Ce qu’on ne dit pas, c’est que de tels taux de
croissance sont des exceptions dans l’Histoire.
Que nous dit l’Histoire ? Que peut-on
prévoir ?
La croissance décortiquée
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vous
propose un petit retour sur l’article précédent :
Il faut savoir que le taux de croissance est composé de deux éléments :- Le taux d’évolution de la production par habitant,- Le taux d’accroissement de la population.
La logique est simple : si la population
augmente, la production devrait augmenter mécaniquement toutes choses étant
égales par ailleurs. S’il y a des gains de productivité, la production augmente
aussi car avec la même durée du travail, on produit plus ! Et s’il y a des
gains de productivité et que la population augmente, c’est le jackpot.
L’Histoire
Angus Maddison a accompli un travail extrêmement
intéressant sur la reconstitution des comptes nationaux. On sait ainsi qu’entre
l’an 1 et 1700, le taux de croissance annuel moyen était en dessous de 0,1%
avant d’atteindre 1,6% (toujours en moyenne) jusqu’en 2012.
En reprenant les données passées et prévisionnelles
de Thomas Piketty, nous pouvons retracer la croissance mondiale depuis l’an 1
jusqu’en 2100 (sur la base d’un scénario prévisionnel central).
Pour mieux comprendre ce qu’il en est, visuellement
parlant, j’ai souhaité mettre en évidence la part de croissance du PIB dû à
l’accroissement démographique et celle provenant des gains de productivité.
Ainsi, pendant près de 1800 ans, la croissance
mondiale moyenne ne dépasse la barre du demi-point de croissance. Elle décollera,
en premier lieu, grâce à l’accroissement de la population avant de bénéficier d’un
deuxième coup d’accélérateur avec les gains de productivité : révolutions
industrielles, reconstruction d’après-guerres et rattrapage de la frontière
technologique.
L’avenir
Les prévisions du graphique ci-dessus ont été
établies à partir du scénario central de Thomas Piketty. Lui-même pense que les
prévisions sont optimistes et qu'à l'avenir la croissance ne devrait pas dépasser 1 –
1,5% par an (hors pays en situation de rattrapage). Pour Robert Gordon c’est
pire : les Etats-Unis devraient obtenir un taux de croissance du PIB
inférieur à 0,5% à partir de 2050…
Ce serait peu par rapport aux trente glorieuses,
mais bien plus que durant le premier millénaire et la première partie du
deuxième millénaire (cinq fois plus !).
Pourquoi prévoit-on un tel ralentissement ?
Tout simplement à cause des deux composantes de la
croissance : la démographie et les gains de productivité. Reprenez le
graphique et vous constaterez que ces deux composantes expliquent, chacune, environ
la moitié de la croissance de la production.
1. Un faible taux d’accroissement de la population
La croissance de la population se répercute sur la
production : c’est mécanique toutes choses étant égales par ailleurs,
c'est-à-dire que le chômage est contenu (ou diminue), que le taux d’emploi
reste stable (ou augmente) et que la durée du travail reste la même (ou
augmente).
Là où cela devient intéressant est que la transition
démographique (baisse de la mortalité et maîtrise des naissances) crée un
équilibre. Cette stabilité au niveau mondial devrait intervenir dans le courant
de ce siècle selon les prévisions de l’ONU (scénario central).
Avec un taux d’accroissement lent et une
stabilisation entre 10 et 11 Milliards d’habitants, le premier accélérateur de
croissance risque de s’éteindre à petit feu.
Bien sûr tout cela reste dans le cadre d’un
scénario prévisionnel et rien n’est sûr en sciences humaines. Toutefois, sans
tomber dans le malthusianisme, il semblerait la population mondiale tende vers cet
équilibre comme on le constate déjà dans la plupart des pays avancés.
2. Des gains de productivité plus faibles qu’avant
Je n’aime pas jouer à l’apprenti-sorcier en Économie. Même les meilleurs économistes se trompent et c’est tout à fait
normal : les sciences humaines n’ont rien de prévisibles. Cependant, pour
faire avancer le débat, il faut tenter d’analyser la situation et en tirer des
scénarios.
Pour certains économistes, la Science va permettre
de créer une croissance forte à l’infinie et pour tous ; cela me semble
très utopiste mais j’y reviendrais plus tard. D’autres économistes pensent que
la hausse extraordinaire de la production par habitant risque de ralentir –
cela me semble bien plus probable. Elle pourrait même baisser, tout en restant
supérieure à ce qui était la norme durant la quasi-totalité des deux premiers
millénaires.
Plusieurs explications à cela.
A) Les pays à forte croissance sont aujourd’hui les
pays émergents qui sont en situation (transitoire) de rattrapage. Ils se
hissent petit à petit sur la frontière technologique des pays avancés et cela
explique ces taux de croissance exceptionnels. C’est par exemple ce phénomène
de rattrapage qui a permis des taux de croissance de 4 ou 5% pendant les trente
glorieuses.
Je ne dis pas qu’il s’agit d’un processus rapide :
il reste encore beaucoup de chemin à parcourir mais il est évident que ce coup
de fouet ne durera pas éternellement.
B) En second lieu, je souhaite mettre en évidence la
part colossale que représentent les services dans notre économie. Les
représentations graphiques ci-dessous permettent de comparer la situation dans
les années 50 et celle d’aujourd’hui (pour la France).
Les services se taillent la part du lion en termes
d’emploi et de création de richesses. Attention : il faut cependant noter
qu’une partie de ses services sont une externalisation des activités autrefois
industrielles (intérim, comptabilité,…).
Si je vous parle de la prédominance des services
dans notre économie, c’est que ce secteur génère moins de gains de productivité
que le secteur primaire ou secondaire. En effet, si les révolutions vertes
(agricoles) et industrielles ont générées une croissance incroyable sur
plusieurs années, on peut difficilement imaginer une révolution tertiaire. L’exemple
le plus souvent utilisé est celui de la coupe de cheveux : elle nécessite
autant de temps qu’il y a un siècle.
Certains évoquent alors la révolution des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et des Communication) mais les gains de productivité escomptés ne sont pas au rendez-vous. L’informatique a changé nos modes de vie mais n’a pas provoqué de boom de croissance. C’est là que les prophètes ont annoncé l’avènement d’une nouvelle ère : l’économie de la connaissance. L’idée est plaisante mais reste au niveau embryonnaire pour le moment (réduction des budgets de l’éducation,…). Prétexter un changement majeur dans l’économie est courant pour justifier tout et n’importe quoi.
Certains évoquent alors la révolution des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et des Communication) mais les gains de productivité escomptés ne sont pas au rendez-vous. L’informatique a changé nos modes de vie mais n’a pas provoqué de boom de croissance. C’est là que les prophètes ont annoncé l’avènement d’une nouvelle ère : l’économie de la connaissance. L’idée est plaisante mais reste au niveau embryonnaire pour le moment (réduction des budgets de l’éducation,…). Prétexter un changement majeur dans l’économie est courant pour justifier tout et n’importe quoi.
Le plus inquiétant est que la recherche et le développement
se concentre surtout dans l’industrie, secteur en crise en France.
C) Enfin, le dernier point est celui des limites de la
Science. Je ne souhaite pas la dénigrer mais montrer qu’il vaut mieux ne pas
tout miser dessus. L’optimiste est une bonne chose mais la croyance, presque
religieuse, en est une autre : cette forme de positivisme laisse penser
que la science serait l’unique source d’avenir et de bonheur. Bien qu’appréciant
les nouvelles technologies, je ne crois qu’il est bon de leur vouer un culte.
Pas pour ces raisons là en tout cas. Cela étant dit, je vais me concentrer sur du
concret et ainsi éviter de m’enfoncer dans la discussion philosophique.
On peut commencer par la définition même de l’économie :
« Science ayant pour objet l’étude de la production, de la répartition et
de la consommation des biens ou services rares ». L’avenir technologique est limité par nos
ressources naturelles, cela à moins d’inventer de nouvelles énergies propres et
renouvelables à l’infini. Toujours dans cette optique, la croissance de la
production se voudrait immatérielle dans une large proportion, ce qui n’est pas
évident aujourd’hui.
De plus, on remarque que chaque avancée diminue la
probabilité d’un risque (explosion, maladie,…) mais en augmente la gravité des conséquences (le
secteur de l’énergie est criant en la matière) : risques humanitaires,
catastrophes écologiques, pandémies,...représentent l’envers du décor.
Enfin, on peut y mettre les moyens mais les
révolutions technologiques ne se décrètent pas ; il existe une forte part
de hasard. L’humanité nous réserve bien des surprises, c’est pourquoi il est
bon d’être positif sur nos capacités, mais il ne faut pas tomber dans l’excès.
1% de croissance, c’est déjà beaucoup
Une croissance qu’on considère faible aujourd’hui, disons
1% tous les ans, est déjà très rapide. Cela signifie un tiers de richesse
supplémentaire en moins de trente ans, ce qui renouvelle déjà les modes de vie
et l’économie dans son ensemble.
Et puis, en fonction des pays, de la culture, des
politiques et de diverses variables, cette croissance n’apportera pas la même
satisfaction. Plutôt que viser la croissance de la richesse (résumée au PIB),
il vaudrait mieux viser la croissance du bonheur et l’épanouissement de tout un
chacun.
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