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mercredi 20 février 2013

La fin de l'homo oeconomicus (chut : il n'a jamais existé)

Un des piliers de la théorie économique contemporaine réside dans l'homo œconomicus.

Les hommes seraient motivés par leurs intérêts égoïstes afin maximiser leurs profits. Or selon Adam Smith et la théorie de la main invisible, les intérêts personnels concourent à l’intérêt général (même indirectement). Bref, ne pensez pas qu’à vous et à votre profit personnel : tout le monde y gagnera.
Est-ce possible ?



Les bases de l’homo œconomicus

Voici les hypothèses de base de l’homo œconomicus sachant le terme « agent », utilisé ci-dessous, désigne aussi bien les Hommes  que les unités économiques (entreprises,…).
  1. L’économie est une science comme une autre ; elle s’analyse de la même manière que les sciences empiriques (physique, chimie, biologie,…).
  2. Les agents savent ce qu’ils veulent et quantifient leurs désirs
  3. Les Hommes cherchent à maximiser l’utilité des biens consommés pendant que les entreprises cherchent à maximiser leurs profits.
  4. Les agents sont indépendants, disposent de toutes les informations possibles et les traitent en intégralité afin de prendre les meilleurs décisions en anticipant l’avenir.


L’homo irrationalis : critiques des hypothèses de base

L’homo-œconomicus est sensé être rationnel et orienter ses choix en fonction des informations mais aussi de l’analyse qu’il en fait. Il existe plusieurs contre-vérités à ces hypothèses.

  1. L’économie est une science comme une autre
En économie, la seule chose que nous pouvons plus ou moins faire c’est expliquer le passé et en tirer des leçons (teintées d’idéologie). Le présent et le futur contiennent tellement de variables, de hasard, de comportements irrationnels et d’informations indisponibles à l’instant T que nous ne pouvons pas établir de modèles fiables. D’ailleurs, l’économie même n’est pas une discipline figée : elle évolue en fonction des idéologies, du contexte, des époques et des cultures. Ce qui est vrai aujourd’hui peut être complètement faux demain sans véritable raison. L’économie n’est donc pas une science empirique.

  2. Les agents savent ce qu’ils veulent et peuvent quantifier leurs désirs
Il n'y a pas de constantes dans le comportement humain. Les Hommes comme les entreprises ne savent pas toujours ce qu’ils veulent. Le désir étant infini et même stimulable (c’est la base du marketing et de la publicité), il me paraît impossible d’admettre une telle hypothèse.
Combien d'individus connaissent leurs budgets ou le montant de leurs avoirs en banque (monsieur Toutlemonde ne consulte pas souvent son compte), font une liste des courses, respectent ces listes, achètent au meilleur qualité/prix/besoin, achètent en bonnes quantités, achètent en fonction de leurs besoins, achètent au bon endroit?

  3. Les Hommes cherchent à maximiser l’utilité des biens consommés pendant que les entreprises cherchent à maximiser leurs profits
Les Hommes ne sont pas des machines. Ils n’achètent pas forcément le produit ou le service au meilleur qualité/prix et n’en maximise pas son utilité ou sa durée de vie. D’ailleurs, on entend souvent dire que notre société est gaspilleuse, pulsionnelle et polluante. Au-delà de cela, il existe tout un tas de freins à  notre rationalité :
  • La culture qui constitue des pesanteurs,
  • Les phénomènes irrationnels mêmes : on écoute nos désirs pour certains achats, alors que cela peut être absurde économiquement.
  • La fidélité aux marques, c'est-à-dire une sorte de patriotisme aux marques.
  • La publicité, la promotion des ventes : c’est une manipulation des névroses (consommation pulsionnelle). Tout bon marketing accentue ou créé des pulsions.
  • Nos routines de vie,
Une entreprise ne recherche pas qu’à maximiser son profit.  En effet, une entreprise ce n'est pas une entité se dirigeant tout seule et autonome en soit. D'une part, elle a des interactions avec la société toute entière (un maillon du nuage) et, d’autre part, les Hommes sont le cœur même de l’entreprise. Ainsi, ceux qui la pilotent peuvent se tromper et veulent parfois se tromper (en ne prenant pas le meilleur salarié mais un ami, en achetant chez une connaissance plutôt que chez le grossiste, en ayant peur,…). Si tous les acteurs des entreprises étaient rationnels, il n'y aurait techniquement pas de faillites.


  4. Les agents sont indépendants, disposent de toutes les informations possibles et les traitent en intégralité afin de prendre les meilleurs décisions en anticipant l'avenir
Nous n’avons ni toutes les informations disponibles, ni toutes les informations justes, ni toutes les informations pertinentes et dans tous les cas, nous ne sommes pas capables de traiter toutes ses informations même avec l’ordinateur le plus puissant.
Et puis nous ne sommes pas vraiment indépendants : nous prenons nos décisions en fonction d'un tas d'éléments irrationnels (les sentiments, l'amour, la haine, la peur,...).



Marketing et publicité à l’encontre de l’homo œconomicus

Admettre l’homo œconomicus dans les modèles économiques, c’est remettre en cause la publicité et le marketing qui représentent, tous deux, une véritable contre-vérité.

Au départ, il faut savoir que la publicité a d’abord été persuasive et donc informative.
Hypnotisé par le modèle de l’homo œconomicus, les publicitaires étaient alors convaincus que les consommateurs étaient des êtres rationnels d’où l’utilisation de chiffres et de techniques rationnels…Finalement les publicitaires ont remarqués que les achats ne sont pas rationnels mais pulsionnels. Cette publicité rationnelle et informative a été rapidement abandonnée pour deux raisons :
  • D’une part, dès les années 20, on considère que l’essentiel des achats n’est pas rationnel mais pulsionnel.
  • D’autre part, c’est le caractère potentiellement dangereux de donner des messages rationnels à des gens irrationnels  : cela suscite des résistances et des défenses dîtes moïques (du moi).

La réclame rationnelle était donc au mieux inefficace, voire contre-productive

En second lieu apparu la publicité mécaniste (à base de répétitions et d’automatisme) mais c’est surtout le troisième et dernier type de publicité qui fut révolutionnaire : la publicité behaviouriste (ou marketing publicitaire). L’objectif est d’impliquer le consommateur en suscitant le désir pour le rabattre sur la consommation de produits et services marchands. Elle va donc chercher à manipuler nos comportements pour transformer nos besoins en manque. On peut constater que cela fonctionne plutôt bien mais que cela va totalement à l’encontre de l’homo œconomicus.

L’Homme n’est donc pas rationnel et il est poussé à commettre plusieurs fois des folies et/ou les mêmes erreurs.



Critique générale de l’homo œconomicus 

L’homo limitatus

Le monde est extrêmement complexe et notre esprit se créé des limites pour y faire face. Notre rationalité serait limitée (selon les termes d'Herbert Simon, prix Nobel d'économie) car nous n'avons pas les capacités nécessaires pour traiter toute l'information. Même internet et les technologies de l'information ne le permettent pas. Ainsi selon H. Simon, nous restreignons notre liberté de choix et nous nous créons des routines pour notre bien.
Si nous devions sans cesse réfléchir et remettre tout en cause, nous ne pourrions tout simplement pas vivre. 
  


L'homo moralis

Contrairement aux préceptes de l'homo oeconomicus, les Hommes ne recherchent pas que le profit ou à maximiser l'utilité. Certaines actions peuvent être totalement dénuées d'intérêts pécuniers comme donner de son temps pour des associations, donner son sang, aider une personne âgée à traverser,...Certaines actions ne font pas rationnelles d'un point de vue financier comme si vous deviez sauter dans l'eau pour sauver quelqu'un alors que vous avez le rendez-vous de votre vie dans quelques minutes? Selon l'homo oeconomicus, il vaudrait mieux que vous laissiez le marché s'en charger (quelqu'un d'autres) ou laisser la personne se noyer...



Globus Homo

Fermez les yeux (mais continuez de lire).
Admettons que l'homo oeconomicus existe ou puisse exister. Bien.
Admettons maintenant un groupe d'homo oeconomicus
Sont-ils rationnels en groupe?

C'est là qu'intervient le paradoxe de Condorcet : un groupe d'homo oeconomicus auraient de très fortes chances de ne pas être rationnel. En effet, ils veulent interagir entre eux, ils veulent se comparer et ils ont chacun une vision propre de l'avenir et des informations. C'est entre autre pour cela que les referendum sont plutôt rares et que nous restreignons le nombre de gouvernants par des élections dans nos démocraties. 




Pourquoi l’homo œconomicus alors ?

La principale raison d’exister pour l’homo œconomicus est de servir de base à la théorie économique. En effet, l’individu moyen se porte bien aux calculs et aux modélisations mathématiques. Or comme je l’indiquais déjà dans mon billet sur la culture du chiffre, les modèles dans les sciences c’est un peu comme une cathédrale : on pose des hypothèses (échafaudages), on monte la cathédrale (le modèle) et on retire les échafaudages pour voir si elle tient.
Mais en économie, il n’est pas possible de retirer les échafaudages sans quoi le modèle tombe…En fait, il n’y a aucun moyen de savoir si un modèle est juste.

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