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mercredi 12 mars 2014

Les paradis fiscaux passés au peigne fin

« La richesse cachée des nations » (Gabriel Zucman), « Ces 600 milliards qui manquent à la France » (Antoine Peillon), « la grande évasion : le vrai scandale des paradis fiscaux » (Xavier Harel) ou encore « le capital au XXIe siècle » (Thomas Piketty) sont quelques exemples de livres m’ayant fortement inspiré.

Le thème récurrent ? Les paradis fiscaux, l’optimisation fiscale, la fraude fiscale, le manque à gagner des États-nations, les inégalités galopantes,…

Aujourd’hui, je vais tenter de dresser une cartographie des patrimoines étrangers dans les paradis fiscaux. Il ne s’agit pas de vous parler des techniques d’optimisation fiscale (il y a déjà un article sur le sujet, si le courage vous en dit : ici) mais des masses monétaires en jeu, des fausses bonnes raisons du dumping fiscal et de la prétendue fin des paradis fiscaux annoncée au G20 en 2009.




Les montants en jeu

D’après les calculs de Gabriel Zucman, entre 10 et 11% du patrimoine mondial serait détenu dans les milieux offshores. Cela représente un stock d’environ 8 000 milliards d’euros – bien que ce montant prête à caution – de patrimoine étranger caché dans les banques offshore.
A titre de comparaison, le PIB annuel, c'est-à-dire la richesse créée par an, de la France est de 2 739 milliards d’euros en 2013…Retenez simplement l’ordre de grandeur car si le PIB est un flux (il se créé tout le temps), le patrimoine est un stock.

Sur ces 8 000 milliards d’euros, la majeure partie est investie en titres financiers (actions, obligations, SICAV,…). En effet, les rendements des titres financiers sont, en moyenne, plus élevés que la plupart des autres placements, y compris les investissements productifs. De plus, il est plus simple de les transférer et de les dissimuler. Bref, que demande le peuple ?
Le graphique suivant porte sur le partage approximatif de ce patrimoine caché dans les paradis fiscaux :




La Suisse, coffre-fort de l’Europe

La moitié du patrimoine français situé dans les banques offshores, se trouve en Suisse. On approche ainsi les 175 milliards d’euros, d’origine française (sur 350 milliards), tapis dans les montagnes helvètes. D’ailleurs, tous les journaux ont relevé l’information selon laquelle « 80% des 15 813 fraudeurs du fisc français ayant demandé la régularisation de leur situation avaient un compte en Suisse ».

La situation présentée dans le graphique suivant n’a donc rien de surprenant:


Tout cela est assez étonnant dans les faits car le G20 concluait que c’était la « fin du secret bancaire ». Or, Gabriel Zucman souligne que les fortunes étrangères en Suisse « ont augmenté de 14% » et, même de 25% tous paradis fiscaux confondus. Dans une fiction on pourrait en rire mais la réalité est malheureusement terrible : il s’agit d’autant de recettes à déduire du budget des États-souverains.

Voilà qui ne favorise ni la réduction des inégalités, ni la baisse des déficits budgétaires.
De plus, comment demander aux classes modestes et moyennes de payer des impôts de plus en plus lourds quand les plus aisés peuvent décider du montant à régler (ou à ne pas régler justement) ?



Une fraude insupportable

La fraude des ultra-riches couterait 130 milliards d’euros dans le monde (fraude à l’IRPP, à l’ISF et aux droits de succession). Attention : dans ce montant, on omet de comptabiliser les revenus tirés des activités illégales (à la base) et la perte due à la baisse des taux d’imposition (bah oui, il faut se rendre « attractif » quand il y a du dumping fiscal).

Pour l’Europe, cette fraude représente 50 milliards de recettes en moins.

La France s’y taille la part du lion avec 17 milliards d’euros par an :


Pour information en France, en 2013 :
  • Les recettes en matière d’Impôt sur le Revenu (IRPP) étaient de 67 milliards ; l’évasion fiscale augmente donc les besoins de l’État de 9 milliards.
  • L’ISF devrait atteindre difficilement les 4 milliards de recettes (on parle de 4,3), alors que 4 milliards d’ISF sont omis des déclarations tous les ans…

Ces montants sont scandaleux alors que l’on oblige les français à se serrer la ceinture. Je les trouve encore plus scandaleux quand le gouvernement se demande comment réduire le déficit budgétaire…



La lutte contre les paradis fiscaux en Europe : des paroles mais peu de résultats…

Plusieurs mécanismes ont été mis en avant pour justifier la « fin des paradis fiscaux » mais qu’en est-il ?

Au niveau national, on peut tirer les enseignements de l’enquête d’Antoine Peillon auprès d’un « infiltré » de la DCRI (le FBI français), et plus particulièrement de la sous-direction K5  « en charge des sections bancaires et fiscales ». Son livre intitulé « les 600 milliards qui manquent à la France » nous révèle que cette division peut user de son influence pour mettre certaines affaires au secret durant le temps nécessaire de la prescription (3 ans en général). Ces mises au secret ne concernent pas les affaires de Monsieur Toutlemonde, cela va de soi…

Au niveau international, le premier mécanisme me venant en tête est l’assistance mutuelle en matière fiscale : concrètement les États doivent collaborer pour empêcher les fraudes en échangeant des données, en transmettant certaines informations au fisc, etc… C’est beau sur le papier mais il s’agit d’une simple « déclaration de bonnes intentions ». Rien n’empêche d’omettre certaines informations, de ne pas faire d’efforts pour identifier les détenteurs des comptes ou de compter sur la bonne foi.

La deuxième initiative est européenne : il s’agit de la fameuse directive épargne (de son doux nom Directive 2003/48/CE). Elle devait permettre d’imposer les individus dans le (vrai) pays du résident et non celui où est enregistré le(s) compte(s). Encore une fois, cela ne permet pas de conclure que les paradis fiscaux ont disparu de l’Union Européenne.
Premièrement, la directive épargne ne cible que les intérêts des comptes et ne s’attaque donc pas aux revenus des titres financiers. Or, comme l’atteste premier graphique, la majorité des sommes détenues dans les paradis fiscaux sont investies en actions : les revenus sont alors des dividendes et non des intérêts...
Deuxièmement, les paradis fiscaux que sont le Luxembourg et l’Autriche disposent de dérogations. Même la Suisse a pu négocier l’accord correspondant et tous les sites internet suisses de gestion de patrimoine s’en vantent : « les détenteurs non-résidents de comptes suisses sont toujours protégés par le secret bancaire ! »
Enfin, pour être concerné il faut que le compte soit ouvert à son nom. Les comptes détenus par des sociétés écrans, des trusts, des fondations et autres coquilles vides, sont exclus de cette forme de contrôle. La directive est entrée en vigueur en 2005 et il est assez remarquable de constater comment cette mesure avait été anticipée ; jetez donc un œil sur le nombre de comptes suisses détenus en mains propres avant et après le vote de la directive :




En conclusion, les paradis fiscaux ne se sont jamais mieux portés. Le secret bancaire a encore de merveilleux (sic) jours devant lui.
Certains experts affirment qu’il s’agit d’une concurrence saine permettant de promouvoir la liberté des capitaux. On ne peut que difficilement être d’accord avec cela. Gabriel Zucman considère l’évasion fiscale, à juste titre, comme une externalité négative et du « vol pur et simple de nations ». En période de crise et de resserrement budgétaire, il serait temps de récupérer ce qui revient de droit aux États souverains. Après tout, il s'agit de mesures anti-concurrentielles pouvant donc donné lieu à des rétorsions commerciales...alors utilisons-les ! La France n'est pas le seul pays perdant à ce petit jeu !

La passerelle entre le secret bancaire et les subventions déguisées devrait être reconnue par les institutions internationales comme le FMI, l’OCDE ou l’OMC. C’est alors que de vraies mesures pourraient être établies pour lutter contre ce fléau qu’est l’évasion fiscale en suivant, par exemple, le plan d’action décrit dans « la richesse cachée des nations » de Gabriel Zucman :
  1. Créer un cadastre financier du monde : les titres financiers puis les dérivés,
  2. Instaurer l’échange international et automatique de données,
  3. Réformer l’impôt : impôt mondial sur les sociétés et sur le patrimoine.

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