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mercredi 26 février 2014

Les inégalités ont le vent en poupe

La crise n’a pas affecté tout le monde de la même façon. Au départ, les effets ravageurs ont bien été répercutés à l’ensemble de la population sous différentes manières : chômage, insécurité, perte de revenus ou de patrimoine, etc…

A partir de 2009, la donne a changé pour exacerber les inégalités et modifier le partage des richesses. Cette dynamique était déjà à l’œuvre depuis les années 70 mais une chose a changé : en parallèle, la perception de la situation est devenue radicalement différente en fonction des individus. En effet, pendant qu’une partie significative de la population ressentait un climat d’insécurité économique, une minorité avait le sentiment que « tout le monde » voyait ses revenus augmenter (par divers moyens) et qu’il était légitime, voire naturel, pour eux d’aller dans ce sens (et plus vite que les autres bien évidemment car ils estiment le mériter).




La hausse des inégalités

Selon l’observatoire des inégalités (ici), entre 2004 et 2010, le revenu annuel du dix-millième (0,01%) le plus aisé de la population française a augmenté d’un tiers (32,3%). Cela représente un passage d’un montant de 556 100 euros à 735 000 euros par an (avant impôts). Pour le centième (1%) le plus aisé, l’augmentation est moindre, mais de 10% quand même (de 81400 à 89400 euros annuel ou 7450 euros mensuel) !

Même si le revenu annuel avant impôt donne déjà un aperçu de la situation, il n’est pas très pertinent à mon sens car ne prenant pas en compte le poids de la fiscalité et de la redistribution. Aussi, je préfère me référer au « niveau de vie » qui, pour sa part, intègre ces deux derniers. L’observatoire des inégalités (ici) nous informe alors qu’entre 2001 et 2011, les 10% les plus riches ont bénéficié d’une hausse de leur niveau de vie de 16,4% tandis que les 10% les plus modestes ont vu leur niveau de vie stagné (+0,9%). L’infographie ci-dessous me paraît assez évocatrice :



En observant cette première décennie, les effets de la crise sont intégrés mais on en rate l’essentiel. Je m’explique : la crise a accentué le phénomène mais il est impossible d’analyser ses effets délétères sur la base d’une moyenne sur 10 ans. Or, depuis 2008, les plus modestes accusent le coup du chômage, du gel de l’avancement et des salaires : leurs revenus ont baissé (-4,3% entre 2008 et 2011 pour les 10% les plus modestes). A l’autre extrémité du spectre, le revenu des plus aisés a progressé (+3,2% pour les 10% les plus aisés sur la même période)… Les divergences de masse de revenus sont substantielles comme le fait tristement remarquer l’observatoire des inégalités : les écarts dans le partage du gâteau se chiffrent en milliards (ici et ici).

Dans un tel contexte, plus on a les moyens et plus on en aura. Les classes moyennes et modestes ont souffert (et souffrent encore) de la crise alors que les plus aisés voient leurs revenus et leurs patrimoines se multiplier. Selon le magazine Alternatives Économiques (numéro 333 de mars 2014) :
« Ce club des 5 [note : les 5% les plus aisés de la population] a capté à lui seul 53% de la faible  progression des revenus de l’ensemble des ménages intervenue depuis le début de la crise et 79% de celle des 10% les plus riches. »

Dans le graphique ci-dessous, j’ai représenté l’évolution des plus grandes fortunes françaises selon le classement du magazine Forbes. Vous constaterez qu’en excluant la famille Bouygues (la concurrence avec Free et la mauvaise passe de l’immobilier expliquent la « dégringolade » toute relative), le ciel est bleu pour les milliardaires :



Cela m’a amené à représenter la répartition des revenus et le patrimoine en prenant un échantillon représentatif de la population. Voilà ce que nous obtenons :




Deux points de vue

Cet âge d’or des classes aisés entre pourtant en contradiction avec la pression fiscale que ces dernières décrivent avec douleur. Pourquoi cela ? Quelque chose aurait-il changé depuis la crise ? Je pense que cela s’explique par la façon de percevoir la société en fonction du niveau de vie.

Dans mon métier, il se trouve que j’ai autant affaire avec des employés/ouvriers qu’avec des investisseurs aux moyens extraordinaires.

D’un coté, la classe modeste/moyenne craint le chômage, constate que les prix augmentent mais pas les revenus. La grande enquête de France Télévision avec « Génération Quoi ? », réunissant 210 000 jeunes de 18 à 34 ans, illustre ce sentiment à travers les termes suivants : génération sacrifiée, désenchantement, la galère du quotidien, le déclassement, la frustration, l’absence d’avenir, l’envie de se révolter,…

De l’autre, les cadres supérieurs/investisseurs/dirigeants trouvent que tout le monde gagne de plus en plus d’argent et que, eux aussi, ont le droit d’en profiter. Ils estiment qu’ils le méritent, qu’ils travaillent dur et qu’ils doivent s’accorder un meilleur traitement que les autres (voire l’exiger). Enfin, ils ne se considèrent pas comme des privilégiés car ils ont le sentiment que tout le monde voit ses revenus augmenter (par le travail et/ou les largesses de l’État).
Pour bien comprendre, il est important de préciser qui sont les référentiels de cette catégorie : l’entourage direct, les proches, les collègues, les voisins…bref des gens avec le même niveau de vie, quand il n’est pas supérieur. Or, une fois nos besoins primaires assurées, nous entrons dans une logique du désir et de besoins relatifs aux autres. Nous nous habituons assez rapidement à notre nouveau niveau de vie ; avoir plus d’argent a tendance à créer de nouveaux désirs  et nous invite à se comparer à un niveau de référence plus élevé : la classe au dessus. En présence d'inégalités, les individus essaient d'égaliser les niveaux de vie, surpasser ses paires et tenter de se rapprocher de la classe supérieure.


Edit : On peut dire que c'est un sujet d'actualité : le FMI vient de reconnaître que les inégalités pouvaient nuire à la croissance (rapport du FMI ici le 26/02/2014). La conclusion est plutôt éloquente :
"En dehors de considérations éthiques, politiques ou sociales plus largement, l’égalité qui en résulte [note : des politiques publiques de redistribution] semble avoir contribué à une croissance plus rapide et plus durable.
En termes clairs, il ne semble guère établi qu’il existe un «arbitrage fondamental» entre redistribution et croissance. Dans bon nombre de cas, il semble donc improbable qu’il soit justifié de ne rien faire face à des inégalités élevées."

mercredi 12 février 2014

Quand les libéraux partent en croisade

Dans le dernier livre d’Agnès Verdier-Molinié : « 60 milliards d’économies » (aux éditions Albin Michel), la directrice de l’IFRAP (Fondation pour la Recherche sur les Administrations et les Politiques publiques) souhaite mettre en évidence les dérives de l’État et les économies à réaliser. Toutefois, j’ai été moins surpris par les exemples que par l’idéologie de son discours.

Il m'arrive de suivre les interventions de l’auteur et je savais donc à quoi m’attendre en achetant l’ouvrage : du libéralisme en veux-tu, en voilà. Mangeant à tous les râteliers, on peut dire que j’ai été servi ! Le ton est d’ailleurs donné dès les premières pages :
« Dépensier et aveugle, ce système [français] aspire la richesse du pays, étouffant toute création de croissance par les entreprises ».





La haine des fonctionnaires

A lire Agnès Verdier-Molinié, le fonctionnaire serait une sorte de parasite de la société, fainéant, archaïque, peu enclin à faire son travail, prêt à tous les coups bas et n’ayant cure des usagers. Vous trouvez que j’exagère ? C’est pourtant ce portrait caricatural qui est brossé sur plus de 200 pages…Quelques anecdotes, des rumeurs, des ouï-dire,…voilà comment l’auteur espère convaincre le lecteur. Résultat : la mayonnaise ne prend pas.
A vrai dire, j’ai la petite idée que les acheteurs de ce livre veulent de la satire administrative, peu importe la cohérence et la logique ; sur le coup, ils en ont pour leur argent.

Ne pouvant citer l’intégralité du livre, j’ai donc choisi, pour vous, une liste de perles rencontrées au cours de ma lecture :
  • Des fonctionnaires surchargeant volontairement les ministres dans le but de les déborder,
  • « Le statut de la fonction publique […] ce monument national est devenu un véritable boulet pour le pays […] un statut désuet condamné [...] »
  • « Le rêve de beaucoup d’agents publics, c’est de n’avoir plus aucun usager face à eux. Et pour y parvenir tous les moyens sont bons » comme « monter en grade et en échelon ».
  • « Les services publics semblent avoir oublié qui ils sont censés servir »
  • Le besoin de cacher les droits et noms des chargés de dossiers aux usagers pour éviter les recours administratifs,
  • Le refus d’être évalué par le privé.

On se croirait dans un pamphlet...Je me demande d'où vient cette haine? Aurait-elle patienter trop longtemps au téléphone lors d'une demande de renseignement? Ou un conducteur de bus lui aurait-il refusé l'arrêt entre deux stations?

A la question « combien gagne un inspecteur des finances débutant ? », Agnès Verdier-Molinié répond 50 000 euros par an. Brut ? Net ? Ce n’est pas précisé. En réalité, garder ce flou donne une impression de démesure alors que la réalité en est tout autre : la rémunération nette annuelle d’un inspecteur des finances publiques débutant (sans qualification particulière et sans enfants) est de  27 630€ en Ile de France. Cela représente environ 35 000€ brut…Loin des  50 000 annoncés. De plus il faut avouer qu’un inspecteur des finances publiques va rapporter bien plus qu’il ne coûte : l’auteur a pris le soin de ne pas évoquer ce point pour ne pas se discréditer.

Agnès Verdier-Molinié est connue pour ses opinions ultralibérales et sa haine de l’État mais je suis surpris par tant de mépris envers les fonctionnaires.



Transformer l’État en entreprise, soumis aux entreprises

Pour l’auteur, l’État doit se dégager de nombreux services publics et fonctionner comme une entreprise : les services publics doivent être évalués par des notions de coût, de prix et de rentabilité. Cela laisse penser que les entreprises privées sont des exemples en termes de gestion, de rationalité, de rentabilité et d’efficience. Ce n’est pas vraiment le cas. Étant Contrôleur de Gestion et Responsable Financier, je connais bien le terrain : malgré des études de coûts précises, les décisions prises ne sont pas toujours les meilleures. A vrai dire, lors des réunions de comité de direction, c’est souvent l’instinct et les impulsions qui provoquent la décision finale. 
J'ai toutefois apprécié l'anecdote de l'agent qui rangeait ses dossiers dans des boîtes à chaussures...Il s'agit d'un cas sur 5,5 millions de fonctionnaires, cela me semble plausible. J'ai d'ailleurs déjà vu ce type de "rangement" dans le privé aussi donc pourquoi pas?

Continuons. Pour l’auteur, il faudrait transformer les décideurs publics en « vrais gestionnaires, négociateurs hors pairs », alors que même dans le privé, les dirigeants d’entreprise ne possèdent que rarement de telles qualités. On pourrait écrire des livres sur ce qu'est un bon dirigeant/manager. Ce n'est pas pour rien qu'ils s’entourent d’une équipe de confiance où toutes les compétences seront mutualisées ; les décisions ne seront pas optimales pour autant. Je pourrais évoquer le paradoxe de Condorcet mais je préfère aller au-delà : les humains sont très sensibles à leurs émotions, instincts et humeurs ; nous ne sommes pas des homo œconomicus, que ce soit dans le public ou dans le privé.

Son parallèle avec la transparence dans les entreprises m’interpelle car l’intelligence économique, science qui a le vent en poupe en ce moment, est de protéger au mieux ses informations tout en accédant, si possible aux secrets des concurrents. De la même manière, on pourrait aussi parler des informations sociales et financières (difficultés, licenciements,…) que les salariés n’apprendront jamais ou trop tard.
Peut-on vraiment parler de transparence dans les entreprises ?

Plus loin dans le livre, la directrice de l’IFRAP évoque sa volonté de voir les contribuables arbitrer les dépenses publiques. En lisant ses lignes, Agnès Verdier-Molinié donne l’impression que l'organisation des dépenses publiques devrait être l’œuvre de citoyens éclairés ; cela dit, j’ai surtout l’impression qu’elle veut donner les manettes aux grands acteurs du privé car il n’est évidemment pas possible que 66 millions de personnes définissent ensemble un  budget d’État. Dans notre société, ce serait les plus puissants et/ou les plus riches qui prendraient alors les décisions, ou en d'autres termes : une oligarchie.
Selon ses propos, il faudrait même aller plus loin : transformer le couple usager-contribuable en clients dans un monde concurrentiel. Car oui, elle le déclare fièrement : « tout est mieux qu’une société sans concurrence ». Le communisme soviétique a montré que ce modèle du tout étatique ne fonctionnait pas mais une société 100% concurrence ne ferait pas long feu non plus. 
Cette petite histoire du bien fondé de la concurrence et du privé, elle l’illustre avec les sociétés de transport. La poste aurait perdu face aux sociétés privées de transport : TNT, Adrexo, FEDEX et consorts, qui, eux, sauraient satisfaire leurs clients. 
Avis au lecteur de ce blog : je vous invite à forger votre propre opinion sur cette notion de client-roi-satisfait-des-services-de-transport en vous plongeant dans vos expériences personnelles avec les dites-compagnies ou à jeter un œil sur les forums relatifs aux mésaventures des internautes et de leurs colis…

De nombreux exemples laisse entrevoir des lacunes en management de l'auteur et/ou une certaine mauvaise foi. C’est le cas de son ras-le-bol envers les crèches fermant trop tôt, ce qui entraînerait des licenciements de mères de famille. Sa haine est dirigée vers les services publics mais elle ne remet pas en cause le mauvais manager qui n’aurait pas su concilier le travail avec la vie de famille de cette pauvre mère. Les entreprises ont compris qu'il fallait parfois ouvrir leurs propres centres d’accueil ou s'installer à coté des crèches : c’est la base du management que de motiver ses salariés et de les inciter à se donner à fond.Ce n'est pas toujours possible mais pourquoi remettre la faute sur le dos de l’État? En tant que libérale affirmée, pourquoi n'a-t-elle pas préconiser le développement des "nounous"?
On retrouve ce management archaïque dans son argumentation pour organiser la concurrence entre fonctionnaires. Elle s’insurge ainsi contre le refus de montrer du doigt les médiocres dans le public…Ce type de management, où tous les salariés sont en compétition les uns avec les autres, est en perte de vitesse depuis plusieurs années déjà. Comment espérer des synergies quand il est bien vu d’écraser ses collègues ?

En conclusion, elle se permet de réclamer davantage de partenariats privé-public (c'est-à-dire demander à l’État de sous-traiter une partie de ses activités au privé) ; après une telle démonstration de haine envers les services publics, cela ne m’a même pas étonné. Elle ajoute même : « Le champ semble donc assez large pour des externalisations ». Après une lecture allant crescendo, cela ne m’a même pas fait sourciller (mais râler oui)…



Le libéralisme sauvage à toutes les pages

Une bonne partie du livre se résume à affirmer que les taxes sur le capital entraînent une fuite des investisseurs et une augmentation du chômage. Elle n’hésite pas à citer quelques chiffres pour effrayer le lecteur :
« Les statistiques sont claires : ce sont les 10% des contribuables les plus aisés qui participent à environ 40% de l’ensemble des prélèvements obligatoires. […]Sans ces riches, qui s’acquittera de ces montants ? »
En même temps, elle oublie de dire que ces 10% les plus riches possèdent la moitié du patrimoine français ou encore qu’ils reçoivent entre un quart et un tiers du niveau de vie cumulé par an ? Une petite illustration s’impose…Prenez dix personnes représentatives de la population française et voyons comment sont réparties les richesses :




Comme on aurait pu s’en douter, « la (fameuse) courbe de Laffer » a aussi été abordée avant d’ajouter que « trop d’impôt tue l’impôt ! ». Encore plus prévisible : aucune explication n’est apportée sur cette « fameuse courbe de Laffer ». Et pour cause : inspirée d’une simple hypothèse, elle n’a jamais été démontrée.
Reprenons trois illustrations précédentes et regardez les faits suivants : en France, les plus riches sont ceux qui se sont le plus enrichis (en rapport avec leurs revenus) depuis plusieurs années malgré le poids des prélèvements obligatoires qu’Agnès Verdier-Molinié trouve indécent.

L’auteur ne s’arrête pas et prend en exemple le coût, pour l'entreprise, d’un salaire annuel net de 31500 euros en France et en Allemagne pour montrer l’importance des charges françaises. C’est très astucieux de sa part car, en France, les exonérations se trouvent sur les bas salaires (jusqu’à 1,6 fois le SMIC). Vous l’aurez bien compris : le montant du salaire  choisi (31500 euros net annuel équivaut à 2,4 fois le SMIC) n’est pas un choix indifférent.

Cet amas de chiffres, presque scientifique, lui permet d’affirmer qu’il faudrait baisser les impôts sans quoi la France se viderait de sa matière grise, de ses riches. Et attention : ces exilés ne reviendraient jamais ! On se croirait dans un mauvais film catastrophe…Il ne manque plus que les zombies.

Enfin, pas mal de contradictions m’ont fait râler au fur et à mesure que je tournais les pages :
  • Offrir des plages horaires d’ouverture plus larges aux usagers mais réduire le nombre de fonctionnaires et leurs salaires,
  • Critiquer l’État comme étant le « Grand corps malade, déserté par ses éléments les plus brillants » mais insister pour supprimer les avantages dans la fonction publique et revenir au montant des primes de 2008,
  • Copier l’Allemagne et le privé sur la base de mauvais exemples [la gestion des enfants en Allemagne pour les mères (vive les Rabbenmutter et les 3K!), la transparence dans les entreprises,…],
  • Forcer la publication de toutes les données par l’État mais dissimuler certaines réalités fiscales compromettantes au libéralisme (comme le chèque émis par le trésor public pour Mme Bettencourt au titre du bouclier fiscal).


Tout cela m’amène à croire que son libéralisme tant voulu ne concerne que l’État…une sorte d’inquisition antiétatique. Et en y réfléchissant, les salariés et les fonctionnaires aussi doivent être sous contrôle privé…
A l’inverse, les entreprises et riches contribuables peuvent cacher des informations et décider sans avoir (donc) toute l’information disponible…
Drôle de libéralisme que voilà : un libéralisme à sens unique ? Un libéralisme oligarchique ?

mercredi 5 février 2014

La Sortie de l'Euro - le retour

Depuis quelque temps, la sortie éventuelle de l’euro devient un débat de plus en plus ouvert.




Un débat médiatisé

La presse et les médias n’hésitent plus à en parler comme l’atteste les dernières couvertures, articles et émissions. C’est le cas par exemple de « Marianne » et la couverture de son numéro de février 2014 affichant « le débat interdit : sortir de l’euro ? ». « L’Expansion » dans le mensuel de février, a également publié un article de Kai Konrad, économiste allemand proche du ministre allemand de l'économie, intitulé : « le projet européen doit être sauvé, pas forcément l’euro ». On pourrait également évoquer le débat arbitré par Yves Calvi dans « Mots Croisés » du 03 février 2014 entre Marine Le Pen et Pierre Moscovici autour du pacte de responsabilité et de l’Euro. Pour terminer, je citerais l’émission radio de Morandini sur Europe 1, le 03 février également, qui portait un nom choc : « Hausse des Prix, crise économique : et si on se débarrassait de l’euro pour revenir au franc ? ».


Il était une fois…un sondage d’Ipsos

Le 21 janvier, l’enquête IPSOS/STERIA publie des chiffres plutôt alarmants sur la défiance des français vis-à-vis de l’Union Européenne et de l’Euro. C’est ainsi que 1 français sur 3 serait favorable à un retour au franc :




Effondrement des investissements étrangers en France

La CNUCED (la branche développement des Nations Unies) a récemment publié un rapport indiquant que les investissements étrangers en France se seraient effondrés de 77% sur la simple année 2013. Étonnamment, la quasi-totalité des médias, a repris ce pourcentage, pourtant indiqué succinctement en bas de page. J’ai essayé de reconstruire un graphique de l’évolution des IDE (Investissements Directs à l’Étranger) entrants pour quelques pays européens :


Mise en garde 1 : vous pouvez constater l’extrême volatilité des IDE. La baisse des IDE (entrants) atteint par exemple -98% pour la Suisse en 2013. Compte tenu de l’exceptionnelle élasticité des IDE (pour la CNUCED), je pense qu’il faut prendre ces chiffres avec des pincettes ; on pourrait même se demander si de telles données présentent une quelconque utilité. La principale explication à ces écarts est l'importance des flux entre maisons-mères et filiales dans les multinationales. Les prêts, emprunts, achats et ventes internes, royalties et consorts doivent représenter la majorité des IDE entrants et sortants ; ces opérations financières n'ont pourtant pas grand chose à voir avec l'attractivité des pays.

Mise en garde 2 : les données précédentes à l’année 2013 sont disponibles dans la base de données de la CNUCED. Les chiffres pour 2013 sont, quant à eux, issus du court, mais maintenant célèbre, rapport « GLOBAL INVESTMENT TRENDS MONITOR 28/01/2014 » (téléchargeable ici). Je me permets d’émettre quelques doutes sur la véracité de certains chiffres. Prenons un exemple tiré du rapport, je cite:
« Spain (+37% to US$37.1 billion) and Italy (from US$0.1 billion to US$9.9 billion) »
Or, en faisant mon petit calcul de pourcentage pour les IDE entrants en Espagne en 2012 et 2013, j’obtiens +34% entre 2012 et 2013 (et non +37%). Pour l’Italie, c’est pire : dans le rapport, il est question d’IDE d’une valeur de 0,1 milliards de dollars en 2012 alors que l’historique de la CNUCED indiquent 9,625 milliards pour 2012 ! On pourrait penser que mes formules sont fausses – j'y ai songé ; pourtant, en suivant la même procédure pour la France et l’Allemagne, je retombe bien sur les pourcentages indiqués dans le rapport. Pourquoi la formule fonctionne pour certains et pas pour d’autres ?
Avouez que c’est assez étrange ! Et je ne suis pas le seul à le dire sur la toile.

Cela dit, de nombreux observateurs ont repris ce chiffre de -77% pour justifier que la France va très mal, qu’elle a perdu sa compétitivité (soit à cause de l’Euro, soit des 35 heures, soit des réticences des syndicats à accepter des baisses de salaires, soit du gouvernement et du taux de prélèvement…chacun y va de sa petite explication).



Perte des parts de marché et salaires trop élevés

Deux autres aspects sont souvent évoqués dans les médias : la France perd des parts de marché et le coût des salaires serait trop élevé.

Les Parts de marché

Pour le premier problème, j’ai réalisé un petit graphique mettant en parallèle le taux de change franc/dollar puis euro/dollar avec la part que représente les exportations françaises au niveau mondial (le tout en base 100 de 1999, c'est-à-dire à l’introduction de l’Euro). 
Sur cette représentation, j’admets avoir utilisé une astuce afin d’éviter une explosion (exagérée ?) du taux de change. Je m’explique. Lorsque l’Euro s’est imposé, il valait plus de 6,5 Francs. De ce fait, la courbe du taux de change devrait théoriquement bondir de 100 à plus de 600 lors du passage à l’euro mais vous remarquerez que la transition est neutre (à 100). C’est l’intérêt de partir d’une base 100 en 1999 et de séparer la courbe FRF-USD et EUR-USD : cela nous permet de mieux nous concentrer sur ce qui se passe après le passage à l'Euro. Trêve de bavardages techniques, voici le graphique, illustration parfaite d'une crise des ciseaux :



Le coût des salaires

Voilà un  sacré morceau qui aura fait couler de l’encre. Encore une fois, une petite représentation graphique s’impose : le CSUR (Coût Salarial Unitaire Réel) français et allemand, c'est-à-dire le coût des salaires intégrant la productivité du travail [si un salarié produit 1% plus vite et que son salaire augmente de 1%, le CSUR ne bouge pas, toutes choses étant égales par ailleurs] dans l’industrie manufacturière (soumise à la concurrence internationale) :


Les salaires ont « légèrement » augmentés en France, c’est une réalité. Mais est-ce un méfait ? Je ne crois pas.
Par contre, on remarque que les salaires allemands ont baissés suite à l’introduction de l’Euro et aux réformes Hartz. Ce paquets de loi a entraîné une baisse des salaires en Allemagne par divers moyens (mini-job précaires et peu taxé, resserrement des bénéfices de l’assurance-chômage à travers une baisse des indemnisations et le passage de 32 à 12 mois d’indemnisation). 
En d’autres termes, le gouvernement allemand a fait pression sur les salaires tandis que la plupart des autres pays de la zone Euro (dont la France) ont continué à revaloriser les salaires et le pouvoir d’achat. 
Rappelez-vous que l’introduction de l’Euro empêche toute dévaluation de la monnaie, ce qui signifie que nous sommes dans un contexte de stratégie allemande non-coopérative (ou dumping) dont le graphique précédent est assez évocateur.



Une brèche médiatique

Certaines pointures étaient déjà connues dans la lutte contre l’Euro ; c’est le cas par exemple de  Jacques Sapir ou d'Emmanuel Todd. Mais de nombreux économistes, banquiers et politiciens ont profité de la brèche médiatique pour s’y infiltrer.  Certains le font à titre purement opportunistes mais, pour d’autres, c’est une sorte de révélation. Ils crient au scandale car les promesses de l’Euro de la croissance, de l’emploi et de la stabilité ne se sont pas réalisées.



Que pensez de tout ça ?

En Économie, il n’y a pas de certitudes.
Pour les politiques, on reste encore dans le déni : « la sortie de l’Euro n’est pas envisageable ». Quelques têtes souhaitent bien ouvrir le débat mais, à les écouter, on se croirait dans le mythe de la boîte de Pandore.

D’un point de vue des médias, la sortie de l’euro devient maintenant une option réelle et j’ai l’impression que le débat s’oriente de plus en plus sur les conditions techniques comme l’avenir de la dette publique, l’inflation ou l’internationalisation des capitaux.

Les économistes restent partagés sur la question avec deux principaux camps :  
  • Les partisans de l’économie de marché libre dans un monde ouvert qui trouvent que l’Euro nous offre la paix et des conditions idéales pour le commerce. Le simple fait d’émettre la possibilité d’une dissolution de l’Euro, c’est défier la confiance des marchés et s’attirer la colère foudroyante de nos partenaires commerciaux. Pour eux, il ne faut pas jeter le bébé (l’Euro) avec l’eau du bébé et renforcer les instances européennes.
  • Les opposants qui pensent que la zone Euro n’est pas une ZMO (Zone Monétaire Optimale), que les promesses n’ont pas été tenues et qu’il faut arrêter le massacre. La crise ne serait pas terminée et un énième épisode serait à prévoir en l’absence de réactions politiques.
  • Il existe bien une troisième voie : celle d’un Euro du Nord et d’un Euro du Sud. C’est envisageable mais si le projet de l’Euro se révèle être un échec, pourquoi en créer deux nouveaux ?

Et bien évidemment, chacun des parties en présence y va de ses chiffres, ce qui prouve encore qu’il n’y a pas de solution miracle. Quitte à paraître peu ouvert d’esprit, il me semble que les solutions à la crise de l’Euro sont aujourd’hui au nombre de deux : l’éclatement ou la fédération (comme le titre d’un livre de Michel Aglietta). Il faudra bien trancher.

Il est important de noter que de nombreuses banques ont prévus des scénarios de sortie de l’euro…au cas où. Mieux vaut anticiper l’inévitable…