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vendredi 14 mai 2010

Acte 1 - La crise grecque

 

Depuis 2008, la Grèce faisait partie des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne), le club des pays à risque. Mais depuis la fin de l’année 2009, la Grèce est dans la tourmente.

En quelques mois, les agences de notation dévaluent la note de la dette grecque, les marchés s’affolent, les plus grandes inquiétudes se font pressentir quant au remboursement de sa dette et à la contagion possible…
Dernière solution : recourir à des prêts d’autres États et/ou du FMI. Pas si facile…

Comment ce pays, représentant environ 2% du PIB et de la population de l’UE, a-t-il pu être au centre d’une telle polémique ?


1. La perte de confiance
Depuis les années 90, la dette publique grecque avoisine les 100% de PIB. Cela semble excessif mais je rappelle que, par exemple, l’Italie et le Japon sont bien au dessus. En soi, la dette ne pose problème que lorsque les marchés perdent confiance en l’État. 
Sur le marché des obligations, le taux de rémunération est en rapport inverse à la valeur de l’actif ; autrement dit, lorsque la valeur de l’actif devient inférieure à sa valeur réelle, les taux augmentent. Ce faisant, cela peut considérablement aggraver le poids de la dette, demandant encore plus d’emprunt et érodant davantage la confiance, entraînant une baisse de la valeur réelle des actifs, etc… On observe un cercle vicieux où les prévisions les plus pessimistes peuvent se réaliser sous couvert de la pensée moutonnière.

La confiance en la Grèce, les marchés l’ont perdue lors du scandale des comptes publics grecs (et surtout du non-soutien explicite de l'UE). En effet, pour entrer dans l’Union Européenne et respecter les différents traités en vigueur, la Grèce a eu recours à des techniques financières pour gonfler le PIB et relativiser l'importance du déficit. Cela lui a permis de prolonger son rythme de vie bien au dessus de ses moyens ; on pourrait aussi parler de la dette privée qui augmente mais qui reste relativement faible en comparaison des autres pays de l’UE. 
Le gouvernement reconnaît avoir sous-estimé son déficit public 2009 de moitié (plus de 13% contre 6% dans les estimations) mais aussi que la dette publique allait croître quasiment autant en 2010 dans une conjoncture de croissance négative. Pourtant, en réalité, la Grèce reste une économie dynamique mais elle est plombée par une économie souterraine très importante (environ 25% de l’économie) et d’un système fiscal peu efficace.


En janvier 2010, la Grèce se refinance pour 7 milliards d’euros. A ce moment, les marchés lui proposent jusqu’à 35 milliards d’euros mais le gouvernement trouve le taux d’intérêt trop élevé. Puis la situation s'aggrave suite aux décisions des agences de notation d’abaisser la note grecque (en décembre 2009 : BBB pour S&P et Fitch, A2 pour Moody’s ; le tout avec des perspectives négatives), les taux de la dette grecque en prend un coup. Toutefois, il ne s’agissait encore que des prémices.



2. L'œil du cyclone
De Janvier à Mars, la Grèce va tenter de calmer les marchés et de racheter sa confiance en annonçant des plans de réduction budgétaire et d’austérité. Le dernier plan en date prévoit, entre autre, un gel des salaires, une augmentation de la TVA (+2%), l’augmentation de la fiscalité sur certains produits (tabac, alcool, essence,…), un allongement des retraites (53 à 60 ans dans le privé et 53 à 67 ans pour les fonctionnaires).

Mais cela ne suffira pas et les nouvelles se propagent très rapidement : la Grèce a mentie sur ses comptes, la croissance sera négative (-2% en 2010 voire pire encore), la charge de la dette (l’intérêt versé) consommera environ 6-7% du PIB, les déficits seront élevés, le plan d’austérité n’augure rien de bon pour l’avenir…et lors de la prochaine échéance, le 15 mai, la Grèce devra rembourser 8,5 milliards d’euros.

Les notes de la dette publique grecque sont abaissées et rabaissées encore (BB+ pour S&P, BB- pour Fitch, A3 pour Moody’s), particulièrement en avril, où les obligations grecques entrent dans la catégorie spéculatives. D’un point de vue légal, certains fonds ne peuvent donc plus en acheter.

Les taux d’intérêt vont alors atteindre des sommets : en mai, ils dépassent 12% pour les emprunts à 10 ans et 18% pour les emprunts à 2 ans (à titre de comparaison, l’Allemagne est à environ 3%). La dette grecque devient une des plus dangereuses au monde.



3. Les blocages
La Grèce est en difficulté et demande de l’aide. En tant que Pays-Membre de l’Union Européenne, une demande d’aide au FMI aurait pu laisser courir de nombreuses interprétations. Elle se tourne donc vers ses partenaires européens.

Mais les négociations ont trainé pour plusieurs raisons :
  -  D’un point de vue législatif, rien n’est prévu dans les textes européens en cas de crise d’un État-Membre. Le possible recours devant la cour constitutionnelle a en effet pesé sur les décisions.
  -  D’un point de vue économique, les pays estiment qu’il y a d’autres priorités,
  -  D’un point de vue politique, l’Union Européenne manque cruellement de solidarité comme je l’ai déjà indiqué dans cet article.
  -  L'Allemagne, le pays le plus important de l’UE, a fait d’importants efforts depuis 1989 pour le devenir (cf. l'article sur le modèle allemand). Voulant évitant toute dérive dans la zone Euro, elle ne voudrait pas que le cas grec ne se généralise. En plus de cela, Angela Merkel se devait d’être très attentive à l’opinion publique en vue des élections très importantes du 9 mai en Rhénanie du Nord-Westphalie (qu'elle a perdu malgré tout).



4. Les scénarios de sortie de crise
Les scénarios ont alors fusés : sortie de l’Euro, vente en nature de la Grèce, dévaluation de l’Euro, rééchelonnement, défaut de paiement,…

Certes une sortie de l’Euro aurait permis à la Grèce de restaurer la drachme et de la dévaluer, permettant d’une part de rembourser en monnaie de singe et d’autre part d’accroitre sa compétitivité. Toutefois, les conséquences seraient dramatiques car la dette publique grecque resterait libellée en Euros et que les taux d'intérêt monteraient en flèche! Sans compter le coup que cela porterait à l’Union Européenne.

Le scénario d’une vente en nature de la Grèce (vente d’îles, de terrains, de ports, de monuments,…) n’est ni concevable, ni acceptable bien que des pays se montrent intéressés.

Sachant qu’une dévaluation de l’Euro relèverait du mythe (car la BCE ne se fixe que sur l’inflation) et la France et l’Allemagne n’auraient jamais accepté un défaut de paiement d’un État-Membre, il semblait évident que l’UE allait intervenir. Restait à savoir quand, ce qui laissait possible le scénario d’une restructuration de la dette.



5. Et pour 750 (800) milliards de plus…
Le 10 mai 2010, l’UE se met enfin d’accord sur un plan de soutien. Il comporte plusieurs étages:
  •  La commission européenne : rapidement mobilisable, ce fonds sera de 60 milliards d’euros + 50 milliards (au départ réservé pour les non-membres de la zone Euro) soit 110 milliards.
  •  Les États-Membres : ce sera des prêts et garanties jusqu’à un montant de 440 milliards d’euros. Ce fonds demande plus de temps pour être mobilisé car il demande une rectification de la loi de finances des pays s’engageant.
  •  Le FMI sera aussi de la partie et pourra apporter des prêts jusqu’à un montant de 250 milliards.
  •  La BCE pourra également racheter des titres et donc faciliter le refinancement d’Etats en difficulté.


Des précisions restent à être apportées quant aux modalités mais les effets sur les marchés ont été saisissants : remontée des cours de la bourse, chute des taux d’intérêts de la dette grecque et des pays du sud de l'Europe,...



6. Fin de l'histoire ?
Le risque d’un défaut de la Grèce à court terme est écarté. Mais qu’en est-il de la solvabilité à long terme ? On peut en effet se demander quelles seront les effets du plan d’austérité sur l’économie grecque. Certains experts parlent de cercle déflationniste avec une baisse auto-entretenue des prix et des recettes fiscales ou d’une récession durable.

Et puis n’oublions pas que l’Europe voit ses déficits publics gonfler, qu’elle traîne en termes de croissance et que les plans d'austérité n'y arrangent en rien. En cas de reprise rapide de la croissance dans le monde, cela pourrait apporter un coup dur au vieux monde car la demande entraînerait une hausse des prix (matières premières, pétrole,…). 
Un petit retour sur la plongée de l’Euro : début 2010, l’Euro s’échangeait contre 1,45 dollars contre 1,24 dollars le 14 mai. Ce n’est cependant pas le taux le plus bas que l’Euro a connu mais la conjoncture est différente aujourd’hui. On peut le percevoir de deux manières: une reprise mondiale soudaine pourrait freiner encore plus la reprise européenne à cause de l'augmentation du prix des matières premières. Mais on peut quand aussi penser que le gain en compétitivité sera supérieur aux coûts.

 Par ailleurs, grâce à Goldman Sachs, on sait que les mécanismes utilisés par la Grèce pour maquiller ses comptes ont aussi été utilisé en Italie, en Espagne et au Portugal. Que pensez ?
Malgré le plan européen, si l'Espagne (ou l'Italie) devait se trouver en difficultés, l'Allemagne et la France devraient intervenir. Ce qui ne serait pas sans risques pour eux (dégradation de leurs notes,...) mais aussi pour l'UE dans son ensemble.


Cette crise remet sur le tapis les interrogations précédentes concernant la solidarité de l’Union Européenne mais aussi la viabilité du système économique et financier mondial (rôle des agences de notation, poids des spéculateurs,…). Mais cela montre aussi que le monde financier et économique a la main mise sur les autres.

La suite prochainement…