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samedi 28 janvier 2012

Acte 3 - Scénarios de sortie de crise en Europe et en France

La situation européenne risque de se prolonger encore plusieurs mois.
C'est ce que M. Aglietta appelle la gouvernance à petits pas (dans son livre Zone Euro : Éclatement ou Fédération) : un discours rassurant par là, une petite loi là par ici,...pour tenir le sprint.

Les critiques vont bon train sur les cigales. Pourtant les cigales, qu'elles soient des ménages ou des États selon les points de vue, n'existe que la présence des fourmis. Les deux comportements réunis sont une des principales causes de la crise de l'Euro.
Plutôt que de parler de pacte de stabilité, de pacte de compétitivité, de règle d'or (loi constitutionnelle n'autorisant pas de déficit) ou de mise sous tutelle d’État, une législation sur les excédents et déficits extérieurs aurait été bien plus pertinente.

En mettant de coté cette possibilité qui a peu de chance de voir le jour et une éventuelle dévaluation globale de l'Euro, trois principaux scénarios de sortie de crise à terme sont possibles, comme je l'ai indiqué dans le précédent article. 
Je pense qu'y revenir permettra de mieux préciser les conséquences de chacun d'entre eux.



I. Le statu quo
Cela va certainement être le cas plusieurs mois via la gouvernance à petits pas.

A long terme, cela pourrait déboucher sur une stagnation à la japonaise bien que la situation étant très différente chez nous, les conséquences seraient bien pires. Un des points cruciaux est la dépendance des marchés et des acteurs étrangers dans l'Union Européenne contrairement au Japon où la très grande majorité de la dette est détenue par les nationaux.

La zone Euro fonctionne quand il n'y a pas de remous mais tanguent dangereusement dès qu'il y a des vagues. C'est la leçon qui aurait du être tiré du Système Monétaire Européen (SME), ancêtre de l'Euro, qui a volé en éclat au début des années 90.
En imaginant que les gouvernements arrivent à tenir l'Euro pendant quelques années, on pourrait revenir à un statu quo avec peu de croissance et moins de volatilité. Avant la prochaine crise... 

  

II. Le Fédéralisme
Il y a quelque temps, cette solution me paraissait prometteuse.
Toutefois, en réfléchissant au budget européen qu'il faudrait dégager pour que cela fonctionne, il devient de plus en plus difficile d'y croire. Il faudrait au bas mot passer d'environ 1% de PIB (budget européen actuel) à plus de 40% (comme les États-Unis ou l'Allemagne). Ce qui paraît très peu probable.

Les Etats devraient alors s'engager à abandonner du pouvoir national en faveur des institutions européennes. Difficile d'y croire devant l'absence de volonté des gouvernements d'aller dans ce sens et la montée des extrémismes politiques. 

Les alternatives au fédéralisme serait soit les Eurobonds (mécanisme de financement des Etats en difficulté par une garantie de tous les Etats membre afin de faire baisser les taux d'intérêt), soit le financement en direct par la Banque Centrale Européenne (BCE). 

1. Les Eurobonds
 Sur la première mesure, on peut se demander quelle serait la notation donnée aux Eurobonds compte tenu des garants...Difficile à estimer mais vraisemblablement pas la meilleure note (moins de A, certains économistes annoncent du CCC). Ces Eurobonds feraient monter le taux d'intérêt des pays "vertueux" ce qui risque de ne pas passer. Et puis, la question de l'aléa morale serait de mise : pourquoi chercher des solutions quand on sait qu'on sera couvert par les autres?

2. Le rachat direct de la dette publique par la BCE
La monétisation de la dette publique est un sujet hautement tabou car la Banque Centrale Européenne se veut indépendante et uniquement garante de la stabilité des prix. Constitutionnellement, l'Allemagne ne pourrait accepter un tel engagement de la BCE.
Cela dit, si la BCE intervenait directement dans l'achat de la dette publique, cela permettrait au moins de donner du temps pour trouver des solutions aux problèmes structurels de la zone. Et puis, l'Euro serait dévalué malgré lui, ce qui soulagerait la plupart des États-membres mais qui ne plairait pas vraiment à l'Allemagne.



III. Un éclatement partiel ou complet
De nombreux sous-scénarios sont ici possibles : retour aux monnaies nationales, passage d'une monnaie unique à une monnaie commune+monnaie nationale, création de plusieurs zone Euro à vitesses différentes, création monétaire nationale (via le trésor public ou via un fonds d'un ou plusieurs gouvernements par exemple)...On peut imaginer qu'une telle explosion sera assujettie à des défauts partiels ou des restructurations.
A court terme, ce serait un ralentissement mais dans 5 ou 6 ans, une possibilité de sortir du marasme actuel comme cela a été le cas pour l'Argentine.
Dans tous les cas, cela signifie la disparition progressive des pays européens au plan international. 

1. Éclatement par le bas
Il est souvent évoquée la solution d'une sortie forcée ou volontaire des "mauvais élèves" de la zone Euro. On peut restructurer une dette à 50 ou 70%...mais si l'on ne corrige pas l'origine du problème, les faits vont se répéter indéfiniment. 

Ainsi, il faut résoudre les divergences de balances commerciales, et plus largement de balances de paiement, pour les cigales (mais aussi pour les fourmis).
Dans le cas de la Grèce par exemple, une restructuration un défaut partiel mais massif de la dette ne résoudrait pas son problème structurel : compte tenu de son économie (tourisme, exportations majoritairement en dehors de la zone Euro,...), cela ne ferait que retarder le pire. L'équilibre budgétaire ne serait pas au rendez-vous.
Comme les États-membres ont perdu l'outil monétaire (pour dévaluer en l’occurrence), la seule option restante pour retrouver une compétitivité à l'international est l'austérité et la déflation. Or, cela crée un profond mal-être social aggravé par des temps d'adaptation : les salaires et les prestations sociales baissent dans un premier temps, puis les prix baissent bien après. La consommation intérieure est touchée en premier, ce qui en affecte la croissance et dégrade le ratio dette publique/PIB.

Il existe cependant une autre option, de plus en plus évoquée, qui est la sortie du pays de la zone Euro combinée à un défaut partiel. A la clé, une dévaluation de la monnaie nationale qui crée une compétitivité quasi-instantanée (contrairement à la déflation). 
Rien n'est prévu dans les traités mais on peut se demander quelles en seraient les conséquences? 
Pour l’État sortant, ce serait de grandes difficultés à court terme mais un retour à la croissance quelques années plus tard. Ce n'est pas la panacée mais la dévaluation est moins douloureuse socialement que l'austérité : tout baisse en même temps.
Pour la zone Euro en elle-même, une telle exclusion créerait un véritable flou sur son avenir: difficile de dire ce qui se passerait sur les marchés et dans l'esprit des autres pays en difficulté.


2. Éclatement par le haut
 Certains esprits évoquent la sortie de l'Union Européenne de l'Allemagne. Cependant, l'Allemagne n'a aucun intérêt à en sortir.

D'une part, elle n'y trouve que des avantages : la stabilité monétaire de ses clients (européens), la libre circulation des biens, son poids sur l'appareil législatif européen (avec ses conséquences sur les lois nationales), un budget européen ridicule...Autant d'arguments protégeant ses accès aux marchés pour les industries allemandes. Bref, plus de dévaluation compétitive possible, moins de soutiens des États à leurs entreprises nationales et plus de règles.

D'autre part, la présence de l'Allemagne dans l'UE a fait baisser instantanément les taux d'intérêts d'emprunt de tous les pays de l'UE. Ces facilités d'emprunt n'ont pas favorisé la recherche de compétitivité mais ont favorisé le crédit pour acheter allemand. Toutefois, si l'Allemagne sortait seule aujourd'hui, il est évident que les taux d'intérêts de tous les pays de la nouvelle Union grimperaient en flèche et que cela créerait des difficultés considérables. Une sortie de l'Allemagne demain ne serait pas très bénéfique non plus pour ses partenaires à l'instant T. 



IV. Et pour la France?

1. Prendre exemple sur l'Allemagne
En tendant l'oreille, il semblerait que la solution miracle serait la transposition du modèle allemand en France.

Dans le marasme actuel et après une hausse de la TVA réduite de 5,5% à 7%, la presse annonce aujourd'hui le taux normal de TVA serait dans le collimateur : il passerait de 19,6% à 21,2% ! Encore une hausse des prélèvements de type proportionnel.
Cela rejoint le discours de certains économistes demandant une hausse des profits des entreprises pour créer les investissements de demain et les emplois d'après-demain. Cela rejoint la volonté d'adopter le modèle allemand : baisser le coût unitaire du travail en compensant par une hausse des impôts et taxes sur les salariés et consommateurs.
Ce qu'on oublie, c'est qu'en Allemagne les entreprises s'étaient engagées en retour à conserver les emplois en Allemagne.

Si la hausse de la TVA en France se confirme en contrepartie d'une baisse des charges sociales, il faut espérer un vrai accord et un engagement des entreprises françaises. Sinon, le résultat ne sera qu'une déformation de la valeur ajoutée au profit des actionnaires et des dirigeants - un peu comme la baisse de la TVA dans la restauration. On en serait donc au même point...et même pire car on aurait détériorer la consommation intérieure (= baisse de la croissance) sans réelle amélioration de la compétitivité à long terme...
Dans tous les cas, il n'est pas dit non plus que le moment soit bien choisi car à court terme la croissance en pâtira, ce qui veut dire soit de nouvelles hausses d'impôts pour compenser le manque à gagner, soit de nouvelles tranches dans les dépenses et emplois publics.
Encore une décision qui risque de ne pas rassurer les agences de notations (à court terme) et voir la note française dégradée à nouveau.

De grandes questions sont à se poser sur la transposition du modèle allemand en France. D'une part, la situation démographique est très différente entre les deux pays. D'autre part, cela ne fonctionne qu'en période de croissance économique. Cela implique également qu'une minorité de pays applique cette politique : si tout le monde taille dans les charges des entreprises en pénalisant la consommation de l'autre côté, qui va consommer après? A ce petit jeu, ce sont les plus petits pays qui gagneraient.

Enfin, on sait également que les pays plus industrialisés attirent plus facilement d'autres industries que ceux qui sont en perte de vitesse.

Au-delà, j'ai même un doute sur l'application du modèle allemand en France du point de vue social : la cogestion n'a rien à voir avec nos discussions syndicat-entreprise et le modèle de protection français nous est cher (dans tous les sens du terme).
Les délocalisations dans l'Hinterland (l'Europe de l'Est) ou dans d'autres pays à salaires plus bas que les nôtres peu apporter une meilleure rentabilité des entreprises. Il y a des avantages et des inconvénients aussi bien pour l'entreprise que pour le pays d'origine de l'entreprise que pour le pays d'accueil.


2. D'autres pistes ?
Il est possible d'actionner plusieurs leviers.

L'un des plus grands dangers du chômage de longue durée se situe au niveau de l'employabilité et des niveaux de qualification.
Dans le même temps, à force de vouloir compresser les effectifs d'enseignants, on risque de créer des générations moins qualifiées pendant que les autres pays n'y vont pas par quatre chemins.
Au final, les classes populaires et moyennes auront davantage de difficultés à s'offrir des enseignements de qualité et des compétences dont on a tellement besoin.
Plus grave, c'est la disparition de l'ascenseur social dans un monde binaire où un minorité se trouverait dans une économie de rentier.


Or comment stimuler l'innovation, l'esprit d'entreprise et la recherche dans de telles conditions?


Il apparaît évident que l’État a un rôle fort à jouer.

En priorité, on devrait regarder en direction du politique, du social (économie solidaire et sociale, secteur associatif,...), de la recherche, de l'innovation, de la formation et de la montée en gamme.

En ce qui concerne les dépenses publiques, l'occasion serait bonne pour une réforme fiscale digne de nom. L'ouvrage de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez ("Pour une réforme fiscale") apporte de sérieux éclairages sur ce sujet. Il faudrait simplifier les prélèvements en France (une centaine d'impôts en France contre une cinquantaine en moyenne chez nos voisins) et le rendre plus progressif.
A situation exceptionnelle, moyens exceptionnels. Il ne faut pas passer un coup de rabot général mais évaluer l'utilité des dépenses et sélectionner celles à raboter.