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mercredi 26 février 2014

Les inégalités ont le vent en poupe

La crise n’a pas affecté tout le monde de la même façon. Au départ, les effets ravageurs ont bien été répercutés à l’ensemble de la population sous différentes manières : chômage, insécurité, perte de revenus ou de patrimoine, etc…

A partir de 2009, la donne a changé pour exacerber les inégalités et modifier le partage des richesses. Cette dynamique était déjà à l’œuvre depuis les années 70 mais une chose a changé : en parallèle, la perception de la situation est devenue radicalement différente en fonction des individus. En effet, pendant qu’une partie significative de la population ressentait un climat d’insécurité économique, une minorité avait le sentiment que « tout le monde » voyait ses revenus augmenter (par divers moyens) et qu’il était légitime, voire naturel, pour eux d’aller dans ce sens (et plus vite que les autres bien évidemment car ils estiment le mériter).




La hausse des inégalités

Selon l’observatoire des inégalités (ici), entre 2004 et 2010, le revenu annuel du dix-millième (0,01%) le plus aisé de la population française a augmenté d’un tiers (32,3%). Cela représente un passage d’un montant de 556 100 euros à 735 000 euros par an (avant impôts). Pour le centième (1%) le plus aisé, l’augmentation est moindre, mais de 10% quand même (de 81400 à 89400 euros annuel ou 7450 euros mensuel) !

Même si le revenu annuel avant impôt donne déjà un aperçu de la situation, il n’est pas très pertinent à mon sens car ne prenant pas en compte le poids de la fiscalité et de la redistribution. Aussi, je préfère me référer au « niveau de vie » qui, pour sa part, intègre ces deux derniers. L’observatoire des inégalités (ici) nous informe alors qu’entre 2001 et 2011, les 10% les plus riches ont bénéficié d’une hausse de leur niveau de vie de 16,4% tandis que les 10% les plus modestes ont vu leur niveau de vie stagné (+0,9%). L’infographie ci-dessous me paraît assez évocatrice :



En observant cette première décennie, les effets de la crise sont intégrés mais on en rate l’essentiel. Je m’explique : la crise a accentué le phénomène mais il est impossible d’analyser ses effets délétères sur la base d’une moyenne sur 10 ans. Or, depuis 2008, les plus modestes accusent le coup du chômage, du gel de l’avancement et des salaires : leurs revenus ont baissé (-4,3% entre 2008 et 2011 pour les 10% les plus modestes). A l’autre extrémité du spectre, le revenu des plus aisés a progressé (+3,2% pour les 10% les plus aisés sur la même période)… Les divergences de masse de revenus sont substantielles comme le fait tristement remarquer l’observatoire des inégalités : les écarts dans le partage du gâteau se chiffrent en milliards (ici et ici).

Dans un tel contexte, plus on a les moyens et plus on en aura. Les classes moyennes et modestes ont souffert (et souffrent encore) de la crise alors que les plus aisés voient leurs revenus et leurs patrimoines se multiplier. Selon le magazine Alternatives Économiques (numéro 333 de mars 2014) :
« Ce club des 5 [note : les 5% les plus aisés de la population] a capté à lui seul 53% de la faible  progression des revenus de l’ensemble des ménages intervenue depuis le début de la crise et 79% de celle des 10% les plus riches. »

Dans le graphique ci-dessous, j’ai représenté l’évolution des plus grandes fortunes françaises selon le classement du magazine Forbes. Vous constaterez qu’en excluant la famille Bouygues (la concurrence avec Free et la mauvaise passe de l’immobilier expliquent la « dégringolade » toute relative), le ciel est bleu pour les milliardaires :



Cela m’a amené à représenter la répartition des revenus et le patrimoine en prenant un échantillon représentatif de la population. Voilà ce que nous obtenons :




Deux points de vue

Cet âge d’or des classes aisés entre pourtant en contradiction avec la pression fiscale que ces dernières décrivent avec douleur. Pourquoi cela ? Quelque chose aurait-il changé depuis la crise ? Je pense que cela s’explique par la façon de percevoir la société en fonction du niveau de vie.

Dans mon métier, il se trouve que j’ai autant affaire avec des employés/ouvriers qu’avec des investisseurs aux moyens extraordinaires.

D’un coté, la classe modeste/moyenne craint le chômage, constate que les prix augmentent mais pas les revenus. La grande enquête de France Télévision avec « Génération Quoi ? », réunissant 210 000 jeunes de 18 à 34 ans, illustre ce sentiment à travers les termes suivants : génération sacrifiée, désenchantement, la galère du quotidien, le déclassement, la frustration, l’absence d’avenir, l’envie de se révolter,…

De l’autre, les cadres supérieurs/investisseurs/dirigeants trouvent que tout le monde gagne de plus en plus d’argent et que, eux aussi, ont le droit d’en profiter. Ils estiment qu’ils le méritent, qu’ils travaillent dur et qu’ils doivent s’accorder un meilleur traitement que les autres (voire l’exiger). Enfin, ils ne se considèrent pas comme des privilégiés car ils ont le sentiment que tout le monde voit ses revenus augmenter (par le travail et/ou les largesses de l’État).
Pour bien comprendre, il est important de préciser qui sont les référentiels de cette catégorie : l’entourage direct, les proches, les collègues, les voisins…bref des gens avec le même niveau de vie, quand il n’est pas supérieur. Or, une fois nos besoins primaires assurées, nous entrons dans une logique du désir et de besoins relatifs aux autres. Nous nous habituons assez rapidement à notre nouveau niveau de vie ; avoir plus d’argent a tendance à créer de nouveaux désirs  et nous invite à se comparer à un niveau de référence plus élevé : la classe au dessus. En présence d'inégalités, les individus essaient d'égaliser les niveaux de vie, surpasser ses paires et tenter de se rapprocher de la classe supérieure.


Edit : On peut dire que c'est un sujet d'actualité : le FMI vient de reconnaître que les inégalités pouvaient nuire à la croissance (rapport du FMI ici le 26/02/2014). La conclusion est plutôt éloquente :
"En dehors de considérations éthiques, politiques ou sociales plus largement, l’égalité qui en résulte [note : des politiques publiques de redistribution] semble avoir contribué à une croissance plus rapide et plus durable.
En termes clairs, il ne semble guère établi qu’il existe un «arbitrage fondamental» entre redistribution et croissance. Dans bon nombre de cas, il semble donc improbable qu’il soit justifié de ne rien faire face à des inégalités élevées."

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