Le PIB (Produit Intérieur Brut) [et sa croissance] est aujourd’hui
encore l’indicateur-clé de notre société. Cet indicateur est principalement focalisé
sur la vente de biens et services marchands, au sens quantitatif du terme.
Comme déjà évoqué à plusieurs reprises, le PIB est loin d’être parfait :
il ne tient pas compte du chômage, du bien-être, de la qualité de vie, de la
pollution, de la justice, des inégalités, de notre patrimoine culturel et
naturel,…Dans les négatifs extrêmes, je rappelle que le PIB peut ainsi
augmenter en temps de guerre, en cas de pollutions massives ou d’épidémies car
cela augmente potentiellement la production et les ventes (à court terme du
moins). Les défauts du PIB ont été établis depuis sa création même mais cela ne
posait pas trop de problèmes à l’époque.
Dans "Économie, Politique et Tableau de Bord", j’insistais
sur le fait que le PIB était adapté à la période d’après-guerre car il fallait
reconstruire et tout le monde pouvait se reconnaître dans l’individu moyen.
Ce n’est plus vraiment le cas maintenant.
Les conséquences de cet immobilisme sont graves car l’économie est un outil
au service de la politique. C’est pourquoi, il faut changer de grille de
lecture pour sortir des crises actuelles : économiques, environnementales
et sociales.
La commission Stiglitz
La commission sur "la mesure des performances économiques et du
progrès social", dîtes "commission Stiglitz" pour les intimes, avait
pour objectif de définir de nouveaux indicateurs sortant du carcan PIB,
définitivement trop orienté sur la comptabilité et le quantitatif.
De nombreuses pointures de l’économie ont participé à cette commission :
pas moins de 5 prix Nobel et de nombreux professeurs émérites.
Selon la commission Stiglitz, les nouveaux indicateurs du tableau de
bord politique devrait comporter 3 axes de lecture :
- Axe économie : raffiner le calcul du PIB
- Axe Bien-être : c’est la qualité de vie subjective et objective.
- Axe soutenabilité : grâce à des indicateurs monétaires et des indicateurs physiques. Il faut en effet raisonner sur le long terme et non sur un an ou un mandat. La soutenabilité n’est pas qu’une question de nature et de petits oiseaux mais aussi de société. Pensez-vous qu’une société très inégalitaire soit soutenable ?
Axe 1 : Economie
Le calcul du PIB (et de la sacro-sainte croissance) doit être
revisité : il faut aller encore plus loin dans le quantitatif ! C’est
je pense ce qu’il faut retenir de cet axe ; tant qu’à ne mesurer que
l’aspect quantitatif de notre économie, autant qu’il le fasse bien.
Pour cela, il y a deux mini-axes à suivre:
- Les externalités positives : Rajouter ce qui manque au PIB. Il s’agit de prendre en compte les activités non-marchandes (les activités domestiques, le bénévolat, la vie associative, les organisations politiques,…),…et de mieux valoriser les biens et services publics (valorisés généralement par leurs coûts aujourd’hui) tels que l’éducation, les infrastructures, les moyens de communication,...
- Les externalités négatives : Enlever ce qui est comptabilisé en trop. Le mauvais PIB, cela peut être la conséquence financière d’une pollution provoquée par une mauvaise stratégie (marée noire par exemple). La dépollution augmenterait le PIB alors que c’est tout à fait discutable – logiquement parlant.
Axe 2 : Bien-être
Faisant suite à l’aspect quantitatif d’un PIB modernisé, il faut
impérativement inclure des indicateurs qualitatifs. C’est ce que j’appelle le Doux dans mon article sur la culture des Chiffres. Ils sont plus difficilement
mesurables et seraient probablement hybrides : valorisés en partie par des
critères objectifs (valorisation monétaire) et en partie par des critères
subjectifs (enquête, sondage,…).
Jean-Paul Fitoussi rappelle que la commission a pu lister huit
principales familles de domaines à incorporer dans le tableau de bord :
- La Santé,
- L’éducation,
- Le Travail,
- La Participation politique à la gouvernance,
- Les Liens Sociaux, qu’on peut aussi appeler capital social,
- L'insécurité personnelle,
- L'insécurité économique,
- L’environnement,
- Je terminerai là-dessus par une dernière famille qui est une synthèse des huit précédemment citées : avoir la maîtrise de sa propre vie et la croyance d’un avenir meilleur pour les prochaines générations.
Axe 3 : Soutenabilité
Les nouveaux indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, devraient être
raisonnés en unité de patrimoine plutôt qu’en termes de flux. Je
m’explique : le PIB est une image à l’instant T de l’activité annuelle.
C’est bien mais c’est du court-terme.
Admettons que nous pouvions utiliser toutes nos ressources naturelles
(eau, énergies fossiles, terres,…) de manière très dépensière et abusive afin
de faire gonfler le PIB. On obtiendrait un PIB démesurée cette année-là mais
les années suivantes risqueraient d’être catastrophiques.
Analyser l’économie à
court-terme alors que les acteurs politiques fonctionnent par mandat n’est sans
doute pas la meilleure idée. L’intérêt pourrait alors être de faire gonfler les
chiffres pendant le mandat au détriment des générations suivantes. Des
indicateurs utilisant la notion de patrimoine seraient plus pertinents car
jouant la carte du long terme et des générations futures.
La soutenabilité de notre société comprend aussi la cohésion sociale,
ce qui implique de prendre en compte les inégalités, le chômage, l’accès à
l’éducation au sens large, les conditions de travail,…
Si vous vous intéressez à la question de la soutenabilité, vous pourrez
remarquer que le débat porte surtout sur sa mesure : la soutenabilité
doit-elle être comptabilisée comme des stocks ou sur les services rendus ?
Ou les deux ?
Au vue de toutes les dimensions à prendre en compte, il apparaît que le
tableau de bord contiendra plusieurs indicateurs. On pourrait imaginer un
indicateur synthèse mais cela pose le problème des moyennes – j’entends par là
un agrégat peu pertinent car trop « moyen » – ou de la
subjectivité des coefficients. L’indicateur moyen attirerait tous les regards
et on raterait l’essentiel, ce qui nous renvoie à un des défauts du PIB
(éclipsant tout le reste, y compris la réalité économique).
La commission Stiglitz était certes une avancée pour le renouveau du
tableau de bord politique. Mais son plus grand défaut se trouve en son
sein : il n’y a que des experts en économie. Vous me direz « et
alors ?». J’estime que le tableau de bord nous concerne tous car les
politiques s’en serviront pour établir leurs stratégies qui auront des
répercussions sur nous tous.
Il est donc primordial que l’établissement du nouveau tableau de bord
soit collectif et citoyen. On pourrait penser à des groupes de réflexion
citoyens, par région par exemple.
Un tel débat est technique mais ses conséquences sont quasi-similaires
à un vote pour l’élection présidentielle !
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