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mercredi 16 octobre 2013

La Journée de Libération Fiscale (Tax Freedom Day)

La journée de libération fiscale est un concept qui part du principe que nous travaillons une partie de l’année pour l’État à cause des impôts et des taxes. En rapportant le cumul de tous nos impôts à notre revenu, on pourrait déterminer le nombre de jours dédiés au financement de l’État puis la date à partir de laquelle nous serions « libres ».
  


Formule et théorie

Il n’y a pas de formule reconnue mondialement mais cet indicateur se calcule généralement de la manière suivante :

Taux d’imposition moyen x 365 jours

Le taux d’imposition moyen, c’est quoi ?

Sur la base d’une année, nous recevons un revenu et nous payons un certain montant d’impôts et de taxes. Le taux d’imposition moyen (ou taux de pression fiscale) est le rapport entre le montant de ces prélèvements et de nos revenus. Présenté ainsi, cela paraît simple – mes impôts divisés par mes revenus – mais la méthodologie est bien plus subjective qu’on le croirait.

En France, l’institut Molinari, d’orientation libérale,  le calcule en rapportant le « taux de socialisation et d’imposition réel » [un agrégat de taxes et d’impôts sur les particuliers] au « salaire complet moyen » [le cumul du salaire moyen net, des cotisations salariales et patronales].
On apprend alors que le salarié français moyen travaillerait 206 jours par an pour l’Etat, ce qui signifie qu’il est « libéré » à partir du 26 juillet au soir.


Critiques de la méthode de calcul et du rapport « Fardeau social et fiscal de l’employé moyen »

Comme je le dis souvent, en économie il est très facile de produire des chiffres pour influencer les médias et les lecteurs. Et ce rapport n’échappe pas à la règle.
La formule utilisant le « taux de socialisation et d’imposition réel » sur « salaire complet » est un parti pris.


Le « taux de socialisation et d’imposition réel » est un mélange de divers taxes et impôts : charges sociales et salariales, impôt sur le revenu et TVA. Dans cet amas de taxes diverses et variées, les assiettes, les taux et l’assujettissement ne sont pas comparables. On en revient presque à faire des additions de carottes et de choux.
Prenons l’exemple d’inclure les cotisations patronales dans le calcul : les auteurs du rapport estime que la distinction entre les cotisations salariales et patronales est « trompeuse » et « n’a aucun sens économique ». Les cotisations sociales, c’est le coût du salarié pour l’entreprise, point barre, l’entreprise n’a pas à intervenir là-dedans. Je ne dis pas que le raisonnement est complètement faux mais qu’il est subjectif.

En complément de l’exemple précédent, le salaire super-brut (ou complet) sous-entend l’idée que si l’État ne prélevait plus de cotisations, les employeurs verseraient l’intégralité du salaire (super-brut) aux salariés. On nage en pleine utopie.
De plus, ce salaire dit « complet » n’intègre pas les revenus dus à la politique de redistribution de l’État.

Cette méthode de calcul exclut de fait le coût des services publics payé à travers les prélèvements. Elle considère aussi le système de retraite par répartition comme une charge pour le salarié. Autrement dit, dans un pays où le système de retraite et l’assurance maladie seraient privatisés, leurs coûts ne seraient pas pris en compte, ou du moins seraient considérés comme du revenu disponible.

Enfin, de nombreux termes (« net », « réel », « complet ») créent un faux sentiment de précision. En réalité, le rapport de l’institut Molinari est une mine d’approximations et d’interprétations libérales. On pourrait citer le « pouvoir d’achat réel » qui ne tient pas compte des revenus issus de la redistribution de l’État, des services publics ou de la sécurité sociale dont nous pouvons profiter en échange des impôts.

Dans ces conditions, l’intérêt du Jour de libération fiscale me paraît bien faible.

Quelque part, ce n’est pas surprenant et le titre du rapport est éloquent en la matière : « Fardeau social et fiscal de l’employé moyen ».
L’édition 2013 est une bible justifiant une croisade contre l’infâme Etat : « pression fiscale », « dérapages récurrents », « limitant la liberté » et « liberté d’utiliser, comme il veut, son pouvoir d’achat [sous-entendu que le salarié n’est pas libre, un peu comme les serfs au moyen-âge], « champions de la fiscalisation », « la France a un profil atypique et peu enviable », « il conviendrait en bonne logique de réduire en parallèle le niveau global  de la fiscalité […] pour des politiques dites de flat tax [= un taux d’imposition identique pour tous, par exemple tout le monde doit payer 10% d’impôt quelque soit le revenu]…Et la cerise sur le gâteau : « les augmentations d’impôts ont des effets dissuasifs, en incitant une partie des ménages à se retirer du marché du travail, en réduisant leur activité ou la rendant moins visible »...Cette dernière réplique est jetée sur le papier en toute simplicité, sans aucune justification et en conclusion d’un paragraphe. Allez demander au français moyen s’il souhaite se retirer volontairement du marché du travail en ce moment !



Critiques de l’indicateur en lui-même

La fiscalité des nations est complexe et chacun a une vision différente de l’Économie : c’est pourquoi personne ne peut s’entendre sur la façon de calculer le jour de libération fiscale.
Quoiqu’il en soit, cet indicateur est, par nature, biaisé et n’a pas beaucoup de sens (hormis celui qu’on veut lui donner).

1/ Il sous-entend que le salarié travaille pour l’Etat et que cet argent est perdu à l’instar du tiers-Etat qui devait travailler un certain nombre de mois pour le roi fort dépensier.
Or l’État ne détruit pas l’argent de l’impôt: les recettes permettent de rémunérer des fonctionnaires mais surtout de financer les retraites, la sécurité sociale, la redistribution et les services publics en général : hôpitaux, écoles,…Des économies sont possibles, évidemment, mais on aurait tort de jeter le bébé avec l’eau du bain.

2/ Les éléments à prendre en compte dans la formule sont arbitraires : il existe mille et une façons de calculer le jour de libération fiscale. Rien ne justifie l’utilisation d’une méthode plutôt qu’une autre. Dans le cas présent, c’est l’interprétation libérale de l’Économie qui sert de base. Le fait de ne pas prendre en compte la redistribution et le coût pourtant inclus des services publics fausse la réalité.

3/ Ce calcul favorise mécaniquement toutes les privatisations. Qui plus est, comme il n’y a pas de cadre, il est aisé de manipuler le résultat. On en revient à l’idéologie où la croyance devient une certitude.
Ici, la méthodologie dénigre le rôle de l’État et incite très fortement à la privatisation : les bénéfices des redistributions (allocations, aides…) et de la gratuité (ou du coût réduit) des services publics ne sont pas pris en compte ; à l’inverse, les prélèvements finançant ce choix de société, le sont ! Ainsi, un pays qui aurait privatisé ses retraites, ses hôpitaux et ses écoles serait mécaniquement un champion alors que le coût financier et social à payer serait probablement plus élevé.
Comme le jour de libération fiscale doit être le plus tôt possible, il faudrait tout privatiser ! Peu importe la solidarité, le modèle social, les inégalités et le bien-être de la population.

4/ L’utilisation de moyennes donne l’impression que tout le monde paie des impôts de manière identique : on a l’impression de se reconnaître dans cet individu moyen alors qu’il n’existe pas. Certains paient plus d’impôts que d’autres, d’autres ont les moyens d’y échapper, d’autres sont trop modestes pour l’IRPP mais devront payer la TVA,…

5/ Un des objectifs implicites de cet indicateur est de classer les pays pour les comparer entre eux et encourager le dumping fiscal/social. Ce comparatif crée inévitablement des « champions de la fiscalisation » et des pays à suivre. On en oublie tout des pays en question : la culture, la taille, la population, la qualité des services publics, les infrastructures, l’avenir à préparer, l’ascenseur social,…En plus, comme aucun pays n’utilise les mêmes modalités de calcul, la compétition du moins-disant fiscal est complètement faussée.
D’ailleurs, il suffit de jeter un coup d’œil sur les médaillés pour comprendre l’idéologie du rapport : Chypre, l’Irlande et Malte. Que des paradis fiscaux ! Que des petits pays qui ont marqué (négativement) l’actualité économique ces dernières années ! Que des pays sous perfusion européenne ! Et ce seraient eux, les modèles à copier ?



Conclusion

Dans ce rapport, on note beaucoup d’approximations et d’allusions suspicieuses sur l’État mais le lecteur n’en retiendra, malheureusement, que la fatidique date du 26 juillet (sic). C'est un triste moyen de marquer les médias et l'actualité.
En suivant cette logique, une privatisation complète de l’État créerait le meilleur des mondes : adieu la solidarité et bonjour l’inégalité maximale.
En se référant aux données de l’OCDE, le taux de prélèvement net de transfert [intégrant l’effet redistributif de l’État] serait de 17% environ. En appliquant la formule (17% x 365 jours) , le jour de libération fiscale serait plutôt le 2 ou 3 mars ! Etonnant n’est-ce pas ?

Bref, les modalités de calcul du Jour de Libération Fiscale se base sur des moyennes d’indicateurs choisis arbitrairement (dans un but idéologique ?) et n’apporte pas d’eau au moulin. Il ne sert pas à grand-chose.
Pire : il occulte complètement le fait que le taux de pauvreté repart à la hausse depuis 2008 alors que le niveau de vie des plus aisés augmente très rapidement.

Taux de pauvreté en France en % suivant le seuil : 50 ou 60% du niveau de vie médian(= revenu net où 50% des salariés gagne plus tandis que l'autre moitié gagne moins)





Se concentrer sur l’humain et l’avenir

Le berceau culturel des États-Unis est à l’origine de la création de la Tax Freedom Day. Or, le pays de l’oncle Sam a longtemps appliqué un taux d’imposition marginal [la plus haute tranche d’imposition] très élevé : la plus haute tranche d’impôt sur le revenu était supérieur à 70% et ce, pendant près de 50 ans ! Elle a même grimpé jusqu’à 91% sans faire tomber l’Amérique en désuétude. Au contraire. Ce taux confiscatoire concernait évidemment les très hauts revenus pour lesquels il n’existe plus de lien avec le niveau de compétence, d’innovation ou d’entrepreneuriat.
Comment plaindre le centième de la population qui détient aujourd’hui 46% du patrimoine mondial ?
N’est-ce pas là pas un manque de compétitivité et une incitation à l’attente ?

Thomas Piketty déclarait dans une interview dans Alternatives Économiques (n° 328) :
« Plus la concurrence est "pure" et plus le marché du capital est "parfait", au sens des économistes, plus les inégalités patrimoniales ont de chances d'être grandes. »
Ces inégalités atteindront un jour un niveau maximum mais comme le seuil du début du XXe siècle est encore loin et que le capital peut facilement se concentrer…il reste de la marge.

Pour libérer la compétitivité, on pourrait imaginer une taxe mondiale sur les patrimoines comme le demande Thomas Piketty. Cela permettrait d’éviter que le taux de rendement du capital ne dépasse la croissance et détruise durablement l’esprit d’innovation et d’entrepreneuriat.

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