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mercredi 6 février 2013

Vers la fin du Travail

Mon dernier article m’amène à un sujet crucial : la fin du travail.
Qu’est-ce donc que cette chimère ?
Pour qu’il y ait fin du travail, il faut qu’il y ait dénigrement et destruction d’emploi avant. C’est ce qu’il se passe depuis un certain temps déjà.
La fameuse compétitivité et les gains de productivité sont au cœur de ce sujet.


La destruction du Travail

Pas un jour ne passe sans que l’on parle de plans sociaux (mot édulcoré pour ne pas dire licenciement massif), de chômage, de perte de pouvoir d’achat, de délocalisation,…Même si cela n’est jamais dit ouvertement, la logique seule fait bien apparaître cette destruction du travail.
Certains économistes vont dire que la cause réside principalement dans les gains de productivité (D. Cohen par exemple). Comme nous sommes plus efficaces, plus structurés et plus mécanisés, nous détruisons "naturellement" des emplois.
Pour d’autres, comme J. Sapir, ce sont les gains de productivité chez les émergents qui ont aspiré des pans de nos activités à travers leurs montées en gamme et les délocalisations directes/indirectes.
Dans un cas ou l’autre, ce sont les gains de compétitivité qui sont en cause.

La compétitivité en cause?

La plupart d’entre vont être horrifiés en lisant ce sous-titre. La compétitivité qu’on a élevée sur un piédestal serait en cause ? En reprenant la théorie économique, telle qu'on l'apprend en cours d’économie ou dans les livres, vous lirez que les gains de productivité se traduisent par une baisse du coût de production qui va se répercuter sur les prix de vente (hausse du pouvoir d’achat) et/ou sur les profits (comprendre « investissements »).
Ce joli modèle est très attrayant pour l’esprit : on y retrouve aussi bien des notions d’ « Homo Economicus » (l’Homme rationnel) que de concurrence parfaite. Les décisionnaires de l’entreprise seraient parfaitement rationnels et en connaissance de cause, ils vont distribuer les gains de productivité de manière rationnelle. La réalité est bien tout autre.
Si une minorité de personne s’est enrichit bien plus (trop ?) vite que d’autres en quelques décennies, c’est sans doute que ce monde parfait ne l’est pas autant que cela. Sans doute dira-t-on que c’est le marché qui l’a voulu et qu’il a toujours raison. Seulement ce Monsieur Marché semble ne plus regarder la réalité économique et sociale. Comme l’a récemment rappelé Paul Jorion, il n’y a pas de mystère à l’explosion des rémunérations de certains : ces derniers ont accaparé une part des autres. A cela j’ajouterais qu’il faut arrêter de croire que pour mieux répartir, on doit tout faire pour faire grandir le gâteau encore plus vite – c'est à dire la croissance à tout prix . D’une part nos ressources sont limitées – trop peu d’économistes se penchent sur le devenir de notre monde dans 100 ans par exemple ou sur un monde économique stable et sans croissance – d’autre part, je pense que ce n’est pas la taille du gâteau qui compte mais les ingrédients et la façon dont on le découpe.

Court terme et long terme?

Les gains de productivité entraînent une baisse de l’emploi à court terme et théoriquement, selon Alfred Sauvy, un transfert d’emploi entre secteurs. Ainsi la baisse d’emploi ne serait qu’à court terme et local alors qu’à long terme cela entraînerait une hausse de l’emploi en moyenne.
Tout cela relève bien sûr de la théorie car cela nous ramène aux hypothèses de la concurrence pure et parfaite : les hommes ne sont pas des produits et ne sont pas aussi mobiles que des pions. De la même manière, ils ne peuvent pas se reconvertir en un claquement de doigt ou tous devenir des ingénieurs.
Cette théorie implique également que les gains de productivité soient rationnellement utilisés dans l’intérêt général (même indirectement) et le long terme, ce qui n’est pas forcément le cas comme déjà indiqué ci-dessus.
Toujours en suivant les suppositions de cette théorie, que fait-on du manque à gagner à court terme sur les cotisations sociales et la fiscalité en général? Arrête-t-on de payer retraites et aides sous prétexte qu’à long terme, tout ira mieux ?
Enfin, même dans le cas des délocalisations, cela n'est pas une simple histoire de vase communicant : en délocalisant une usine de 3000 personnes, il y a peu de chance de retrouver une usine de 3000 personnes de l'autre coté de la Terre ; si on y retrouve 300 personnes cela sera déjà bien.

On lit souvent que les métiers d'aujourd'hui n'auront à voir avec ceux dans 20 ans. C'est sans doute vrai : il y a 20 ans, nombre de métiers était au-delà de l'imagination de l'époque (comme celui de responsable de réseaux sociaux). La tendance serait même à l'accélération. Mais est-ce ces nouveaux emplois remplacent ceux qui ont disparu? En valeur certainement mais en volume c'est une autre question.

Paul Jorion a déclaré sur un plateau de télévision que le travail disparaissait. Et c’est tellement vrai…
Déjà Z. Brzezinski (ancien conseiller du président Carter, membre influent de plusieurs Think Tank, participant important du Forum Economique de Davos) avait prédit que dans un futur plus ou moins proche, il y aurait 20% de personne avec un travail très qualifié et bien payé contre 80% de personne en précarité. Pour éviter tout débordement, il faudra trouver des solutions et des divertissements pour occuper ces 80%.



Le dénigrement du Travail

Non content d’avoir vidé nos campagnes de main d’œuvre soit disant car c’était salissant, fatiguant voire inutile, nous avons orienté la plupart de la population vers l’industrie. Et aujourd’hui nous reproduisons la même chose pour l’industrie sauf qu’il ne reste plus que le tertiaire et ce n’est pas lui qui pourra absorber les demandeurs d’emploi.

Si vous avez l’occasion d’aller dans les pays dits « émergents » où le chômage est souvent quasi-inexistant, vous pourrez vous en rendre compte facilement. 

Exemples concrets dans les pays émergents:
- Au supermarché : Un vendeur par rayon minimum, une personne en caisse et une autre qui met les courses du client dans le sac. Dans les pays dits développés : personne dans les rayons, le client peut passer lui même ses articles en caisse automatique et il met lui-même dans les sacs.
- Les transports : il y a un conducteur et une personne qui vend et vérifie les tickets par bus/wagon. Chez nous: il y a un conducteur bien qu'il puisse être robotisé (métro/train automatique) et l'usager achète les tickets à la borne pour les valider lui même dans les bornes.
- Les agences de banques : une personne surveille et ouvre la porte aux clients (si si je vous jure), plusieurs personnes aux comptoirs pour les différentes opérations. Chez nous: une personne en agence suffit car pour des raisons de «sécurité», toutes les opérations se font sur les bornes ou sur internet et la porte d'entrée est gérée électroniquement.
- Exemple divers : on paie en personne l’électricité, l'eau,...dans les agences des compagnies (essayez de payer votre téléphone ou Edf en liquide dans une agence, on vous dira de vous connecter sur internet et de payer en ligne). Ou encore je note la présence des réparateurs de machines à chaque coin de rue (en France on doit mettre à la poubelle et racheter le plus souvent), de la personne qui plastifie vos livres en librairie, du pompiste qui remplit votre réservoir, des salariés de la Poste qui affranchissent votre courrier aux guichets plutôt que vous renvoyer aux machines à affranchir (il n'y en a pas à disposition pour le client de toute manière).

Taux de chômage dans le pays de mes exemples : moins de 1% et ce n'est pas le tiers monde, ni l'exode rural à proprement parler.
Bref, on voit tout de suite la différence en termes d’emploi mais aussi au niveau des relations humaines et du lien social.

En règle générale, les gens des pays développés vont me dire que les emplois peu qualifiés de ces pays (le salarié qui ouvre la porte, celui qui met dans les sacs, celui qui plastifie votre livre...) sont des emplois idiots et inutiles. J’ai récemment lu sur le blog d’un économiste (que j’aime lire) qu’il serait presque grotesque d’imaginer de fabriquer de nouveau les vêtements à la manière des tisserands.
Ainsi, la déclaration de Paul Jorion me paraît exact : le travail disparaît et le on le veut bien ; on a même avalisé que ce genre de travail était inutile et dégradant. Pourtant c'est (et c'était) du travail! Pire: c'est maintenant le client qui effectue gratuitement ce travail dit ingrat (remplir le réservoir, passer les articles en caisse, débarrasser le plateau-repas au resto, plastifier le livre, poser soi-même un film-plastique sur l'écran de son smartphone, se servir en boissons au restaurant,...).

Considérer ou nous faire considérer le "petit" travail comme inutile dans nos valeurs, cela a été le départ de la destruction de ce lien et peut-être la disparition du travail tel que nous le connaissons. En soit, aucun travail n’est petit. C’est juste une dévalorisation du travail comme cela a été le cas dans l’agriculture. Ce « petit travail » c’est un peu l’arbre qui cache la forêt « Travail ».



La disparition du Travail

J’aurais pu citer d'autres exemples (au restaurant, l'entretien de la voirie, les exploitations agricoles...)  mais en ouvrant simplement les yeux (et sans formule mathématique), il faut dire la vérité sur ses emplois détruits dans nos pays développés : on ne peut pas trouver autant de substituts. Des gens se retrouvent nécessairement sur le carreau et c'est voulu.
Le travail disparaît bien…

Néanmoins il y a une limite dans la fin du travail... elle découle du bon sens. Qui par sa force défendra une monnaie (ou un pays) quand plus personne ne travaillera ? 
L’idée n’est pas de faire disparaître tout le travail mais de le transformer : 20% d’emplois qualifiés et 80% d’emplois précaires : les petits boulots, l’entraide, le travail au black…bref l’économie souterraine en quelque sorte. La notion même du travail évolue en même temps : il y aurait un vrai travail (celui des 20%) et un pseudo-travail (celui des 80%).



Les conséquences d'une telle évolution

Ce changement en cours et les inégalités qu’elles provoquent aura des conséquences directes sur la consommation et notre société.

Cela pourrait se traduire par la sous-consommation au départ.

Sous-consommation ? Kezako ?

Voilà le principe : les ménages les plus modestes vont généralement consommer l’intégralité de leurs revenus, ne serait-ce que pour survenir aux besoins de base. Plus un ménage gagne, plus il aura tendance à ne pas consommer l’intégralité de ses revenus et à épargner. Si les inégalités sont trop fortes, la consommation ne sera alors pas suffisante et le marché de l’emploi en pâtira.

Pour Robert Franck, le problème devrait être posé différemment : le niveau de dépense des plus aisés influence celui des autres classes. Si les inégalités sont très fortes, les classes plus modestes vont dépenser plus que leurs revenus. Ainsi les inégalités ne se traduisent pas par une sous-consommation mais par un surendettement.   

Pour ma part, je dirais que la réalité est un mélange de ces deux thèses. En effet, l’observation de Robert Franck est pertinente aux États-Unis car  le recours au crédit a été facilité et favorisé. Dans des pays comme la France, il faut apporter davantage de garantie et la surveillance est renforcée (pour les emprunts assez important en règle générale car le crédit revolving et les cartes de crédit facile se développe). Ainsi, je dirais plutôt qu'en présence d'inégalités, les acteurs essaient d'égaliser les niveaux de vie d'abord par la réduction de leur épargne puis pas le crédit. Et si l'endettement n'est pas possible, nous commençons alors une spirale de sous-consommation.

Et Après?


On souhaite éviter les erreurs du passé et éviter les bulles liées à endettement excessif des acteurs (privés comme publics).  

Maintenant, si les inégalités et le chômage augmentent pendant qu’on restreint l’accès au crédit, que se passe-t-il ? Certainement de la frustration et de l’envie au départ, comme on le voit en ce moment, mais après…C’est plus compliqué. Il pourrait y avoir de l’agitation, des perturbations, des manifestations,…
C’est là qu’intervient le "Tittytainment", selon Brzezinski (de nouveau) : « Un cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettrait de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. » 

On pourrait aussi voir apparaître de nouvelles règles ou un nouveau système.  
Jean de Sismondi disait qu'un homme (dans le sens d'un travailleur) remplacé par une machine devrait toucher une rente à vie (en contrepartie donc).    
Pour Paul Ariès, c'est un revenu garanti couplé à un revenu maximal autorisé.
Pour certains, c'est une baisse du temps de travail afin de permettre à tout le monde de travailler : il faudrait alors voir les modalités d'une telle réduction (à salaire égal ou en fonction du nombre d'heures?).
 Pour d'autres, c'est une réforme de la fiscalité et de la redistribution.
Toutes ces idées ont du bon sens et se traduirait par un progrès social pour le plus grand nombre. On peut d'ailleurs se demander à quoi bon faire grossir le "gâteau" si tout le monde n'en profite pas. 
Toutefois, cette évolution de la société n'est pas la piste la plus évidente aujourd'hui et en ferait rire plus d'un...entre autres pour des questions de pouvoir : je reviendrai dessus dans un prochain article.

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