales, les organisations internationales et le capital internationalisé en sont devenus les principaux moteurs.

mardi 26 novembre 2013

Saga de la Croissance 0 - PIB et Croissance, Kezako ?

La croissance économique est l’augmentation régulière de la production d’une économie. Cette dernière se mesure généralement par le PIB, un indicateur monétaire quantitatif.

On attribue de nombreuses causes à et conséquences à la croissance, pouvant s’entretenir durablement dans un cercle vertueux : le libre échange, le progrès technique, l’emploi,…



Le PIB

Le PIB, c’est la somme des valeurs ajoutées (mesurées) du pays et il sert d’étalon de la production.
Voici deux petits schémas illustrant le calcul de la valeur ajoutée pour une entreprise puis la manière de mesurer le PIB pour un pays.



Il permet de mesurer la valeur des échanges marchands et des services publics : il ne mesure donc qu’une partie de la production économique.

Les services publics, services non marchands, sont inclus pour leurs coûts.

Toute production marchande sera bonne à prendre pour le PIB, y compris les externalités négatives comme les épidémies, la dépendance envers une substance, les catastrophes,…car elles permettent de créer de la production supplémentaire.

Par contre le travail domestique, l’auto-consommation des ménages (son potager,…), l’économie souterraine (travail au noir, activités illicites, cambriolages,…) sont mis dans le même panier si je puis dire : ils sont exclus du PIB. 




PIB et entropie

Pour J. Rifkin, il faudrait se placer du point de vue de la physique :
« Il [le PIB] mesure plutôt la valeur de l’énergie temporaire intégrée à des biens et services produits au prix de la diminution des réserves d’énergie disponibles et de l’augmentation des déchets entropiques »
En effet, l’énergie utilisée pour produire est définitivement perdue. La formule « tout se transforme, rien ne se perd » n’est pas tout à fait vrai. En réalité, lors d’une réaction il y a un dégagement d’énergie qui empêche de revenir en arrière ou alors en consommant plus d’énergie que la réaction en produit ; c’est ce qu’on appelle l’entropie. 




Calcul du Taux de Croissance

Le taux de croissance nominal se calcule de la manière suivante :

[(PIB finale) – (PIB initiale) / PIB initial]

C'est-à-dire pour 2013 : [(PIB de l’année 2013 – PIB de l’année 2012) / (PIB de l’année 2012)]

On obtient le taux de croissance réel en retranchant l’inflation (la hausse des prix) du taux de croissance nominal. En d’autres termes, la croissance réelle est la croissance de la production sans l’effet prix (pour isoler l’effet quantité).

mercredi 20 novembre 2013

Saga de la croissance 7 - Production, Consommation et Croissance

Ce septième épisode sur la Croissance se concentre sur la production et la consommation mais fera également office de conclusion de la Saga. Ne soyez donc pas étonnés si mes propos vont au-delà du titre de cet article.
Très prochainement, je m’attacherai à expliquer le calcul du PIB, sorte d’introduction (tardive) à la Saga.


Le PIB, comme son nom l’indique, est un indicateur focalisé sur [le produit de] la production : la production doit augmenter toujours et sans fin pour faire croître le PIB. Ce besoin de croissance [de la production] est l’objectif numéro de nos gouvernements pour créer des richesses, de l’emploi et de la confiance. Le système est imaginé comme un cercle vertueux où production et consommation entraînent l’un l’autre.

La croissance infinie de la Production et du PIB…
Mais de quelle production ? Pour quelle consommation ?
Est-ce vraiment une nécessité ? Est-ce possible ?
Ne devrait-on pas diriger nos efforts vers la croissance d’autres valeurs ?

 



La croissance du PIB, mais de quelle production ?

Le PIB sert à mesurer la valeur des échanges économiques et, disons le clairement, il montre ce qu’on lui demande. Il ne s’intéresse qu’à la production marchande (valorisée en valeur ajoutée) et aux services publics (valorisés par les coûts) sans intégrer les externalités positives ou négatives (impacts sociaux et environnementaux) ;  ce qui compte c’est la valeur ajoutée mesurée par la comptabilité. 

Peu importe la nature de cette production : matérielle, immatérielle, polluante, propre, innovante, réparatrice, utile, inutile…Dit autrement : toute production (marchande) est bonne pour le PIB.



La croissance infinie de la production : Est-ce une nécessité ?

Si la croissance (du PIB) est devenue la priorité nationale c’est parce que, d’une part, il s'agissait d’un indicateur pertinent à une époque (l'après-guerre) et, d’autre part, il donne une vision simpliste de la situation économique.

En suivant une politique volontaire de croissance, les politiques peuvent maintenir un taux de chômage acceptable socialement : entre le minimum possible (ou souhaitable : le NAIRU) et seuil du mécontentement social. Attention tout de même, l’épisode 5 de la saga a clairement montré que le lien entre croissance et emploi est assez ambigu : la croissance seule ne crée pas d’emploi. 

A vrai dire, la croissance, seule, ne provoque pas grand-chose. C’est un objectif de second rang.

Faudrait-il remettre l’humain avant la valeur ajoutée ? Oui, ce serait souhaitable.
De là à dire que la course au PIB ne devrait plus conduire nos politiques…il n’y a qu’un pas !



La croissance infinie de la production : consommation non-stop pour tous ?

Pour les pays pauvres ou émergents, il y a des besoins visibles. N’importe quel occidental voyageant dans les zones populaires de ces pays sera tenté d’identifier les manques ou améliorations possibles. Il est difficile de dire que la croissance de la production alimentaire ou d’équipements de base (réfrigérateur, téléphone,…) serait une mauvaise chose dans ce contexte. 

Pour autant, dans les pays développés, une partie significative de la population mange plus qu’à sa faim, peut se loger, bénéficie d’infrastructures de qualité et dispose d’un panel d’équipements facilitant la vie au quotidien. A titre d’information, j’ai illustré ci-dessous le taux d’équipement des français en 2007 :

Doit-on pousser les populations des pays développés à posséder encore plus qu’ils n’ont ? 

Le graphique suivant permet de comparer les PIB par tête de plus de 150 pays [ils ne sont pas tous indiqués en abscisse pour des raisons de lisibilité] dont, en surbrillance, le PIB allemand, américain et français :

Est-ce qu’il faudrait doubler puis tripler ces trois PIB pour être encore plus heureux ? Est-ce que tous les pays doivent converger vers le PIB par habitant américain? Voire plus ? 

Cela me semble utopique et pas forcément souhaitable. En fait, il me semble même malsain de ne se concentrer que sur la richesse des nations. Si élever le niveau de vie des pays semble positif, surtout pour les pays en développement, cela ne devrait être qu’un objectif secondaire. Les pays pétroliers sont, par exemple, immensément riches mais loin d’être des havres de paix pour la population.

Durant les journées de l’Economie (JECO 2013), un des intervenants s’est écrié ironiquement que [pour stimuler la demande de la zone euro,] nous n’avions pas à forcer les allemands à consommer autant que les américains. Si cet argument semble logique – les peuples sont libres en principe – pourquoi ne devrait-il pas s’appliquer à la croissance de la production ?
Pourquoi devrions-nous accroître sans cesse notre production ? Pourquoi se comparer aux modèles allemands ou américains dont on vante les taux de croissance ?



Le Paradoxe D’Easterlin

De nombreux travaux ont déjà souligné ce paradoxe. Richard Easterlin, économiste de renom, a clairement mis en évidence en 1974 qu’à partir d’un certain seuil de richesse, le développement économique (dans le sens de hausse du PIB) ne se traduisait pas nécessairement en amélioration du bien-être. Est-ce paradoxal ?
En réalité, ce n’est pas le fait de posséder toujours plus  qui nous rend heureux…c’est le fait de s’enrichir plus vite et posséder plus que notre voisin, que nos collègues et nos amis.

Les travaux, plus récents, de B. Stevenson et J. Wolfers tendent à prouver le contraire. Vous trouverez ci-dessous le graphique le plus connu de leur rapport : il montre une corrélation entre croissance du PIB et la satisfaction dans tous les pays :


Je crois que si qui résume la situation est le proverbe : « l’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue ». Si la corrélation croissance & satisfaction est difficilement contestable, ce qui m’interpelle, c’est l’écart de bien-être entre pays équivalents.  Encore une fois, cela démontre bien que la croissance ne fait pas tout.

D’ailleurs, on obtient une indication complémentaire: les Hommes ne sont jamais satisfaits et ne le seront probablement jamais. Voilà pourquoi la satisfaction devrait augmenter en présence de croissance.

Au passage, je me permets d’y ajouter ma patte : croiser le degré de richesse et le sentiment de bien-être me semble en fait réducteur. Il faudrait rajouter une troisième dimension : la liberté ou l’éducation pour mieux appréhender cette corrélation ; peut-être m'y attèlerais-je dans un futur proche.



La production : une marque de puissance

Pour se distinguer et montrer sa puissance, le binôme consommation-production est devenu un langage à part entière avec son vocabulaire, ses codes, ses marques,…C’est une réalité au niveau des individus mais aussi internationale :
  • Je consomme plus car je gagne mieux ma vie donc je suis meilleur que toi,
  • Mon entreprise crée plus de valeur ajoutée que la tienne, elle est donc meilleure que la tienne,
  • Le pays A dispose d’un PIB par tête supérieur au pays B, il est donc plus puissant et plus performant.
  • La rhétorique fait encore plus mal : celui qui crée moins de richesses est, au choix : fainéant, mauvais ou tricheur.

Thorstein Veblen théorisait déjà la consommation ostentatoire en 1900. 

En 1759, bien avant Veblen, Adam Smith résumait déjà bien cet état d’esprit dans son livre "Théorie des sentiments moraux" (moins connu que son autre œuvre "recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations") :
« C’est la vanité, non le bien-être qui nous intéresse »
C’est un sentiment humain que de se lasser rapidement de nos acquis et de tendre vers le mieux.  Ce qui m’inquiète, c’est que le "mieux" est devenu le "plus" – c'est-à-dire le quantitatif – et d'avoir exacerber l'aspect matériel sur le "lien social".



La croissance infinie de la production : est-ce possible ?

Commençons par un graphique : celui représentant le taux de croissance de la production mondiale entre 1913 et 2100 (scénario prévisionnel central).
 
Apparemment, on retombe à des taux de croissance faibles. Mais si je ne vous montre que ce graphique, je vous induits en erreur (c’était le but, je l’avoue).

Maintenant, jetez un œil sur ce deuxième graphique couvrant une période plus large : de l’an 0 à 2100 (la loupe cerne les dates du graphique précédent).

Vous comprenez alors que nous sommes dans une période de croissance extraordinaire par rapport à l’Histoire de l’humanité. Les révolutions industrielles ont permis de faire décoller la production à des niveaux jamais connus auparavant. On peut se demander, à juste titre, si cette euphorie de la production est un fait exceptionnel ou une nouvelle norme.

Pour Jeremy Rifkin, les deux précédentes révolutions industrielles expliquent leurs succès par la combinaison d’une avancée dans le domaine de l’information (télégraphe, téléphone,…) et de nouvelles sources d’énergie (machine à vapeur, pétrole,…). Pour éviter la décrue de la production (tel qu’illustrée par le scénario prévisionnel du graphique), une troisième révolution individuelle serait à portée de main, pour peu que l’on s’en donne les moyens : on parle de croissance verte.

L’avenir de la production dépendra des capacités des Hommes mais aussi des limites de la nature. En effet, si nous pouvons être optimistes sur l’intelligence humaine, les ressources naturelles, elles, sont limitées. Si tous les habitants du monde vivait à la française, il faudrait trois planètes Terre…Avec le mode de vie américain, il en faudrait six !

Est-ce que la troisième révolution industrielle permettra de créer de la croissance plus longtemps ?
Que se passerait-il en l’absence de troisième révolution industrielle avant l’épuisement des sources d’énergies traditionnelles ?
Est-ce que l’Économie de la connaissance et la production immatérielle viendra compenser cette limite naturelle ?
Difficile de répondre à ces questions.



Le PIB, un indicateur à visée performative

Le PIB est la transposition d’une vision monétaire du monde. La formule du PIB n’a rien d’une évidence naturelle : c’est une pure construction humaine. Mais le problème n’est pas là car, après tout, le PIB ne nous montre que ce que nous voulons voir.

Le vrai souci est que, aujourd’hui, il est devenu l’objectif principal à atteindre.
Quand on pense PIB ou production, on pense au progrès, aux avancées technologiques, aux créations d’emploi,…des termes positifs en somme. Si bien que cela devient une fin en soit. C’est pourquoi on parle d’indicateur performatif.

On en oublie que le PIB n’est qu’une comptabilisation de la valeur de biens et de services.
  • La croissance de n’importe quelle production n’est pas bonne.
  • La croissance d’une production dégradant les ressources naturelles n’est pas bonne.
  • La croissance de la production écartant le bien-être n’est pas une bonne chose.
  • La croissance de la production sans emploi n’apporte rien de bon.

Dans les pays développés, se concentrer uniquement sur la maximisation de la production n’offre plus le même intérêt que durant les trente glorieuses (ou une période de rattrapage).

Autant de raisons pour changer de fusil d’épaule et se fixer un nouveau cap. Gardons le PIB pour mesurer la valeur de la production mais sûrement pas pour piloter nos vies.

On pourrait attendre que les bienfaits d’une potentielle croissance puisse combler les maux de l’Économie, mais c’est tourner autour du pot. Le changement de paradigme, c’est maintenant car comme le dit Paul Ariès : « chanter la vie au présent » plutôt que d'attendre les lendemains qui chantent