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mercredi 30 avril 2014

Le Principe de Peter

Selon L. Peter et R. Hull, à force de promotion, nous sommes condamnés à atteindre notre "seuil d’incompétence". Ainsi, et sauf exception notable, n’importe quel poste est, ou sera, occupé par un incompétent. C’est ce qu’il sort de leur ouvrage intitulé "Le Principe de Peter » (aux éditions "Le Livre de Poche").


 

Plusieurs raisons au Principe de Peter


Un phénomène mécanique

Un individu compétent à un niveau A est promu à un niveau B, puis C…jusqu’à atteindre son seuil d’incompétence ; il n’aura alors plus de promotion.
Quel que soit le système économique ou politique en vigueur, la majorité des humains ont besoin d’une hiérarchie et seront enclins à grimper les échelons pour différents motifs (titre, argent, respect, reconnaissance, admiration, pouvoir,…). Les auteurs se réfèrent à Freud qui, d’un point de vue interne, expliquait ce comportement par le besoin de changer de situation (devenir le père, la mère,…) ou à Potter, qui raisonne d’un point de vue externe, pour affirmer que nous voulons passer devant les autres et obtenir un « avantage ». Selon ce dernier, tous les moyens seraient bons pour arriver à nos fins.

Une limite innée ?

Certains d’entre nous ne savent pas prendre de décision. Là encore, nous pourrions en chercher les raisons mais ce n’est pas la question aujourd’hui.
En management, les théories souhaitant diviser l’humanité en deux groupes sont monnaies courantes et chaque spécialiste s’approprie cette thèse (comme Douglas Mc Gregor avec les X et les Y). Ici, il est question des « invertis de Peter », ceux qui font la confusion entre la fin et les moyens et qui ne prennent jamais de décision par eux-mêmes. Nous connaissons tous des gens qui se sont enfermés dans les procédures et n’en sortent jamais, si bien qu’ils en oublient pourquoi ces règles ont été mises en place : mieux servir le client ou l’administré. Si, après une promotion, un inverti de Peter doit gérer des situations difficiles impliquant une prises de décisions, ils aura franchi le seuil d'incompétence.

Respecter la norme

Toute organisation sélectionne en priorité les individus les plus conformes, les plus moyens, les plus standards : ceux dans lesquels se reconnaît la masse. Elle évitera les extrêmes, les avocats du diable et les individus pouvant perturber la stabilité et les habitudes de l'organisation.
Pour éviter une situation où il n’y aurait plus de remise en cause, il faut trouver des correctifs : une des solutions est de confier le recrutement à des sociétés externes.



Conséquence du principe de Peter dans les organisations

Les compétents et les incompétents se côtoient, se jugent mais tout va bien tant qu’il reste dans la norme. En effet, celui qui juge in fine, c’est le supérieur et il y a deux possibilités :
1/ Il n’a pas franchit son seuil d’incompétence et il se basera sur des indicateurs chiffrés (le rendement, le nombre de dossier,…).
2/ S’il a passé son seuil d’incompétence, il va alors juger sur les moyens et les normes : le respect des horaires, la tenue vestimentaire, la politesse avec les supérieurs,…

Dans le deuxième cas de figure, le plus courant apparemment, le souci ce sont les employés extrêmes, ceux que l’auteur nomme les super-compétents ou les super-incompétents ; ceux-là sortent trop de la norme et ne pourront pas rester dans l’organisation. Les premiers vont généralement la quitter (volontairement ou involontairement) pour s’épanouir, les derniers devront se repositionner ailleurs. Il y a bien une exception : les employés protégés par un supérieur mais là, disons que cela court-circuite l’évolution naturelle des choses…



Conséquences sur l’individu

Une personne ayant dépassé son seuil d’incompétence ne s’en rendra presque jamais compte. D’ailleurs, elle accepte sa dernière promotion en toute honnêteté, pensant être à la hauteur du nouveau poste et, même, d’avoir mérité tout cela.

En général, elle va développer une série de maux physiques témoignant de son mal-être, un peu comme si son corps souhait extérioriser les difficultés du quotidien. Ces ulcères et maux de tête vont devenir le bouc émissaire de l’incompétence et l’individu va sans arrêt le faire savoir autour de lui. Par contre, à aucun moment il ne sera question de son incompétence ou de la possibilité qu’un tiers puisse exercer sa fonction sans problème.

Il est possible aussi que l’individu se focalise, de manière exclusivement, sur une tâche secondaire : c’est le principe de substitution. La personne se concentre alors sur un point précis et maîtrisé du nouveau poste jusqu’à en faire son obsession. C’est une manière d’éviter de mettre les pieds dans le plat et de montrer que l’on est incompétent tout en donnant l’impression de faire du bon boulot – bien que pas forcément utile. Cette astuce permet de rester en bonne santé physique et mentale.

Vous me direz : « pourquoi ne pas simplement refuser la promotion ? ».
Et bien, ce n’est souvent pas aussi simple. Les auteurs n’entrent pas trop dans le détail mais je pense qu’il s’agit d’une pression sociale. L’employé refusant une promotion mérité (au départ), c’est le fainéant, le peureux ou celui qui n’a pas d’ambition. Mais c’est aussi le mari ou l’épouse soumis, qui n’est pas capable de donner le meilleur à sa famille. Et c’est aussi l’ami qui accepte de rester en dessous du statut de son propre groupe d’amis…Refuser une promotion est donc compliqué socialement, d’autant plus qu’on ne sait pas forcément où se situe notre seuil d’incompétence. C'est aussi difficile de freiner ses propres pulsions nous poussant à nous élever et à demander toujours plus.

Cela dit, si l’individu s’est fixé un seuil (son poste lui convient à 100% par exemple), il existe une meilleure solution que de refuser une promotion ; c’est d’ailleurs ce qui est préconisé dans le livre : l’incompétence créative. Cette technique, consciente ou inconsciente, permet d’empêcher la promotion finale et donc de rester (juste) en dessous de son seuil d’incompétence. Pour y arriver, il faut simuler l’incompétence en ratant des objectifs secondaires qui n’ont aucune incidence sur les obligations principales de la fonction actuelle.
Les deux auteurs citent en exemple cet excellent jardinier qui permet systématiquement les factures et qui ne sera donc jamais promu responsable. Pourtant sa femme soutient qu’à la maison, il note tout minutieusement…Je pourrais aussi vous citer un exemple personnel d’un responsable opérationnel encaissant (très) en retard, voire égarant, ses chèques personnels alors qu’il tenait son budget familial d’une main de fer…Bizarrement, avant les faits, on le prédestinait à devenir le prochain dirigeant d’une filiale du groupe !



Sans cette dernière technique, l’homme est condamné à atteindre son niveau d’incompétence. Or, le travail est effectué par les compétents, ceux qui sont en dessous du seuil d’incompétence. Mais que se passe-t-il quand ils ne sont plus assez pour faire tourner la machine ?

Cette incompétence, que les auteurs comparent à un germe enfoui dans l’Homme dès la naissance ne concerne pas que le travail : ils procèdent à son prolongement darwinien où on l’arrive au niveau d’incompétence totale à vivre… Extrapolons donc : que se passe-t-il quand des les personnes aux commandes (gouvernements, dirigeants d’entreprise,…) ne sont plus capables d’enlever le grain de sable enrayant l’Économie ? Il faut alors compter sur les autres mais encore faut-il leur laisser la possibilité de le faire.

mercredi 23 avril 2014

Les casseurs du SMIC

Le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) garantit un plancher de rémunération pour les salariés les plus modestes. D’une certaine façon, cela permet de partager les fruits de la croissance et des gains de compétitivité en favorisant la progression des pouvoirs d’achat.

Pourtant, au cœur d’une crise qui s’éternise, des voix s’élèvent parmi les "experts" pour demander la mise en quarantaine du SMIC : suppression du SMIC pour certains, création d’un SMIC intermédiaire (SMIC jeune, SMIC premier emploi ou SMIC chômeur de longue durée) pour d’autres.




Inception

Cette petite histoire pourrait bien commencer par les propos de Pascal Lamy mais non.

La remise en cause des protections sociales (sécurité sociale, protection au travail,…) est un fait avéré depuis une trentaine d’années. Ce n’est pas la première fois que le SMIC est attaqué. On peut ainsi noter, en 1994, le CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle) et, en 2006, le CPE (Contrat de Première Embauche), deux mesures jamais appliquées.

La crise des Subprimes et des failles de l’Euro n’ont été qu’un accélérateur. Les casseurs de la protection sociale se sont engouffrés dans la brèche, en étouffant les causes même de la crise : la dérégulation d’une finance (sans limites), la hausse des inégalités compensée par la consommation à crédit, et, enfin, une zone euro hétérogène, non optimale et régie par des règles absurdes.

Plutôt que de tenter de soigner le malade, les médecins tentent d’en faire disparaître les symptômes…quitte à tuer le patient. Cette maladie arrange certains intérêts à bien des égards car un patient faible accepte toutes les préconisations : gel des salaires, coupe dans les prestations sociales, affaiblissement de l’État, destruction de la législation du travail, cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises,…


C’est dans cette sombre partie d’échecs, que Pascal Lamy passa à l’attaque…un 2 avril 2014 sur LCP :
« […] à ce niveau de chômage il faut aller vers davantage de flexibilité, et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au SMIC. »
Le même Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), qui fut un des initiateurs de la déréglementation complète du marché des capitaux en Europe (avec son ami Delors en 1990). Cette belle dérégulation qui alimente le feu d’une crise qui n’en finit pas…


L’idée est immédiatement relayée par trois économistes très médiatisés, le 3 avril 2014, Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen dans un livre intitulé "Changer de Modèle" aux éditions Odile Jacob. Leur remise en cause du SMIC tient, en tout et pour tout, sur 4 misérables pages (sur 180) mais la réaction est immédiate : le SMIC brûle sur toutes les lèvres et dans tous les médias !
Au passage, ces trois économistes avaient rendez-vous à un déjeuner avec le président Hollande le 15 avril…Rien que ça !

Il fallait marquer le coup : ce fut, le 15 avril. Pierre Gattaz, président du MEDEF, patrons des grands patrons, se déclare favorable à la création d’un SMIC intermédiaire pour les jeunes en difficultés.

"Inception" réussie (pour ceux et celles qui n’ont pas vu le film : l’implantation d’une idée dans le subconscient).



Une solution pour un mauvais constat

Il faudrait agir car, pour reprendre les termes de Pierre Gattaz, nous serions « au bord du précipice », celui d’un chômage élevé. Pour le trio d’économiste, Aghion-Cette-E.Cohen, le SMIC est un « obstacle ».

En apparence bonne, cette solution s’applique à un mauvais constat : le taux élevé de chômage serait structurel tandis que les marchés seraient efficients.
1/ Le taux de chômage était en dessous de la barre des 8% avant la crise de 2008 alors qu’aujourd’hui il frôle les 11%. Ce taux de chômage anormalement élevé n’est donc pas structurel mais conjoncturel : il est la conséquence d’une crise politique et financière.
Si les « experts » évoquent le départ des jeunes vers d’autres contrées, ils se battent pour baisser le SMIC et précariser les termes des premiers contrats de travail. On tombe vraiment dans le ridicule idéologique…

2/ N’importe qui de raisonnable (ou compétent?) admettra que les marchés ne sont pas efficients. On peut créer de splendides modèles théoriques mais cela ne reste que des modèles.
Il en est de même pour le marché du travail : les forces en présence ne sont pas égales et les plus précaires sont contraints d’accepter les conditions. En d’autre terme, le SMIC et la législation du travail représentent les seuils de négociation que notre société a jugé bon (digne ?) de ne pas dépasser.




Casser un SMIC déjà faible

Les mauvaises langues oublient souvent que les dérogations au SMIC existent déjà. Les mineurs (moins de 18 ans), les apprentis, les stagiaires, animateurs de centre de vacance et les salariés aux horaires non comptabilisables ne sont pas soumis au SMIC.

Alors que les inégalités explosent, le SMIC devient un rempart : un seuil à ne pas franchir au nom de l’indécence et de la dignité.
Plus de 10% des salariés sont concernés par le SMIC et les montants ne sont pas aussi affriolants que le laissent croire ses détracteurs. A 1445,38 euros brut (au 01/01/2014), soit un peu moins de 1130 euros net par mois à temps complet, la vie n’est pas un fleuve tranquille. Une fois déduit le loyer, le coût des transports, la nourriture, l’habillement et les autres dépenses incompressibles, il ne reste plus grand-chose pour vivre.
D’ailleurs, rappelons ici qu’en France le seuil de pauvreté est de 977 euros en 2011 pour une personne seule (60% du revenu médian).

Enfin, le coût du SMIC (c'est-à-dire, en bon français, la rémunération d’un Smicard) a été exagéré. En effet, les exonérations pour les bas salaires représentent déjà un cadeau de plus de 20 milliards d’euros par an. En plus du CICE, le premier ministre, Manuel Valls, a promis d’y ajouter la bagatelle de 4,5 milliards dès 2015…Pour peu qu’il y ait encore un SMIC.
Vous trouverez ci-dessous une modeste représentation graphique de cette explosion de ces « allègements » (certaines exonérations  n’ont pas été prises en compte comme le mécanisme « zéro charge », le CIR ou le contrat de génération).



Les études sur l’impact du SMIC

Que dire des différentes études sur l’impact du SMIC ?

Paul Wolfson et Dale Belman ont épluché les rapports sur le sujet depuis les années 2000 et concluent que si des études relèvent un quelconque impact, d’autres montrent que les conséquences ne sont pas significatives.

Neumark et Washer ont réalisés une étude sur le SMIC aux États-Unis et plusieurs pays de l’OCDE. Conclusion : la vision selon laquelle l’instauration d’un SMIC réduit l’emploi est erronée.

Enfin, un trio d’économiste (Addison-Blackburn-Cotti) tombe sur la même conclusion après analyse du secteur de l’hôtellerie-restauration.

Bref…comme souvent en économie, certains économistes ont réussi à trouver (ou créer) un impact du SMIC sur l’emploi, tandis que d’autres n’ont pas trouvé de corrélation. En d’autres termes : on ne sait pas et rien ne prouve quoi que ce soit.
Pour pouvoir l’affirmer, il faudrait modifier considérablement le SMIC et observer les résultats…

Mais est-ce le moment pour ce genre d’expérimentations alors que l’austérité bat son plein et que les inégalités explosent ?



Au moment où l’Allemagne instaure le SMIC, où les États-Unis et la Suisse pourraient relever le leurs, il me paraît assez ridicule de vouloir détricoter le SMIC chez nous.
Les économistes, tout comme les dirigeants, ne devraient pas inventer une science ad hoc pour justifier cette baisse/suppression/nivellement du SMIC. Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, a même dénoncé une « logique esclavagiste ».

Et puis…le malade ne serait toujours pas guérit après une cure, aussi amère soit-elle.
Loin de là.

mercredi 16 avril 2014

Iconomie vs 3e révolution Industrielle

Si la 3e révolution industrielle de Rifkin se veut une analyse complète, l’Iconomie est lacunaire : est passé sous silence l'environnement, les écosystèmes, les ressources (limitées), la culture, les énergies, les modes de vie, la société, le capital social,… 


 
A plusieurs reprises, Christian Saint-Étienne tente de montrer la supériorité de sa réflexion sur celle de Jeremy Rifkin. Ce dernier volet sur la 3e révolution industrielle met en parallèle les visions des deux auteurs.


La science et 3e révolution industrielle

L’Iconomie se veut un mouvement à marche forcée où tout repose sur la Science avec un grand S : il faudrait la libérer, la débrider et lui enlever ses chaînes du « principe de précaution ».
Rifkin croit aussi au pouvoir de la science mais a peur d'un "déraillement" technologique.


Les marchés et 3e révolution industrielle

Une des plus grandes différences entre les deux auteurs repose sur les forces des marchés.
Pour Rifkin, il ne faut pas croire au père noël : ne nous attendons pas que à ce que les « lois du marché »  deviennent l'origine de la 3e révolution industrielle.
A l’opposé, C. Saint-Etienne exhorte à s’en remettre aux marchés : libres, efficients, efficaces, justes et créateurs de richesse. L’État devient juste un financeur-incitateur avec un cadre restreint ou, en d’autres termes, un État régalien voué aux entrepreneurs et aux apporteurs de capitaux.


Financements et 3e révolution industrielle

Rifkin mise sur les financements horizontaux, entre pairs, et cette révolution financière se fera naturellement (crowdfunding par exemple ?).
Dans l’Iconomie de C. Saint-Étienne, les coûts de cette 3e révolution sont colossaux et concentrés ; pour y arriver, il faut par exemple passer d'une retraite par répartition a une retraite par capitalisation. L’objectif sous-jacent est d’orienter l’épargne des classes moyennes et modestes vers le financement des créateurs de richesse.


  Échanges et 3e révolution industrielle

C. Saint-Étienne se bat pour une mondialisation à sens unique (exportation à outrance) et l’adoption du modèle allemand : baisse des charges sur les entreprises contre hausse de la fiscalité sur les salariés et consommateurs, spécialisation, robotisation, flexibilité du travail, "assouplissement" de la législation du travail, fédéralisation des régions, négociation directe entre employeurs et salariés…C’est ce modèle là qu’il faudrait mettre en place pour rendre la France compétitive.
Rifkin estime qu’il faut réfléchir à l’échelle des continents. La « continentalisation » permettra d’optimiser  les ressources disponibles entre des sociétés aux valeurs proches.
C’est un des points forts de l’analyse de Rifkin : il met l’humain au centre de sa réflexion là où C. Saint-Étienne y place la création de richesse.


Emploi et 3e révolution industrielle

Sur l'emploi, Rifkin est clair : les gains de productivité issus des innovations technologiques et robotiques généreront, ce qu’il appelle, de la croissance sans emploi.
A l’inverse, C. Saint-Étienne nous promet la création de milliers d'emplois grâce à la robotique et aux gains de productivité ! Un nouveau robot apporterait  au bas mot, plusieurs embauches (nettes ?), ce qui me semble totalement illusoire : pourquoi investir une fortune dans un robot pour devoir embaucher davantage d'ouvriers ? Cela tuerait les gains de productivité, puis la capacité à investir et la rémunération des apporteurs de capitaux…Tout le contraire des principes de l’Iconomie.


Organisation et 3e révolution industrielle

La clé du succès pour Rifkin passe par la coopération alors que pour C. Saint-Étienne c'est le renforcement du capitalisme libéral (moins d’État, moins de contrôle, plus de capital, moins de social, moins d'entraides, plus de concentration – il demande pourtant le contraire mais souhaite des industrialisations massives pour des projets giga-ntesques, des hyper-industries et des supra-entrepreneurs financés par des méga-financements, ce qui n’est guère compatible avec le postulat de base…).


Indicateurs de performance et 3e révolution industrielle

Pour Rifkin, cette 3e révolution industrielle représente l’entrée dans un monde différent pour lequel il faudra des outils d’analyse adaptés (il critique allègrement le PIB).
C. Saint-Étienne continue de raisonner avec les indicateurs "classiques" : PIB, comparaison des taux de prélèvements entre États, utilisation des taux marginaux,…Toutes des formules datant précisément de la seconde révolution industrielle et du capitalisme vertical !

Comme le dit Rifkin, les sciences sociales et économiques évoluent en fonction de leur temps mais je ne suis pas sûr que C. Saint-Étienne soit en accord avec cette vision et/ou ne soit prêt à l’appliquer : ce dernier voit le monde à travers le prisme du capitalisme traditionnel. In fine l’Iconomie se révèle paradoxale sur de nombreux points.


Politique et 3e révolution industrielle

Si l’approche de Rifkin me paraît technique, pertinente et ouverte, je suis gêné par l’esprit fermé de l’Iconomie ; c’est un comble car ce modèle se veut mondial, coopératif et empreint de liberté.

Je pense que l’Iconomie se veut d’abord un projet politique qui se présente sous la forme d’une leçon d’Économie. En somme, on voudrait faire croire que l’Iconomie est naturelle et scientifique à la fois. A ce propos, les termes employés dans l’Iconomie sont plus politiques qu'économiques. On tombe dans la pure idéologie politique sous couvert d’une forme de sciences économiques comme le montre l’utilisation du culte de la peur :
« le pays [La France] pourrait finir sous tutelle de la commission européenne sous contrôle du FMI […] »

L’utilisation de termes édulcorés ne passe non plus inaperçu :
  • L'informatique devient « industrie informatique »,
  • L'économie de la fonctionnalité devient « l'industrie des effets utiles »,
  • La flexibilité/précarité du travail devient « l’agilité coopérative »
  • Des hausses de CSG ou de la TVA se transforment en « CSG Sociale » et « TVA-Emploi ».

L’Iconomie est donc un projet idéologique et politique (celui de l’UDI ?) avant d’être une étude économique. Cela explique pourquoi les indicateurs restent ceux de la 2e révolution industrielle : il faut convaincre et rassurer les électeurs que cette Iconomie ne bouleversera pas leurs vies. Cela explique pourquoi aucun parti n’est pris sur les questions environnementales ou énergétiques : cela fermerait des portes. Cela explique pourquoi l'auteur ne s'aventure pas sur des questions sociales et reste dans le superficiel.




Pour Jeremy Rifkin, les deux précédentes révolutions industrielles expliquent leurs succès par la combinaison d’une avancée dans le domaine de l’information (télégraphe, téléphone,…) et de nouvelles sources d’énergie (machine à vapeur, pétrole,…). Pour éviter la décrue de la production, une troisième révolution serait à portée de main, pour peu que l’on s’en donne les moyens et que l’on laisse un avenir possible aux générations futures.

L’avenir de la production dépendra des capacités des Hommes mais aussi des limites de la nature. En effet, si nous pouvons être optimistes sur l’intelligence humaine, les ressources naturelles, elles, sont limitées.
Si tous les habitants du monde vivait à la française, il faudrait trois planètes Terre…Avec le mode de vie américain, il en faudrait six !


Est-ce que la troisième révolution industrielle permettra de faire croître la production à l’infini ?

Est-ce que l’Économie de la connaissance, la production immatérielle et les technologies viendront compenser les limites naturelles ?

Que se passerait-il en l’absence de troisième révolution industrielle et d’épuisement des sources d’énergies traditionnelles ?

Et s’il fallait plutôt réfléchir à une croissance du lien social et non plus des richesses pécuniaires ?

mercredi 9 avril 2014

La 3e revolution industrielle et l'Iconomie

Cette semaine, nous aborderons la troisième révolution industrielle dans sa version bleu-blanc-rouge. L’Iconomie, c’est son nom, est apparue sous la plume de J-M Quatrepoint puis Christian Saint-Etienne y dédia un ouvrage intitulé « l’Iconomie » (aux éditions Odile Jacob).





La troisième révolution industrielle aurait été initiée dans le courant du XXe siècle par ce que Christian Saint Etienne nomme « la grappe d’innovations de rupture » : l’électronique et l’informatique. 


Cette grappe d’innovations de rupture ont entraîné des innovations en chaîne que sont  l’industrie informatique, l’impression 3D, la robotisation (dont l’internet des machines et l’industrie 4.0), les logiciels et l’industrie des services utiles (= économie de la fonctionnalité). 
Nous serions dans une phase de pleine accélération depuis 15 ans – le livre fourmille de termes commençant par "hyper-" et "super-". Je pense que cette accélération est exagérée car la plupart des experts reconnaissent que les gains de productivité ne sont pas au rendez-vous (du moins, pas encore). Cela étant dit, il ne manquerait qu’un coup de pouce pour que l’Iconomie révolutionne nos vies ; il suffit de mettre le paquet sur l’informatique, la stimulation de l’entrepreneuriat et l’industrie des services.



Défaire l’État providence pour mettre les entreprises au cœur de la 3e révolution industrielle

C’est probablement la revendication "numéro un" du manuel de l’Iconomie.
L’État dirigiste, colbertiste, tentaculaire, « inopérant » (la liste de qualificatifs peu flatteurs est longue) n’aurait plus sa légitimité ; il l’aurait perdu dans les années 50, c'est-à-dire peu après la reconstruction.

La première justification se veut simple : l’Entreprise est « l’unique producteur de valeur marchande » et contribue aux « quatre cinquièmes » du PIB. Si cela vous paraît correct, il s’agit en réalité d'une tromperie. La formule du PIB (Produit Intérieur Brut) a été convenue dans la période d’après-guerre. C’est une convention purement comptable (on aurait pu la calculer de 1001 façons différentes), chargée de donner une valeur à la production marchande. Il est donc parfaitement logique que les entreprises en représentent la plus grande part.
Dire que les entreprises contribuent plus au PIB que l’État, est-ce un argument valable pour demander une décroissance de l’État ? Non. La recherche de la rentabilité économique ne devrait pas être l’objectif ultime des États. La satisfaction des besoins sociaux va au-delà du simple aspect financier, chose que le PIB ne mesure pas.

Plus tard, il est reproché à l’État de ne pas intervenir suffisamment auprès de ces mêmes entreprises, ce qui expliquerait le sous-investissement chronique dans les secteurs d’avenir. N’est pas paradoxal avec l’argument précédent ? Ce n’est pas tout : l’Allemagne est citée comme l’exemple à suivre alors que son ordolibéralisme s’oppose à toute intrusion de l’État dans les affaires privées (sauf pour recadrer la concurrence). Les entreprises allemandes ne demandent rien à leurs gouvernants.
Soit dit en passant, d’autres exemples sont mis en avant comme le Japon, dont on vante sa robotisation, mais qui souffre d'une récession depuis plus d’une décennie (phénomène de trappe à liquidités). Mais le meilleur, c’est le mythe des années 50 aux États-Unis, celui de l'âge d’or américain à importer en France « grâce à un système fiscal favorable ». L’auteur oublie alors que le taux marginal (la plus haute tranche d’imposition) y était alors de 90% (70% encore dans années 70) ! Oui vous avez bien lu : 90% !

Si l’Iconomie requiert la présence de l’État, c’est pour mettre la main aux poches : pas moins de 100 milliards en trois ans. L’argent proviendrait, entre autres, d’une augmentation du taux de CSG (renommée CSG sociale) couplée à une hausse de la TVA (surnommée TVA emploi). En voilà des expressions édulcorés ! Ces dernières cachent cependant une triste réalité : celle de transférer les revenus des consommateurs et salariés fixés en France, c'est à dire les classes moyennes et modestes, vers les caisses des entreprises.
Mais pas d’inquiétude, on nous promet que les entreprises vont volontairement redistribuer une partie des bénéfices de cette politique de déflation intérieure. Est-ce vraiment crédible quand les entreprises cherchent à reconstituer leurs marges et à rémunérer des apporteurs de capitaux très volatils ?



Exacerber l’individualisme pour stimuler entrepreneuriat

Comme le dit Christian Saint-Étienne :
« Le travail ne se partage pas car c’est, comme l’économie, une matière vivante »
Il faudrait revenir sur les 35 heures et laisser les entreprises décider du droit du travail : durée du travail, salaires, protection sociale, retraite par capitalisation,…Soyons franc : compte tenu des forces en présence, la majorité des salariés ne pourra pas négocier ; leur seul option sera de se soumettre. Les salariés devront apprendre à se convertir et à changer de casquette au gré des entrepreneurs éclairés et des marchés.

Ce genre de « négociations à l’amiable » pousserait notre société vers un monde du travail bipolaire : les qualifiés et les non-qualifiés. De nombreuses théories sur cette forme élitiste du travail existent depuis plusieurs décennies mais, au moins, leurs penseurs avaient l’honnêteté de reconnaître que la majorité de la population en baverait : on parle de la règle des 20-80 c'est-à-dire 20% de travailleurs qualifiés avec des postes bien rémunérés dans de très bonnes conditions contre 80% de travailleurs précaires en proie à des difficultés quotidiennes.

C'est une vision très individualiste de la société. C’est aussi un déni de la réalité sociale (et économique) où le taux de chômage explose dans l'Union européenne et dont les conséquences sur l’employabilité seront probablement catastrophiques.
Tout au long de ma lecture, plongée dans une Iconomie hautement technologique et mouvante, je me suis demandé quel serait le sort réservé aux seniors, dont on repoussera indéfiniment l’âge de la retraite. Pourront-ils tous devenir des ingénieurs ? Pourront-ils tous devenir des accrocs de l’informatique ou de l’industrie 4.0 ?

L’Iconomie reste une vision théorique où l’individualisme et la technologie dévorent tout sur leur passage. On en viendrait à jeter aux orties les individualités et l’humain en chacun de nous.

A aucun moment il n’est question de la hausse des inégalités. Or il apparaît que ces inégalités (en pleine croissance, elles) sont responsables de la mort prématurée de l'ascenseur social. De plus en plus, notre destinée semble déterminée à notre naissance alors que d'importants progrès avaient été réalisés.
Il est aussi question de l’importance du réseau à travers le terme de « facilitateur », c'est-à-dire des individus capables de mettre en contact les idées avec les entrepreneurs et les apporteurs de capitaux. Pour être entrepreneur ou inventeur, il faut des facilitateurs, sans quoi le projet tombe à l’eau. Or ces facilitateurs ne tombent pas du ciel et ont besoin d’avoir confiance bien en amont de l’idée novatrice. De fait, la qualité de ce réseau dépend de notre environnement immédiat comme les amis, la famille, nos camarades de promotion,…
Tout cela ne fait que confirmer mes craintes sur une Iconomie reine d’un monde bipolaire hermétique. Je ne suis pas sûr qu’un tel degré de fermeture crée une situation optimale, y compris sur le thème de l’entrepreneuriat et du progrès.




 Une nouvelle Économie, pensée comme l’ancienne
L’Iconomie est pensée comme une succession de paradoxes : nouvelle Économie mais évaluée à l’aide d’outils dépassés, innovante mais voulue peu risquée, des entreprises tentaculaires mais concentrées, un marché dense de l’emploi mais des gains de productivité à foison, une économie stimulante mais freinant la consommation, libérale mais en ayant recourt à l’appui de l’État sur tous les étages, collaborative mais mettant en compétition tous les acteurs, amicale tout en interdisant le partage...

L’Iconomie reprend à son compte la vision de Joseph Schumpeter. Pour ce dernier, les révolutions industrielles étaient déjà le fait de « grappes  d'innovations radicales ». Toujours selon l’économiste autrichien, deux personnages sont primordiaux : l’innovateur et le banquier. Dans l’Iconomie, il faut un innovateur, un entrepreneur, un apporteur de capital et des facilitateurs. 
L’Iconomie serait-elle simplement une économie Schumpetérienne en version 2.0 ?

Enfin L’Iconomie met un point d’honneur au management. Le management idéal, c'est le management à l'américaine : collaboratif (copinage superficielle), avec des profits partagés (des salariés actionnaires possédant jusqu’à 20% de l’entreprise) et une pyramide écrasée (sans petits chefs). Encore une fois, on en revient à cette idée d’un monde du travail bipolaire où les vrais chefs (une minorité) seront tout puissants.
S’il est possible de retrouver ce type de management dans les grands groupes, il est cependant très éloigné du management français (des PME) qui est très autocratique, dirigiste, peu dynamique et où la qualité des relations priment sur le mérite. Un management familial en résumé.



Au vue de cette analyse, l’Iconomie ressemble à s’y méprendre à une optimisation de la seconde révolution industrielle – les expressions « hyper- » et « super- » en moins.
Peut-on vraiment parler de révolution ? Rien n’est moins sûr.

Je reste particulièrement inquiet au sujet du marché du travail, de l’environnement, des relations humaines et de l’état des ressources naturelles (nullement abordée dans l’Iconomie comme si elles étaient disponibles à l’infini).

Alors 3e révolution industrielle ? Iconomie ? Décroissance volontaire ? Décroissance involontaire ? Que faut-il penser de tout cela ? C’est ce que nous verrons la prochaine fois !