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samedi 17 octobre 2009

La baisse de la TVA dans la restauration


En France, chaque jour, quelques 5 millions de repas sont pris dans le secteur de la restauration : à 40% dans la restauration commerciale et à 60% dans la restauration collective. Elle représenté environ 200.000 entreprises, dont plus de 90% emploient moins de 10 salariés.

Depuis le 1e juillet 2009, la nourriture consommée dans les restaurants est universellement taxée à 5,5%. Ce cadeau fiscal, autrefois réservé à la restauration rapide, est aujourd’hui généralisé à tous les restaurateurs et coûtera environ 2,5 milliards d’euros à l’Etat.
La mise en place de cette mesure, promise par Jacques Chirac et attendue depuis 14 ans, a été très critiquée étant donné le contexte et le fait que ce secteur n’est pas menacé par les délocalisations.

En échange du gain (hausse de la marge de profit et augmentation potentielle de la demande), le gouvernement a demandé en échange 3 évolutions, sans donner d’encadrement précis. La profession a alors pris des engagements plus ou moins précis via le contrat d’avenir :



A cette époque, 70% des restaurateurs déclaraient être prêt à baisser les prix.



1. La baisse des prix
Le prix est un des freins le plus important dans le secteur. Pour compenser la baisse de la demande, les prix dans la restauration ont augmenté plus vite que les prix à la consommation durant la période 1996-2006 (+14% pour les prix à la consommation contre +22% pour les prix dans la restauration).
Ainsi, une baisse des prix pourrait stimuler la demande (-10% de fréquentation au 1e trimestre) et rendre les restaurants plus compétitifs. La profession s’était engagée à répercuter une partie de la baisse sur les prix d’au moins 7 produits.

Pour certains, il serait encore trop tôt pour s’exprimer sur le sujet. Pourtant depuis le 1e juillet, le constat est le suivant :
- La baisse moyenne depuis le 1e juillet 2009 est d’environ -1,45% alors que les professionnels et le gouvernement estiment qu’elles devraient atteindre au moins 3%,
- Un manque de lisibilité (prix barrés, astérisques, logos, listes…),
- La baisse des prix a aussi entraîné une baisse des quantités.
- Un restaurateur sur trois ne joue pas le jeu (entre 30 et 40%) :




Analyse:
Pourquoi un tel constat ?
On peut expliquer cette « mauvaise volonté » pour plusieurs raisons :
- La principale cause est le saupoudrage et manque d’encadrement. Les pouvoirs publics ne donnent aucune directive concernant les prix et même si la profession a pris des engagements, ils restent d’ordres volontaires.
- Cette baisse de la TVA n’a pas été demandée par les consommateurs. Elle a été à la demande des restaurateurs : cela s’apparente à une forme de victoire et donc une raison de ne pas répercuter la baisse de la TVA sur les prix,
- Les restaurateurs traditionnels, principalement indépendants, avaient un sentiment d’injustice face à la restauration rapide (5,5% de TVA).
- La baisse des prix est une condition ajoutée récemment (il y a moins d’un an). Auparavant, il n’était pas question de pouvoir d’achat.
- Il existe aussi un problème de compréhension car beaucoup de restaurateurs ont des difficultés en comptabilité et en gestion (beaucoup de TPE).
- En temps de crise et de baisse de la demande, ce cadeau fiscal s’apparente à une bouffée d’oxygène.

La première cause, aggravée par toutes les autres, nous permet d’arriver à la situation actuelle.


En allant plus loin, on peut apporter deux remarques du point de vie des autres acteurs :
- 1e remarque pour la clientèle individuelle : La baisse des prix va principalement profiter aux plus riches : les 10% les plus riches dépensent dix fois plus en restauration que les 10% les plus pauvres. Selon une étude, la baisse des prix profiterait environ six fois plus aux 10% de Français les plus riches qu'aux 10% les plus pauvres.

- 2e remarque pour la clientèle d’entreprise : ¼ des repas sont des repas d’affaires. Or une baisse de la TVA, sans répercussion totale sur les prix, entraîne une hausse du prix HT. Or il s’agit de TVA déductible (TVA à payer par l’entreprise = TVA collectée sur les ventes – TVA déductible sur les achats et certains frais).
En résume pour un même repas, le coût pour l’entreprise sera plus élevé après la baisse de la TVA. Pour les sceptiques et les non-matheux, voici un exemple simple pour un repas d’affaires de 100€ avant et après réforme (hypothèse de baisse du prix affiché de 5%) :

- 3e remarque sur le budget de l'Etat : Nous sommes loin de cette baisse des prix de 5% ou même de 3%. Si les restaurateurs utilisent ce cadeau fiscal pour augmenter leur rentabilité, l'Etat ne récupérera en théorie qu'un tiers de ce profit supplémentaire (taux d'impôts sur les sociétés: 1/3).



2. Embauche et conditions de travail
La France est l’un des pays où le service n’est plus à la hauteur des attentes. Il y a un besoin incontestable d’un meilleur service mais cela semble difficile quand on sait que 60% des salariés du secteur sont au SMIC.

Pour se faire, il faudrait déjà une meilleure rémunération et offrir plus de formation. Afin d’aider financièrement les restaurateurs sur ce point, le gouvernement leur propose d’utiliser une partie du bénéfice tirée de la baisse de la TVA.
Des négociations syndicales auront lieu avant la fin de l’année concernant la révision des salaires; on en saura plus à ce moment.

Un autre engagement pris par la profession était de créer 40.000 emplois sur 2 ans. Or selon le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO), la baisse de la TVA ne devrait permettre de créer que 6.000 emplois à long terme.

Il faut souligner que la baisse de la TVA dans la restauration a été accompagnée par la suppression de l'aide à l'emploi dans le secteur de l'hôtellerie-restauration (prime Sarkozy), dont bénéficiaient 70% des restaurateurs (aide forfaitaire par salariés dans la restauration. Il s’agit une prime pour l’employeur d’environ 180€ par mois et par salariés au SMIC). Elle représentait environ 600 millions d'euros.
Avant la baisse de la TVA, cette prime Sarkozy a d’ailleurs eu une conséquence très étrange : la baisse de la productivité.
Cela semble incohérent sauf dans l’hypothèse où l’ancien taux de productivité était faussé : auparavant, une partie du travail n’était pas déclarée et donc non inclue dans le calcul de la productivité. Or la prime Sarkozy a facilité la déclaration d’une partie de ces travailleurs, qui n’entrait pas en compte dans le précédent calcul.


3. Investissements et modernisation
Le comportement des consommateurs a évolué vers un besoin de ré-assurance, vers les formules “tout compris”. De même, le cadre devient primordial : on ne vient plus au restaurant simplement pour manger.

Pour que l’offre colle aux nouvelles attentes, il faut investir et moderniser les établissements. C’est la troisième demande l’Etat.

En plus de ce cadeau fiscal, un fonds permettant aux professionnels d’obtenir des prêts à faible taux devrait être opérationnel début 2010.


Conclusion


Si ces retombées semblent aujourd’hui illusoires, elles mettent en évidence le fait que cette baisse de la TVA est avant tout un outil politique.
Il fallait s’attendre à un tel constat en demandant de faire mieux sur la base du volontariat.

En effet, il est difficile de rendre cette mesure efficace alors que l’offre est extrêmement variée et que le contexte ne s’y prête pas.

Au final, d’un coté, cela exacerbe les contribuables (qui vont bouder les restaurants), mais d’un autre coté, c’est une sorte de récompense des restaurateurs, après 14 années d’attente.

Trois mois après la baisse de la TVA, les restaurateurs, montrés du doigt et surmédiatisés, sont plus que jamais dans le collimateur :
- Les associations de consommateurs, déplorant le manque de transparence et de lisibilité, poussent le gouvernement à intervenir.
C’est le cas de la CLCV qui demande à l’Etat d’encadrer ce cadeau et de par exemple imposer une baisse de 5% sur tous les prix.
- Une majorité de députés serait favorable à un moratoire sur la baisse de la TVA,
- Même si les syndicats sont très peu représentés dans ce secteur, cela ne les empêche pas d’être mécontent.

Le 14 octobre 20009, Hervé Novelli, secrétaire d'Etat au commerce, a indiqué qu'un comité de suivi se réunirait le 15 décembre, pou en tirer les leçons et toutes les conséquences.

  • Edit 02/12/09 : 3 syndicats de salarié sur 5 ont rejetés la proposition des organisations patronales pour une hausse des salaires (+6% en moyenne, rajout de 2 jours fériés, mise en place d'une mutuelle de santé, apparition d'une prime TVA sous conditions de 2% du salaire annuel par salarié). En simplifiant le problème, les syndicats salariés souhaitent que cette fameuse prime TVA soient versées sans conditions.
  • Edit 16/12/09 : Selon l'INSEE, les prix dans les restaurants sont repartis à la hausse  depuis octobre (+0,1% en octobre et +0,1% en novembre) soit une baisse de 1,41% depuis juillet (contre une attente d'au moins 3%). 
  • Dans les cafés, on retrouve la même tendance (+0,1% en novembre par rapport à octobre) soit une baisse totale de 0,95% depuis juillet.
  • Quant à l'accord social, certains points pourraient devenir réalité comme la "prime TVA" de 500€ si le salarié justifie 4 mois d'ancienneté, la révision de la grille salariale (minimum +1% pour le premier niveau), la mutuelle de santé et les 2 jours fériés. Toutefois, certains syndicats patronaux importants refusent ces révisions jugées trop coûteuses...

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