Ce septième épisode sur la Croissance se concentre sur la production et
la consommation mais fera également office de conclusion de la Saga. Ne soyez
donc pas étonnés si mes propos vont au-delà du titre de cet article.
Je crois que si qui résume la situation est le proverbe : « l’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue ». Si la corrélation croissance & satisfaction est difficilement contestable, ce qui m’interpelle, c’est l’écart de bien-être entre pays équivalents. Encore une fois, cela démontre bien que la croissance ne fait pas tout.
Apparemment, on retombe à des taux de croissance faibles. Mais si je ne
vous montre que ce graphique, je vous induits en erreur (c’était le but, je
l’avoue).
Maintenant, jetez un œil sur ce deuxième graphique couvrant une période plus large : de l’an 0 à 2100 (la loupe cerne les dates du graphique précédent).
Très prochainement, je m’attacherai à expliquer le calcul du PIB, sorte
d’introduction (tardive) à la Saga.
Le PIB, comme son nom l’indique, est un indicateur focalisé sur [le
produit de] la production : la production doit augmenter toujours et sans
fin pour faire croître le PIB. Ce besoin de croissance [de la production] est
l’objectif numéro de nos gouvernements pour créer des richesses, de l’emploi et
de la confiance. Le système est imaginé comme un cercle vertueux où production
et consommation entraînent l’un l’autre.
La croissance infinie de la Production et du PIB…
Mais de quelle production ? Pour quelle consommation ?
Est-ce vraiment une nécessité ? Est-ce possible ?
Ne devrait-on pas diriger nos efforts vers la croissance d’autres
valeurs ?
La croissance du PIB, mais de quelle production ?
Le PIB sert à mesurer la valeur des échanges économiques et, disons le
clairement, il montre ce qu’on lui demande. Il ne s’intéresse qu’à la
production marchande (valorisée en valeur ajoutée) et aux services publics
(valorisés par les coûts) sans intégrer les externalités positives ou négatives
(impacts sociaux et environnementaux) ;
ce qui compte c’est la valeur ajoutée mesurée par la comptabilité.
Peu importe la nature de cette production : matérielle,
immatérielle, polluante, propre, innovante, réparatrice, utile, inutile…Dit
autrement : toute production (marchande) est bonne pour le PIB.
La croissance infinie de la production : Est-ce une nécessité ?
Si la croissance (du PIB) est devenue la priorité nationale c’est parce
que, d’une part, il s'agissait d’un indicateur pertinent à une époque (l'après-guerre) et, d’autre part, il donne une vision simpliste de la
situation économique.
En suivant une politique volontaire de croissance, les politiques
peuvent maintenir un taux de chômage acceptable socialement : entre le
minimum possible (ou souhaitable : le NAIRU) et seuil du mécontentement
social. Attention tout de même, l’épisode 5 de la saga a clairement montré que le
lien entre croissance et emploi est assez ambigu : la croissance seule ne
crée pas d’emploi.
A vrai dire, la croissance, seule, ne provoque pas grand-chose. C’est
un objectif de second rang.
Faudrait-il remettre l’humain avant la valeur ajoutée ? Oui,
ce serait souhaitable.
De là à dire que la course au PIB ne devrait plus conduire nos
politiques…il n’y a qu’un pas !
La croissance infinie de la production : consommation non-stop pour tous ?
Pour les pays pauvres ou émergents, il y a des besoins visibles.
N’importe quel occidental voyageant dans les zones populaires de ces pays sera tenté d’identifier les manques ou améliorations possibles. Il est difficile
de dire que la croissance de la production alimentaire ou d’équipements de base
(réfrigérateur, téléphone,…) serait une mauvaise chose dans ce contexte.
Pour autant, dans les pays développés, une partie significative de la
population mange plus qu’à sa faim, peut se loger, bénéficie d’infrastructures
de qualité et dispose d’un panel d’équipements facilitant la vie au quotidien.
A titre d’information, j’ai illustré ci-dessous le taux d’équipement des français en 2007 :
Doit-on pousser les populations des pays développés à posséder encore
plus qu’ils n’ont ?
Le graphique suivant permet de comparer les PIB par tête de plus de 150 pays [ils ne sont pas tous indiqués en abscisse pour des raisons de lisibilité] dont, en surbrillance, le PIB allemand, américain et français :
Le graphique suivant permet de comparer les PIB par tête de plus de 150 pays [ils ne sont pas tous indiqués en abscisse pour des raisons de lisibilité] dont, en surbrillance, le PIB allemand, américain et français :
Est-ce qu’il faudrait doubler puis tripler ces trois PIB pour être
encore plus heureux ? Est-ce que tous les pays doivent converger vers le
PIB par habitant américain? Voire plus ?
Cela me semble utopique et pas forcément souhaitable. En fait, il me
semble même malsain de ne se concentrer que sur la richesse des nations. Si
élever le niveau de vie des pays semble positif, surtout pour les pays en
développement, cela ne devrait être qu’un objectif secondaire. Les pays
pétroliers sont, par exemple, immensément riches mais loin d’être des havres de
paix pour la population.
Durant les journées de l’Economie (JECO 2013), un des intervenants
s’est écrié ironiquement que [pour stimuler la demande de la zone euro,] nous n’avions pas à
forcer les allemands à consommer autant que les américains. Si cet argument
semble logique – les peuples sont libres en principe – pourquoi ne devrait-il
pas s’appliquer à la croissance de la production ?
Pourquoi devrions-nous accroître sans cesse notre production ?
Pourquoi se comparer aux modèles allemands ou américains dont on vante les taux
de croissance ?
Le Paradoxe D’Easterlin
De nombreux travaux ont déjà souligné ce paradoxe. Richard Easterlin,
économiste de renom, a clairement mis en évidence en 1974 qu’à partir d’un
certain seuil de richesse, le développement économique (dans le sens de hausse
du PIB) ne se traduisait pas nécessairement en amélioration du bien-être. Est-ce
paradoxal ?
En réalité, ce n’est pas le fait de posséder toujours plus qui nous rend heureux…c’est le fait de
s’enrichir plus vite et posséder plus que notre voisin, que nos collègues et
nos amis.
Les travaux, plus récents, de B. Stevenson et J. Wolfers tendent à
prouver le contraire. Vous trouverez ci-dessous le graphique le plus connu de
leur rapport : il montre une corrélation entre croissance du PIB et la
satisfaction dans tous les pays :
Je crois que si qui résume la situation est le proverbe : « l’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue ». Si la corrélation croissance & satisfaction est difficilement contestable, ce qui m’interpelle, c’est l’écart de bien-être entre pays équivalents. Encore une fois, cela démontre bien que la croissance ne fait pas tout.
D’ailleurs, on obtient une indication complémentaire: les Hommes ne
sont jamais satisfaits et ne le seront probablement jamais. Voilà pourquoi la
satisfaction devrait augmenter en présence de croissance.
Au passage, je me permets d’y ajouter ma patte : croiser le degré
de richesse et le sentiment de bien-être me semble en fait réducteur. Il
faudrait rajouter une troisième dimension : la liberté ou l’éducation pour
mieux appréhender cette corrélation ; peut-être m'y attèlerais-je dans un futur proche.
La production : une marque de puissance
Pour se distinguer et montrer sa puissance, le binôme
consommation-production est devenu un langage à part entière avec son
vocabulaire, ses codes, ses marques,…C’est une réalité au niveau des individus
mais aussi internationale :
- Je consomme plus car je gagne mieux ma vie donc je suis meilleur que toi,
- Mon entreprise crée plus de valeur ajoutée que la tienne, elle est donc meilleure que la tienne,
- Le pays A dispose d’un PIB par tête supérieur au pays B, il est donc plus puissant et plus performant.
- La rhétorique fait encore plus mal : celui qui crée moins de richesses est, au choix : fainéant, mauvais ou tricheur.
Thorstein Veblen théorisait déjà la consommation ostentatoire en 1900.
En 1759, bien avant Veblen, Adam Smith résumait déjà bien cet état
d’esprit dans son livre "Théorie des sentiments moraux" (moins connu
que son autre œuvre "recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations") :
C’est un sentiment humain que de se lasser rapidement de nos acquis et de tendre vers le mieux. Ce qui m’inquiète, c’est que le "mieux" est devenu le "plus" – c'est-à-dire le quantitatif – et d'avoir exacerber l'aspect matériel sur le "lien social".« C’est la vanité, non le bien-être qui nous intéresse »
La croissance infinie de la production : est-ce possible ?
Commençons par un graphique : celui représentant le taux de
croissance de la production mondiale entre 1913 et 2100 (scénario prévisionnel
central).
Maintenant, jetez un œil sur ce deuxième graphique couvrant une période plus large : de l’an 0 à 2100 (la loupe cerne les dates du graphique précédent).
Vous comprenez alors que nous sommes dans une période de croissance
extraordinaire par rapport à l’Histoire de l’humanité. Les révolutions
industrielles ont permis de faire décoller la production à des niveaux jamais
connus auparavant. On peut se demander, à juste titre, si cette euphorie de la
production est un fait exceptionnel ou une nouvelle norme.
Pour Jeremy Rifkin, les deux précédentes révolutions industrielles
expliquent leurs succès par la combinaison d’une avancée dans le domaine de
l’information (télégraphe, téléphone,…) et de nouvelles sources d’énergie (machine
à vapeur, pétrole,…). Pour éviter la décrue de la production (tel qu’illustrée
par le scénario prévisionnel du graphique), une troisième révolution
individuelle serait à portée de main, pour peu que l’on s’en donne les moyens :
on parle de croissance verte.
L’avenir de la production dépendra des capacités des Hommes mais aussi
des limites de la nature. En effet, si nous pouvons être optimistes sur
l’intelligence humaine, les ressources naturelles, elles, sont limitées. Si
tous les habitants du monde vivait à la française, il faudrait trois planètes
Terre…Avec le mode de vie américain, il en faudrait six !
Est-ce que la troisième révolution industrielle permettra de créer de
la croissance plus longtemps ?
Que se passerait-il en l’absence de troisième révolution industrielle
avant l’épuisement des sources d’énergies traditionnelles ?
Est-ce que l’Économie de la connaissance et la production immatérielle
viendra compenser cette limite naturelle ?
Difficile de répondre à ces questions.
Le PIB, un indicateur à visée performative
Le PIB est la transposition d’une vision monétaire du monde. La formule
du PIB n’a rien d’une évidence naturelle : c’est une pure construction
humaine. Mais le problème n’est pas là car, après tout, le PIB ne nous montre
que ce que nous voulons voir.
Le vrai souci est que, aujourd’hui, il est devenu l’objectif principal à
atteindre.
Quand on pense PIB ou production, on pense au progrès, aux avancées
technologiques, aux créations d’emploi,…des termes positifs en somme. Si bien
que cela devient une fin en soit. C’est pourquoi on parle d’indicateur
performatif.
On en oublie que le PIB n’est qu’une comptabilisation de la valeur de
biens et de services.
- La croissance de n’importe quelle production n’est pas bonne.
- La croissance d’une production dégradant les ressources naturelles n’est pas bonne.
- La croissance de la production écartant le bien-être n’est pas une bonne chose.
- La croissance de la production sans emploi n’apporte rien de bon.
Dans les pays développés, se concentrer uniquement sur la maximisation
de la production n’offre plus le même intérêt que durant les trente glorieuses
(ou une période de rattrapage).
Autant de raisons pour changer de fusil d’épaule et se fixer un
nouveau cap. Gardons le PIB pour mesurer la valeur de la production mais
sûrement pas pour piloter nos vies.
On pourrait attendre que les bienfaits d’une potentielle croissance puisse
combler les maux de l’Économie, mais c’est tourner autour du pot. Le changement
de paradigme, c’est maintenant car comme le dit Paul Ariès : « chanter la vie
au présent » plutôt que d'attendre les lendemains qui chantent
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