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lundi 12 octobre 2009

LA PAC illustrée par la crise du lait

(Petite explication: les exemples de la crise du lait sont écrits en violet.)

En 1960, la sécurité alimentaire européenne n’est autonome qu’à 80%. En moins de 10 ans, l'autonomie alimentaire européenne a dépassée les 100%

Depuis 30 ans, la plupart des filières agricoles actuelles subissent une crise sans précédent.
Pour mieux comprendre les enjeux du secteur laitier, il est important de savoir qu’aujourd’hui, la France est le 2e producteur européen de lait et l’un des plus gros exportateurs. Les exportations de lait représentent 16% des exportations agricoles françaises et génèrent un solde positif de 3,5 milliards d’euros.


I. Historique


1962: L’Union Européenne (à 6) n’est pas autonome et doit moderniser son agriculture. Elle met en place la PAC, Politique Agricole Commune, en garantissant des prix élevés et en protégeant la production intérieure, via des droits de douanes
Les objectifs de la PAC sont :
- D’accroître la productivité de l’agriculture ;
- D’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ;
- De stabiliser les marchés ;
- De garantir la sécurité des approvisionnements ;
- D’assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

Pour restructurer le secteur du lait, l’UE décide d’intervenir sur le marché par l’administration des prix :

Le Conseil des Ministres fixe des prix indicatifs de vente de lait, c'est-à-dire un prix de vente minimum et garanti pour les producteurs de lait:
  • Toute importation de lait se verra taxer jusqu’à atteindre le prix indicatif ; le lait importé ne peut donc pas concurrencer le lait français.
  • Si le marché ne peut absorber tout le lait et que le prix-producteur risque de passer en deçà du prix indicatif, l’Etat doit acheter l’excédent pour faire remonter les cours. Cette excédent est alors stocké en attendant soit d’être revendu à l’étranger (donc un lait subventionné), soit en cas de besoin de lait et lorsque le prix du marché devient supérieur au prix d’intervention.
  • Chaque année, le prix indicatif est rediscuté par le conseil et revu à la hausse.
  • Des actions stimulent la demande de lait, aussi bien interne qu’externe.

Années 1970 : La sécurité alimentaire est atteinte en Europe grâce au productivisme, à l’intensification des exploitations et aux progrès techniques.


Années 1980 : Les dépenses de l’Etat s’envolent.
Au vue de ces prix garantis, les producteurs de lait augmentent drastiquement leur production. L’Etat doit racheter des quantités importantes, qu’il ne peut stocker, et doit alors les écouler (à perte).
On parle des montagnes de beurre ou des lacs de lait quasiment donnés.
On commence aussi à se poser des questions sur l’environnement, la qualité des sols et la pollution des eaux (par les nitrates notamment).


1984 : Les coûts deviennent trop élevés pour l’Etat et l’UE décide de réformer la PAC :
C’est l’apparition des fameux quotas laitiers (QL): Chaque producteur se voit imposer un quota de production de lait au-delà duquel les pénalités deviennent vite dissuasives.
De nombreux producteurs de lait souhaitent se reconvertir, vers les céréales par exemple, et reçoivent des primes de cessation versées par l’Etat.

Années 1990 : La crise de la vache folle et les problèmes environnementaux remettent en cause notre confiance dans le modèle agricole. On parle de crise d’identité des agriculteurs.


1994 : Les accords de Marrakech du GATT (ex-OMC) obligent les Etats-Membre à libéraliser le marché.


2003 : Les pressions de l’OMC, le coût de la PAC (environ 50% du budget européen) et l’adhésion des pays de l’Europe de l’est (qui ont besoin d’un soutien financier) ont raison de l’UE. Elle prend la décision de libéraliser le marché mais souhaite garantir un revenu suffisant aux producteurs.
Il est donc décider, via la 3e réforme de la PAC, de :
- Supprimer progressivement les quotas, en les augmentant chaque année,
- Soutenir le développement rural,
- Les prix garantis sont baissés, les subventions sont découplées de la production et imposent de respecter une sorte de charte environnementale.
Ainsi, il est décidé de verser une prime laitière aux producteurs, les Droits de Paiement Unique (DPU), déconnectée de la production.
Constat : Seul 1% des terres seront contrôlées. Finalement, ce mode de subvention profite avant tout aux grandes exploitations et entraîne un productivisme forcené, au détriment de l’environnement.


2005 : le premier ministre de l’Australie dénonce les subventions de l’UE. Il estime qu’une vache européenne reçoit en moyenne 2,2$ de subventions par jour, ce qui est inacceptable quand on sait que plus d’un milliard d’individus ne gagnent même pas 1$ par jour.


2007: La crise est là.
Suite à la spéculation sur les produits agricoles, les prix augmentent et deviennent incontrôlable. L’UE décide de re-nationaliser une partie de la politique agricole et d’augmenter les quotas pour faire diminuer les prix.
Les producteurs de lait profitent de l’envolée des prix, parfois de 50%, et empochent en même temps les DPU.
La concurrence devient importante, car de nombreux pays européens encouragent leurs exportations (Pays-Bas, Allemagne, l’Europe de l’Est…) et le lait en poudre à bas prix, néo-zélandais en particulier, fait également son entrée.
Les stocks augmentent en même temps que la spéculation diminue.


2008 :
Pour toutes ces raisons, les prix du lait chutent brutalement.
Comme les prix de vente deviennent inférieurs aux coûts de revient, l’UE décide également de subventionner, en partie, les producteurs de lait par des restitutions, c'est-à-dire en compensant les pertes des producteurs par des aides.
Pour respecter son engagement envers l’OMC, l’UE décide de stopper les quotas laitiers progressivement et définitivement en 2015.
Certains interprètent cette stratégie comme une volonté d’éjecter les faibles du marché et de ne conserver que les meilleurs, cela afin de préparer les agriculteurs à la future suppression des quotas.


2009 :
La recommandation des prix interprofessionnels de la CNIEL, sorte d’accord sur les prix du lait, prend fin. Cet accord peut être perçu comme un système d’entente illicite et anticoncurrentiel sur le marché.
Il semble toujours nécessaire de réguler l’agriculture européenne.



II. Les solutions proposées

  • Récemment, il a été proposé de taxer très fortement les éleveurs qui dépasseraient les quotas et d’utiliser les bénéfices pour subventionner les producteurs souhaitant se reconvertir. Cette opération serait donc transparente pour le budget de l’Etat, déplacerait le centre du problème et redonnerait une forme de pouvoir aux Etats-membres. Cela pourrait être une des solutions.
  • De nombreux experts invoquent la nécessité d’un nouvel accord interprofessionnel sur les prix, les quantités et la durée entre les producteurs, les transformateurs mais aussi les distributeurs. Cela semble très difficilement négociable. Par exemple, dans le secteur laitier, il y a plus de 10.000 producteurs, une dizaine de transformateurs (dont, en France, 2 des 3 plus grandes firmes mondiales : Danone et Lactalis) et quelques distributeurs. Et puis, est-ce juste de maintenir les prix artificiellement ?
  • D’autres voudraient simplement lisser les prix, car trop fluctuants, en utilisant le stockage temporaire et/ou en utilisant les DPU pour compenser les pertes-fluctuations, donc en les couplant avec la production.
  • La France a également proposée un système d’assurance pour compenser ces flottements.


III. Analyse
Dans le secteur de l’agriculture en France, nous sommes passés par l’emploi de plus de 40% de la population active dans les années 40, à moins de 3% aujourd’hui.

Si on a voulu protéger notre agriculture, c’était pour une bonne cause : nous rendre autonome. Mais on peut se demander si aujourd’hui c’est encore valable après plus de 50 ans de subventions et de protectionnisme ?


1. Pourquoi les quotas ?
Il semble évident qu’en France, la principale raison a été de permettre l’élevage et la production dans toutes nos régions.
La France n’était pas le seul pays favorable aux quotas mais cette fuite en avant n’est plus possible. En effet, contrairement au secteur vinicole, de nombreux pays veulent défendre leurs intérêts et ne souhaite pas le retour au quota.
Il faut savoir que même au plus haut des quotas, plus de 70% des pays de l’UE ne les atteignaient pas.
De plus, pour pouvoir revenir au prix d’avant crise, il faudrait diminuer les quotas d’au moins 7%; ce qui n’est pas imaginable.
En tout état de cause, ce système est tellement opaque (achat/revente de quotas, subventions, quotas, transformation, distribution, règlementation,…) qu’il est impossible de mesurer l’influence de l’Etat.


2. Les vraies causes du problème
On pourrait en citer plusieurs mais en voici quelques unes :
- Une situation d'oligopole des distributeurs et des transformateurs,
- La compétitivité de notre agriculture,
- Le sentiment français de responsabilité dans la défense de nos campagnes et de leur mode de vie

Ces deux dernières causes sont plus ou moins liées. En effet, celui qui devra céder sa place sera le moins compétitif : le petit producteur. Or il représente un mode de vie traditionnel en France, si ce n’est pas l’image même du français moyen. Difficile d’abandonner notre campagne, notre terre et nos traditions.

Lors d'une interview de M. Sarkozy:
"l'agriculture et la ruralité sont de éléments de notre identité nationale".

De l’autre coté, les plus compétitifs, ce sont souvent les gros producteurs et les firmes multinationales qui mécanisent et réalisent des économies d’échelle, au détriment de la qualité et des traditions.

Or si on se veut sympathisant des agriculteurs, on privilégie quand même les produits les moins chers. C’est un paradoxe mais cela montre bien qu’il faut réformer ce marché.


3. Une alternative dans la qualité et le localisme?
Si le petit producteur veut survivre, il doit se recentrer là où il est attendu : les labels (bio…), la demande locale, les produits de qualité et frais…Bref, là où il est compétitif.
Par exemple, en France, on produit en masse du lait UHT, de longue conservation, prêt pour l’exportation. Cela concerne aussi les petits producteurs, comme s’ils pouvaient concurrencer les gros producteurs. La PAC a rendu cela possible mais c’est de plus en plus difficile.

Certains producteurs ont alors décidé de vendre directement leur lait aux consommateurs, sur le marché ou via des distributeurs automatiques.
Conséquence ? Les liens sociaux sont renoués, les prix sont gagnants-gagnants, le lait est meilleur et c’est éco-responsable.
C’est une alternative très intéressante qui répond mieux aux nouveaux besoins (redécouvrir le terroir, prise de conscience environnementale, volonté de prendre soin de son corps, recommandations des diététiciens et des pouvoirs publics…).
Pourquoi ne pas aller dans ce sens, par exemple en développant davantage les AMAP (Association pour le Maintien de la Culture Paysanne) ou les CSA (Community Supported Agriculture), c'est à dire des partenariats de proximité entre agriculteur et mangeurs ?
En septembre, la Fédération nationale des producteurs laitiers, a créé le label «Eleveurs laitiers de France». Ce logo garantit un aliment «produit, collecté et transformé en France» et concernerait le lait le moins cher. Cela serait une solution au paradoxe de sympathie française et offre un coté rassurant (vis-à-vis des crises sanitaires).
Toutefois, attention à la profusion de label qui pourrait embrouiller les consommateurs (« lait de haute altitude », «éleveurs de France», «bio», «Oui aux petits producteurs», «le lait d’ici», «AB», «bio européen», «logo citoyen»…).


IV. Conclusion et ouverture
Le contexte et la société évolue avec le temps. Les solutions doivent donc évoluer en conséquent. L’évolution de la PAC est une question épineuse et concerne notre modèle agricole dans son ensemble.

D'un coté, la PAC, avec ses quotas et ses subventions, a incontestablement aidée l'UE à devenir autonome et à rendre son agriculture performante. En dix ans, nous sommes passés d’une autonomie de 80% à 100% et plus.
Les régulations nous protègent des fluctuations des prix, comme la récente spéculation sur les céréales et permettent à une majorité de producteurs de vivre.
Enfin au niveau internationale, la concurrence n’est pas équitable avec ou sans l’UE ; nos concurrents sont les pays émergents autonomes (qui ont des salaires très bas) et les autres pays de l'OCDE qui subventionnent à tout va.

D'un autre coté, l'OMC voudrait que la PAC disparaisse pour libéraliser le secteur et s'ouvrir à la concurrence. Il faut avouer que les prix actuels sont artificiels et pourraient être plus bas.
Sans remise en question de l’agriculture traditionnelle, cela pourrait finir en uniformisation (mort des traditions pour l’industrie), en perte d'autonomie alimentaire et en crise environnementale.
Pour revenir à la crise du lait, les estimations annoncent que sur les 120.000 producteurs de lait en 2000, ils ne seront plus que 70.000 en 2010.
On pourrait aussi évoquer la mise en péril des producteurs des pays en développement, concurrencés par nos produits super-subventionnés. Disposant d’une faible marge de manœuvre à l'investissement, au progrès et aux nouvelles techniques, ils ne peuvent pas faire le poids.
On en arrive à des aberrations comme en Afrique, où les céréales africaines sont substituées par le riz thaï.
Au final ces pays deviennent dépendants de nos produits et ne peuvent devenir autonomes. En cas de crise et de hausse des prix, c'est la catastrophe: famines, augmentation des importations, inversement de la balance commerciale... avec des conséquences, comme en 2007 avec les émeutes contre la faim.

Une étude récente mettait en avant que les revenus de l’agriculture française sont constitués à 77% de subventions politiques, dont 55% déconnectés de la production.
Notre modèle agricole est-il soutenable et acceptable ?


En résumé, c'est la survie d’un modèle, pas forcément légitime, contre les lois du marché. Un vrai dilemme mais un vrai besoin de réforme car notre société évolue.
Faut-il continuer à tout subventionner alors qu’il y aura toujours un producteur dans le monde qui produira pour moins cher ?
Il faut remettre en question notre mode de production/distribution et répondre aux nouveaux besoins. Comme l'a récemment dit M. Sarkozy, il faudra considérer les agriculteurs comme des entrepreneurs.

On en saura plus dans les mois à venir lors de la révision de la PAC applicable en 2013.
  •  Edit 20/10/2009: Les producteurs français ont obtenus une aide européenne de 50 millions d'euros, soit 17% de l'enveloppe totale destinée aux producteurs de lait européens (420 millions d'euros).
  • Edit 28/10/2009: Nicolas Sarkozy a annoncé plusieurs mesures (encore en vérification à Bruxelles): des prêts bancaires (à taux réduits) et une subvention exceptionnelle totale de 650 millions d'euros.


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