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vendredi 11 octobre 2013

La rupture Economie réelle-Bourse-Capital

La Bourse est une drôle de bête. Elle semble parfois se diriger à l’instinct, sans forcément tenir compte de la situation économique.
La crise économique sévit en Europe mais les bourses ont déjà récupérées ce qu’elles avaient perdu. Les États-Unis sont en plein « Shutdown » (arrêt d’une partie de l’administration faute de crédit budgétaire) mais les bourses montent !  Comment ne pas imaginer qu’il puisse y avoir un décrochage entre l’activité économique et la Bourse ?

Dans cet article, j’irai encore plus loin et étendrai le débat au marché des actifs (immobilier, actions,…). Et je ne suis pas le seul à m’y intéresser : de nombreux économistes ont fait été état de cette rupture avec d’un coté, une croissance faible et, de l’autre, une explosion de certains patrimoines. 



La théorie

Il existe mille et une façons d’évaluer le prix d’une action ou d’un actif en général. Pour certains, c’est la méthode d’actualisation des dividendes (modèle Gordon et Shapiro) ou l’actualisation des flux de trésorerie disponible, pour d’autres c’est l’analyse de la situation de l’entreprise (chiffres d’affaires,…), ou bien l’estimation de la plus-value latente, etc…Le but ici n’est pas de les présenter mais d’afficher la couleur : de nombreux économistes et financiers planchent, jour et nuit, sur la manière de calculer le prix des actions.

D’un point de vue théorique, ces modèles permettent d’utiliser les mathématiques pour fixer un prix. Il faut généralement croiser les formules et les analyses pour arriver à quelque chose de cohérent. Mais attention, dans l’économie mathématique, les hypothèses à la base des modèles sont souvent très limitatives. Il est difficile de mettre un nombre sur toutes les interactions humaines et encore plus de chiffrer tout et n’importe quoi. Ce principe s’applique d’ailleurs aux sciences économiques toutes entières, bien que cela s’oublie.
Il existe tellement de paramètres, dont certains ne sont pas mesurables, qu’il est impossible de créer un modèle parfait : la situation politique, la politique monétaire, le taux d’intérêt, le taux d’inflation, la situation économique de l’entreprise, l’avenir de l’entreprise, la croissance de son secteur, la volonté de distribuer des dividendes, la culture, l’heure de la journée,...A cela s’ajoute le fait que certains actifs progressent plus vite que d’autres en raison de progrès techniques ou de la raréfaction des ressources naturelles.
Ces modèles permettent, tout au plus, de donner une indication.

Un point qui a probablement favorisé cette euphorie boursière est la politique du taux d’intérêt bas. La plupart des banques centrales ont choisi une politique monétaire souple et  ont même donné des signaux forts quant à la durée de cette politique : le long terme. Ces taux influencent à la baisse le rendement des actifs sûrs (dettes des États par exemple).
Ce flot de liquidités qui finit dans les banques se dirige presque "naturellement" en Bourse et dans l’immobilier qui offrent des taux de rendement plus alléchants.

Enfin, pour clore la partie technique, une expression a récemment fait son apparition aux États-Unis pour caractériser cette vigueur à toute épreuve des bourses : le « crisis fatigue ». Simplement, cela signifie que les marchés en ont vu des vertes et des pas mûres, si bien qu’il en faudrait vraiment beaucoup pour les faire chuter.
Cette idée me rappelle tous ces débats sur la nouvelle économie qu’on rabâche à chaque envolée des bourses : « ne vous inquiétez pas, c’est normal si la bourse est complètement déconnectée de la réalité économique : nous sommes entré dans une nouvelle Économie! ». Malgré mon jeune âge, j’ai déjà entendu tellement de fois cette expression, sans fondement, qu’on se croirait dans la fable d’Esope « le garçon qui criait au loup ».



La logique

En toute logique, les rendements de la Bourse et du capital devraient suivre la croissance économique, au moins sur le long terme. En effet, comme le taux de croissance indique l’évolution de la richesse, si le rendement du capital est supérieur à la croissance, cela signifie qu’il y a déformation dans le partage de ces richesses.

Il y a quelques années, un des mes professeurs avait jeté l’expression sur la table : « nous sommes dans une crise des ciseaux ». Il faisait référence à l’effet ciseau dans les sciences de gestion, lorsque les dépenses (charges) et recettes (produits) évoluent très différemment. Pour lui, le rendement du capital et le taux de croissance évoluent en opposition l’un de l’autre, ce qui serait la cause principale de la crise actuelle.

En regardant ce graphique, on remarque que le rendement du capital est plus élevé que la croissance. Autrement dit, les revenus du capital augmentent plus vite que la croissance des richesses dans le pays. Toutefois, on ne peut pas vraiment parler d’effet ciseau.
Il me paraît pertinent de rentrer dans le détail du taux de rendement et d’en isoler deux composantes que sont le taux de rendement boursier et le taux de rendement de l’immobilier (hors plus value) :
 

Dans le dernier livre de Thomas Piketty (le capital au XXIème Siècle), la loi numéro 2 résumerait presque à elle seule la logique d’ensemble. Il s’agit de l’équation r > g [où r est le taux de rendement et g est le taux de croissance] : lorsque cette équation est vraie, les revenus du capital deviennent prépondérants dans le revenu national et le patrimoine se concentre. Et cela alors que le capital est déjà très concentré :


Ainsi sur le long terme, il suffit que le taux de rendement du capital (4-5% dans l'immobilier hors plus-value et 6-8% en bourse) soit supérieur à la croissance (entre 0 et 0,5% en France pour 2013) pour que le capital prenne de l'ampleur : c'est mécanique !
Les gains de productivité et la demande étant relativement faibles en ce moment, le capital va plutôt aller vers ce genre d’actifs (immobiliers + boursiers) qui rapportent plus. C'est même un phénomène d'accumulation qui s'auto-entretient car tout le monde s’attend à une hausse continue. Ces croyances auto-réalisatrices et cette instabilité sont propres au marché des actifs.

Mais il y a une limite : dans ce cercle vicieux où les rendements du capital sont supérieurs à ceux de l’investissement productif, la base industrielle est sapée petit à petit ; or, c’est sur cette dernière que repose une partie de ces rendements !



Des conséquences sur l’économie réelle

Le graphique suivant présente le taux de profit des entreprises après taxes mais avant intérêts et dividendes.
 

On constate que les entreprises françaises souffrent d’une faible rentabilité (avant versement des dividendes), en comparaison de leurs homologues étrangers. De plus, pour être attractives, les grandes entreprises françaises ont pris l’habitude de distribuer de généreux dividendes.
Pourquoi vous dis-je cela ? On parle de compétitivité mais il ne faut pas aller bien loin pour comprendre que le manque d’investissement qui en découle aura des conséquences négatives sur l’économie réelle à moyen et long terme.

M. Volot, Vice-président du MEDEF, l’a clamé à haute voix lors d’un débat à l’université d’été du MEDEF (et c’est une bonne chose) :
« Les entreprises n'investissent pas assez. Est-ce que c'est la faute de l'Etat ?  […] De vous à moi, on n'a pas une part de responsabilité là-dedans, non plus ? »
Tout cela me permet de rétablir le lien avec le titre de cet article : c’est cette stratégie financière qui justifierait la bonne santé de la bourse. Je m’explique. Grâce à la crise, les grandes entreprises ont réussi à maintenir une politique de salaires faibles et même de profiter de la croissance des émergents ; se faisant, elles peuvent verser de substantiels dividendes, utiliser le cash pour racheter des actions et faire grimper le cours des actions.

Est-ce que ce système est viable ? Je ne le pense pas car cela affecte le marché de l’emploi, les salaires (surtout les ménages modestes) et donc la consommation, qui est le moteur numéro un de la croissance. Si le gâteau des richesses ne grandit plus (ou presque) et que le rendement du capital reste toujours plus élevé que le taux de croissance, alors le capital se concentrera toujours plus.
Mais jusqu’à où ?

Pour Thomas Piketty, le rapport capital/revenu, qui a tourné autour des 400% (= les patrimoines représentent environ 4 années de revenu national) au XXe siècle, devrait quasiment doubler d'ici la fin du XXIe siècle (environ 700%). Il s’agit de prévisions mais cela semble tout à fait possible.

Est-ce qu'une telle organisation des richesses sera efficace ? Quelles seront les conséquences sur la société ? Comment les politiques géreront ces fortes inégalités ? Autant de questions qu’on peut se poser.

Dans l’immédiat, il me semble pertinent de mettre en œuvre une stratégie industrielle au niveau français, ou mieux, à l’échelle européenne. Il ne faut pas attendre que cela se fasse sur la base du volontariat, car le fer de lance du MEDEF repose uniquement sur la baisse du coût du travail et l’allègement de la législation du travail (entre autres : les licenciements et la négociation individuelle). Seule la volonté politique permettra de dégripper la compétitivité. Cet objectif de longue haleine ne peut être que le résultat d’un plan concerté entre les entreprises et l’État.

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